Les migrants oubliés : silence assourdissant des autorités tunisiennes
Mettons vite les choses au point : Loin de nous l’idée d’intenter un mauvais procès à ce gouvernement « provisoire ».
Si l’on peut raisonnablement accepter l’idée que le pays est confronté à des priorités bien plus importantes, et que les urgences du gouvernement de transition sont ailleurs, on reste malgré tout pantois, interloqués face à l’absence quasi-absolue de toute forme réconfort.
Nous l’avions déjà écrit, nous sommes farouchement opposés à cette information « scoop », « kleenex » où l’actualité du jour -toujours « plus spectaculaire »- chasse celle d’hier sans plus amples approfondissements. N’en déplaise à certains, nous reviendrons sur cette lancinante question des « migrants sans papiers » aussi longtemps qu’il le faudra. Un nouveau prétexte nous en est donné à la vielle de cette grande migration de vacances estivales, placée cette année, sous le signe quelque peu racoleur du retour citoyen au pays.
Nous avons eu tout au début, admettons-le, quelques messages très institutionnels: « Nous ne laisserons pas tomber nos enfants », relayés aussi par un indubitable concert d’indignations et de réprobations de quelques politiques.
Mais maintenant après bientôt cinq mois, aucun geste concret n’est venu soulager la détresse et la désespérance des sans papiers arrivés en France, soit dit en passant qui représentent moins de 1% de la communauté tunisienne résidant en France.
Aucun centre d’accueil, aucune ressource, aucune disposition d’aucune sorte n’est venue soutenir leur quête de dignité.
Pire on est en droit de se poser, -ces derniers jours-, une question redoutable et troublante:
Les autorités ont-elles explicitement et délibérément choisi ou ont-elles implicitement « laissez faire », et accepté sous quelques prétextes fallacieux, l’expulsion « manu-militari » d’une quarantaine de tunisiens ayant élu provisoirement domicile au trop célèbre 36 Botzaris, site qui a longtemps servi aux diverses officines du RCD.
Même si le doute est permis, il n’en reste pas moins vrai que dans les deux cas le comportement adopté par les autorités diplomatiques n’est pas seulement regrettable mais injustifiable …pour ne pas dire inqualifiable. Avoir choisi l’expulsion, comme l’avoir couverte revient strictement au même.
La Tunisie dispose à l’évidence d’un personnel diplomatique, consulaire, et autre OTE nombreux et d’une large variété de locaux, dont un grand nombre sont inoccupés dans de multiples lieux de Paris et de sa proche banlieue…sans parler bien entendu des diverses propriétés immobilières –sous scellés- qui reviennent de plein droit à la Nation et à ses citoyens.
Où est donc passé le chargé d’affaires –faisant fonction d’ambassadeur –grand commis de l’Etat « transitoire » ? Ces adjoints, ces relais… disparus, évanouis dans la nature ou peut être vacants à quelques devoirs hautement prioritaires de l’Etat ?
Invisibles répètent de manière lancinante les migrants : Pas une seule visite sur les sites –squares et squats. Aucune annonce. Pas l’ombre d’un communiqué. Point d’intercessions.
Adopter un profil bas embarrassé, faire silence, prétexter d’un devoir de réserve…est somme toute et au bout du compte une erreur politique grave. Elle participe inconsciemment, -il faut bien l’admettre-, de cette perception toujours vivace, tenace prégnante, et encore assez largement partagée, d’une soumission aux rapports des forces entre nations dites riches et nations dites pauvres. Mieux vaut demander « l’aide financière », et accepter sans le laisser transparaitre son corollaire « interdire l’immigration clandestine et illégale » et ses déclinaisons. Tout est ici encore affaire de mots et de sémantique ! D’aucuns auront décodé: Les bonnes « vieilles » règles de la diplomatie, ont la vie dure, parfois hypocrite à souhait. Les choses n’ont-elles pas donc changé ? Pas si sûr !
Le fait est que d’affronter directement cette question sous de nouveaux auspices, ceux inaugurés par la révolution notamment de ce tout nouveau « devoir de solidarité », si largement évoqué par ailleurs, n’est toujours pas de mise, ni d’actualité. Loin s’en faut.
On aurait put s’attendre à ce que les diplomates tunisiens fassent part de leurs « préoccupations émues », sans pour autant le claironner et finissent par déroger subrepticement aux sacro-saints principes de « l’équilibre des intérêts mutuels », de la « non ingérence » (sic). Très vite et le plus discrètement du monde ils auraient pu faire ouvrir des accueils et trouver les associations-partenaires pour les gérer et les animer.
En lieu de cela et après l’expulsion des 40 migrants de Botzaris, la diplomatie tunisienne a choisi et juger bon de faire garder jour et nuit ce site par une société de gardiennage privée de près d’une dizaine de policiers et de chiens, pour un montant approximant 5000€ par jour, oui vous avez bien lu, ou pour le moins pour ce qu’en estime une large rumeur qui tend à se répandre. A vos calculettes: 30 jours : 150.000€ (rabais possibles non pris en compte), 450.000€ en 3 mois. Excuser du peu. Mais cette somme consacrée autrement, à la réhabilitation de lieux d’accueil et de vie, aurait pu rendre un très grand nombre de services: informations juridiques, premiers soins, accompagnement de démarches plus individuelles et ciblées, remise à niveau en langue française…dans un climat rasséréné et fructueux. Les ambassades étrangères occidentales ne font –elles pas de même lorsqu’il s’agit de leurs ressortissants.
Probablement donc une diplomatie toujours empreinte de vieux complexes et singulièrement en retrait par rapport aux exigences du temps : Nul doute de bons sentiments et une consternation affichée en privé, mais un alignement sans faille, bien concret, au dehors sur le « légalisme » des attendus de la politique française.
Jusqu’à quand ? Jusqu’à quelle extrémité ?...Faudra-t-il attendre un drame pour que les autorités diplomatiques décident d’agir autrement ?
Hédi Sraieb