La tunisocratie : révolution du peuple et république de l'absurdie
La Révolution du 14/01 a remis soudainement en question le substrat politique et culturel, sans parvenir –pour le moment – à apporter de réponses alternatives et structurelles dont dépendront les contours globaux de la (future) nouvelle société.
C’est la gestation .Tout semble baigner dans l’amnios mixé du provisoire, plutôt le transitoire. Justice transitoire, gouvernement transitoire, exécutif transitoire, économie transitoire, sécurité et presse transitoires etc … En attendant la première échéance du 23 Octobre pour élire la Constituante. Après le temps de la défiguration de l’ancien, viendra celui de la re-figuration du nouveau .
S’il est admis que toutes les composantes sociales revendiquent un droit participatif à l’élaboration de ces réponses, celles–ci requièrent une réflexion plurielle caractérisées par la temporisation et la raison. On ne s’improvise pas juriste, politicien, gardien de l’ordre et journaliste, du jour au lendemain. Comme par enchantement. Ces activités ne préexistaient- elles pas avant 14 janvier ; et qu’en eut-on fait ? Après la « mort « des authentiques héros, les néo- hérauts ne doivent-ils pas faire preuve d’un peu plus d’humilité ?. Par manque de vertu, au sens grec du terme, faut-il comprendre avant d’en admettre l’ampleur du faible rendement réactif ,voire la complice démission de la société -anté.
Le pays était bien bel et bien un vivier de compétences et l’est encore, au regard de plus de 150.000 diplômés du supérieur gambergeant pour la survie. Mais l’élan révolutionnaire a pris tout le beau et le vilain monde de court.
Le peuple de la révolution, toutes générations et classes sociales incarnées qui a occupé les espaces publics n’avançait pas derrière une bannière spécifique d’un quelconque parti « politique ». Il a décidé, sans gourou (e), la chute du mur de la peur, de l’opacité et de clamer, haut et fort, son ras le bol, à la barbe des élites et des gouvernants. C’est une des caractéristiques de la Révolution Tunisienne ,alors que Marianne ( l’Europe ), tout comme sa sœur jumelle Jane ( The United states ) ne voyaient rien venir à l’horizon , en dépit des appels de détresse lancés , par intermittence par « quelques égarés à l’âme vendue à l’Occident oxydé » et des insurgés à l’intérieur de l’Orient résigné et repu.
Ce même peuple n’était pas anarchiste et encore moins nihiliste. Dans son irrationnel, il réclamait le raisonnable, conscient qu’il était que seule la volonté est révolutionnaire .Il importe, par conséquent de respecter scrupuleusement Sa volonté.
Il a déjà proclamé son programme « Dignité et Liberté ».Ni plus, ni moins. Ergoteurs, de tout bord, ne cherchez pas midi à quatorze heures. Suivent , à titre indicatif les 14 premiers points de l’Agenda :
1 - Une Constitution citoyenne - source de toute autorité responsable.
2 - Droit à l’information et non un code de la presse.
3 - Droit à l’emploi et non un code du travail.
4 - Droit à l’éducation et non populisme de l’enseignement.
5 - Droit à la santé et non une médecine de palliatifs et autres talismans.
6 - Droit à un développement égal avec partage équitable des richesses selon l’effort consenti et les besoins des pauvres.
7 - Solidarité transparente et non couverture à l’hypocrisie et à l’enrichissement illicite.
8 - Un exécutif républicain et non une présidence monarchique.
9 - Un parlement du peuple et non une assemblée de parlementaires.
10 - Justice autonome et non pouvoir judiciaire.
11 - Une police publique et non politique.
12 - Une armée nationale et patriotique.
13 - Une administration au service de la collectivité et non des administrés soumis à la bureaucratie.
14 - Egalité et universalité des droits humains et des devoirs civiques.
Pré- bilan et prospectives
Pourtant, à cette période transitoire, sujette à la contingence, il serait illusoire de procéder à la concomitance de la praxis (théorie et pratique), quand bien même la conjonction actuelle des revendications matérielles et les aspirations idéelles relève d’une cadence à terme. La réalisation de ce double objectif ne peut être que planifiée. A moins, de présumer que d’aucuns soient tentés d’aiguiller le pays au couloir (impasse) de la logique réductrice et de la bêtise absolue .
Tout comme un fusil- chasseur ne vise pas deux lièvres à la fois, le pays ne peut, à mon sens, faire face sans méthodologie, à plusieurs fronts d’ordre socio- économique et politique. Avec en (dé) prime supplémentaire, la crise humanitaire à la frontière sud –est avec la Libye où gronde une Révolution de type garibaldien.
Portée par la dignité et la liberté, la Révolution du 14/01 a levé la chape d’acier qui pesait sur les consciences et la pénibilité du quotidien. Elle aura favorisé, entre autres mérites, l’appropriation de soi dans l’espace et le temps ; ainsi que le désir enfoui de l’expression indépendante. Passé le temps de la victoire contre la dictature, pointent ceux du pré inventaire et des prospectives.
