Abdessalem Jerad : L'UGTT ne fait pas de politique, mais s'en préoccupe
« Avec huit autres camarades du bureau exécutif, nous passerons le relais lors du prochain congrès de l’UGTT, en décembre prochain et nous n’aspirons qu’à transmettre une centrale syndicale forte, indépendante et synchronisée au diapason de la révolution. » A 73 ans, dont 51 ans passés dans l’action syndicale depuis l’âge de 22 ans, Abdessalem Jerad, secrétaire général de l’UGTT attend avec impatience ce grand moment, point pour souffler, mais pour se rassurer sur l’avenir de l’œuvre de Hached et Achour. S’il quitte place Mohamed Ali, il ne pourra pas se soustraire à ses autres fonctions de président de l’Union des Travailleurs et Syndicats du Maghreb et animera sans doute un grand forum syndical euro-syndical qui sera créé incessamment.
En attendant, il devra réussir plus d’une étape. D’abord celle de la réunion, courant juillet de la commission administrative de l’UGTT. La session sera historique à plus d’un titre. Elle devra se prononcer sur la nature de l’engagement de la centrale et de ses dirigeants dans les élections des membres de la Constituante. En listes indépendantes, au sein d’autres alliances ou en laissant à chacun la liberté d’appartenance ? Mais, aussi, il s’agira de mettre en place les commissions qui doivent finaliser les documents de travail et projets de motions du Congrès, avec notamment le rapport économique et social, un document fort attendu. Celui élaboré lors du dernier congrès tenu à Djerba, avait tellement fâché le président déchu que Jerad et ses camarades avaient été maintenus 18 mois en quarantaine avant d’être reçus à Carthage.
Il faut dire que durant ces dernières années, l’UGTT, accueillant en son sein toutes les sensibilités, avait une position fort inconfortable, exerçant une pression croissante sur l’ancien régime, défendant les libertés. La Place Mohamed Ali grouillait de mécontents qui n’hésitaient pas à scander tous les slogans. Au premier rang des manifestants avant le 14 janvier, les syndicalistes ont été au cœur de la révolution et devaient en constituer, dès le 15 janvier, une force de stabilisation. Ce qui n’est pas facile à tenir.
« Trois grands reproches sont faits à l’UGTT, souligne Abdessalem Jerad : le laisser-aller accordant aux troupes une très large marge de manœuvre, la politisation et l’attitude à l’égard de M. béji Caïd Essebsi. Sur le premier, je dois reconnaître qu’à l’instar de toutes les composantes, la centrale syndicale a vécu une période de grandes fluctuations, mais a toujours gardé le cap et surtout appelé ses structures et adhérents à protéger l’outil du travail, défendre l’entreprise et hisser l’emploi et le développement régional à la tête des priorités. Loin de toute surenchère, nous avons œuvré à apaiser les revendications inacceptables, mis en garde contre les grèves non-règlementaires et favorisé le dialogue et la concertation ».
Pour ce qui est de la politisation, M. Jerad a affirmé que « l’UGTT ne fait pas de politique, mais s’y intéresse de près et s’en préoccupe, tant ses retombées rejaillissent sur les intérêts des travailleurs et de la Nation, tout entière. Alors, nous essayons de suivre les stratégies et plans économiques et sociaux des différentes formations politiques, sans nous immiscer dans leurs affaires internes et en gardant une égale distance à l’égard de tous les partis. «
Quant à l’attitude vis-à-vis de M. Béji Caïd Essebsi, le secrétaire général a reconnu que le bureau exécutif, réuni le 5 mars était édifié sur la nécessité du départ de M. Ghannouchi, posant cinq grandes revendications, mais a été surpris d’apprendre, le soir-même, la désignation de son successeur, sans concertations préalable. Mais, tout cela est à présent bien dépassé et l’essentiel est de réussir la transition ».
Deux grands facteurs ont particulièrement affecté l’action de l’UGTT. D’une part, la surenchère revendicative attisée par les cellules professionnelles du RCD, face à laquelle certains chefs d’entreprise ont rapidement cédé pour éviter le fameux dégage, ce qui crée de mauvais précédents. Et, d’autre part, le non respect d’accords dûment conclus. « Cela nous a ôté toute marge de persuasion à l’égard de nos troupes avec qui on pouvait discuter, avant signature, pour aboutir à de bons compromis. Mais, une fois les accords signés, nous ne pouvons plus les convaincre d’abandonner les acquis ».
Mais, l’UGTT a su s’en sortir et surtout assumer un rôle de premier ordre dans l’amorce de la transition, à l’avant-garde de la société civile et des différents mouvements et partis. L’enjeu essentiel pour M. Jerad est désormais de redéfinir le rôle de la centrale syndicale dans la Tunisie nouvelle, de revoir ses structures et ses modes de fonctionnement et d’en faire un levier du progrès, de la liberté et de la démocratie.
« Vous savez, nous avons des traditions et des valeurs solidement ancrées dans notre patrimoine enrichi au prix de longues années de luttes et de souffrances. Nos cadres et adhérents, autant qu’ils se livrent en interne et en toute indépendance à des débats très pluarlistes, autant, ils demeurent inflexibles sur les principes, intransigeants sur les décisions prises et respectueux des lignes de conduite adoptées. Nous sortirons du prochain congrès encore plus forts, plus soudés et plus déterminés que jamais à remplir notre mission dans cette phase historique, conclut-il ».