"L'ange gardien" de Bourguiba raconte les dernières années de résidence surveillée
La scène n’a jamais été racontée auparavant : le 7 avril 2000, juste au lendemain même du décès de Bourguiba et avant qu’il ne soit enterré, des véhicules ont été dépêchés au domicile privé du Zaïm, à Houmet Trabelsia, au cœur de Monastir pour enlever les meubles s’y trouvant, bien qu’ils soient très modestes et sans réelle valeur, autre que symbolique. Ahuri, le gouverneur, Mohamed Habib Brahem, venant aux nouvelles, apprend que de hautes instructions avaient été données directement dans ce sens par les services de la Présidence de la République, aux motifs qu’il s’agit-là de biens appartenant à l’Etat et devant être récupérés. Conscient de l’impact que pouvait produire pareille décision, il en alerta le ministre-directeur du Cabinet, M. Abdelaziz Ben Dhia et parvint à l’en dissuader.
C’est l’une des révélations contenues dans les mémoires que vient juste de publier Mohamed Habib Brahem (Berg Editions), couvrant les 4 dernières années (1996 – 2000) qu’il avait passées auprès de Bourguiba, jusqu’au dernier soupir du Combattant Suprême. Gouverneur de la région, il avait été investi en outre de la délicate mission de veiller sur l’ancien président de la République et a dû, à cet effet, épuiser toute sa patience auprès des ses supérieurs. Si le contact avec Bourguiba était toujours dans l’émerveillement et l’estime, le Zaïm, longtemps habitué à ses gardiens lors de ses années de captivité, a su leur réserver respect, le gouverneur n’avait pas la tâche facile vis-à-vis de Carthage qui imposait un isolement quasi-total, n’autorisant que quelques rares visites et interdisant à Bourguiba toute sortie de sa résidence, à quelques exceptions, très contrôlées.
Dans son livre, Mohamed Habib Brahem raconte le quotidien de Bourguiba en résidence surveillée à Monastir, soulignant sa sérénité et toute la distance qu’il met avec ce qu'il lui arrive, affichant une très haute dignité. On découvre son rythme quotidien, certaines de ses réflexions, et sa résignation face à l'outrage du temps.
L’auteur revient aussi sur la fameuse interdiction de la retransmission en direct à la télévision des funérailles de Bourguiba et les arguments fallacieux avancés pour la justifier : difficultés techniques pour l’hélicoptère devant voler à basse altitude pour permettre aux caméras à bord de filmer, et risquant de heurter des pylônes électriques. Il rapportera à ce sujet que quelque temps après, le président déchu, voulant s’en dédouaner et faire passer le message, et se défaussant comme à son accoutumée sur les autres, lui avait dit qu’il n’en avait pas donné personnellement les ordres à ce sujet, mais a dû se rallier aux difficultés techniques mentionnées, ajoutant « Rabby Yahdihoum ! Ils auraient dû y penser d’avance ! ». Mais qui peut le croire ?
Un livre qu'on lit rapidement et d'une seule traite au risque de ne sauter les passages où l’auteur s’explique sur son dévouement pour son « protégé ». Dommage qu’il ne nous précise pas la chaîne de commandement qui décidait au Palais de Carthage, du sort réservé à Bourguiba. Mais, un bon début de révélation qui complète le récit des Drs Amor Chedli et Saida Douki. En attendant la suite.