D’abord, le pré-inventaire : un pays saigné à blanc par une mafia politico-affairiste. Et pour cause : la quasi absence de tout contre-pouvoir. La plupart des institutions de l’Etat , savamment édifiées par le leader Bourguiba ont été mises au pas et clientélisées. L’astuce de l’ex- président Ben Ali consistait à ne leur octroyer qu’un rôle consultatif … subalterne. Pire que la déliquescence, la délinquance…
Une mécanique d’ascenseur-monte charge qui décolle du RCD ( rez de chaussée de la société ) ou rassemblement dit démocratique ) pour monter vers le palais de Carthage. Et vice versa. Le parti phagocyte l’Etat le transformant en appendice. L’ex - chef de l’exécutif rafle la mise en cristallisant les deux « mamelles » de la nation.
--« Le pays, c’est moi !« a dû susurrer le bovaryste de Carthage à son Emma De Leila.
--Et le Peuple, c’est Nous ! ont vite rectifié les agoras du pays.
Aussi, deux corps institutionnels ont-ils échappé relativement aux mailles du filet : La Justice et l’Armée. La première opère sur le Droit, cette quintessence de l’intelligence humaine,( en toute âme et conscience , quel lourd et profond credo ! ) , s’agissant de l’application de la règle : dura Lex sed lex ( la loi est dure , mais c’est la loi ).
La seconde -réputée muette -demeure fidèle au principe fondateur de défense de la patrie contre tout danger intérieur et/ou extérieur. Pour l’instant, ces deux corps constituent, avec le peuple les planches de salut et le rempart de la révolution, quoi qu’il advienne.
Les prospectives, ensuite. Les comités pluridisciplinaires mis sur pied au lendemain de la Révolution sont astreints à accomplir leur mission jusqu’au bout. Les consensus et les contradictions qu’ils traversent sont autant de signes positifs, ne serait-ce que pour dévoiler la duplicité du discours de certains courants drapés de l’accoutrement politique. Et aussi longtemps que leurs membres restent fidèles aux idéaux du peuple et aux sacrifices de tous les martyrs.
L’objectif étant d’établir de nouvelles règles de la convivialité, du contre-pouvoir institutionnel et civique, afin qu’à l’avenir ne reproduiront -plus-les tares du passé.
La petite histoire enseigne, toutefois qu’en politique rien n’est pris d’avance pour garantie. L’enfer et le Paradis ne sont ils pavés, dit –on de bonnes/mauvaises intentions ...
Sans éthique, sans reddition ( accountability) , le politicien persistera à faire usage de la parole pour cacher sa pensée ,non pas que celle-ci soit indéchiffrable mais parce que l’astuce - encore elle -consiste à manipuler, au préalable les citoyens sondés et souvent crédules. Son objectif étant le Pouvoir , cet invisible qui , de surcroît ne se partage pas . Par analogie, politique sans éthique n’est que pillage de l’économie et ruine de la société.
Pour l’anecdote , le psychanalyste S.Freud reconnaissant à la fin de sa vie qu’il n’avait rien compris à la psychologie féminine, ( rappelez-vous sa fameuse assertion : « …Mais qu’est ce qu’elles veulent ? » confia selon - ses mémoires -que dans chaque homme sommeillerait un Roi . Traduire : X potentats potentiels sur terre. Que le Clément nous en préserve !
Le travail sur et contre soi
Dés lors, tout programme politique ambitionne, dans ses énoncés de répondre aux attentes des uns et aux projets des autres. Il demeure, in fine, un programme tout court.
En général, l’habile politicien n’a pas de difficulté à gloser sur le « quoi « et à étayer le »pourquoi » de son programme.
Il tiquerait, en particulier, une fois sur deux, sur le « Comment » .Voici pourquoi, il appréhende l’exigence de transparence venant du tribunal public représenté, en démocratie par la justice, les médias critiques et l’opposition parlementaire.
Mais que faire quand, bon gré et mal gré, la politique reste l’outil prépondérant en vue d’organiser les affaires de la cité et de ses hommes ; la démocratie : le moins mauvais des systèmes de gouvernement ? Dilemme.
L’ébauche de réponse ne pourrait être que socratique : faire œuvre de maïeutique et de réflexion sur soi .Et contre soi ; afin que le bien en chacun de nous, l’emporte sur le mal. Bien et mal cohabitent sous le même toit et parfois sous la même enseigne … Douter, questionner, dialoguer et lutter , tel serait le tableau de bord de l’homme libre et mortel .
A côté de cela , seul le travail et sa reprise motivée par l’intéressement de ceux qui s’y adonnent avec conscience sont générateurs de croissance, de richesses, d’innovation et d’épanouissement qui font , en définitive,le prestige et la puissance de toute nation.
Si la révolution Prométhéenne du 14/01 avait déclenché dans son sillage, l’étincelle du « Printemps arabe « , l’on augure que les annales du 21 ème siècle retiennent que la Tunisocratie aura été la révolution du peuple pour un peuple engagé et non pour l’ébauche d’une république de l’Absurdie .
Habib OFAKHRI
Journaliste.