Ahmed Néjib Chebbi au Journal AsharQ Al- Awsat : « Nous sommes prêts à gouverner ». Le sont-ils vraiment ?
Dans une interview parue Jeudi 30 Juin, Ahmed Néjib Chebbi déclare au Journal Asharq Al- Awsat, (journal de langue arabe), que son parti est prêt à gouverner la Tunisie. Dans cette interview ANC revient sur le risque d’un retour de la dictature, indiquant que cela n’est pas à écarter, et fait part de sa préférence pour le régime présidentiel avec des pouvoirs régulés du président et du parlement.
ANC considère que Ennahdha a sa place sur l’échiquier politique, mais s’inquiète de savoir ce que ce parti pourrait réserver aux tunisiens à travers une politique inspirée de la religion.
Il déclare enfin que son parti est soutenu par les hommes d’affaires mais pas seulement, justifiant ainsi l’origine des fonds dont disposerait le PDP, et dit envisager d’être tout autant dans l’opposition qu’au pouvoir, mettant en évidence l’importance de l’alternance en démocratie.
Ahmed Néjib Chebbi est pour moi une énigme politique, il n’est jamais là où on l’attend, et ses positions sont surprenantes au moins autant que son discours. Quand il déclare qu’il a le soutien des hommes d’affaires, et avoue sa préférence pour le régime présidentiel, on ne peut pas être sûr que cela lui permette de rassembler une majorité autour du PDP. Les hommes d’affaires ne sont pas très appréciés en Tunisie, et leur implication en politique est souvent synonyme de recherche si ce n’est de prise d’intérêts, quand au régime présidentiel, il est clairement mis en cause par une majorité de nos compatriotes, qui font peser tous les excès subis depuis cinquante ans sur le dos du système politique, et le rejettent catégoriquement aujourd’hui.
ANC serait-il cet opportuniste tant décrié par ses adversaires? Aurait-il des convictions chevillées au corps? Je crois qu’il faut se rendre à l’évidence, ANC ne change pas de discours depuis le 14 Janvier, et tant pis si ce discours ne colle pas toujours à ce que la majorité des tunisiens pense ou attend, tant pis si ses positions désarçonnent quelque peu son électorat potentiel.
Ses attaques contre Ennahdha ne sont jamais violentes, et se concentrent essentiellement sur leur divergence en matière de modèle de société. Il se déclare même contre l’interdiction du niqab, ce qui énerve beaucoup les « laïques », qui auraient pu lui être acquis sans cela. On pourrait cependant lui reprocher de ne pas s’exprimer assez fort contre les dérives et les agressions physiques perpétrées par des islamistes ici ou là.
Ahmed Néjib Chebbi est un libéral, un libéral à la mode anglaise, de ceux qui veulent limiter le moins possible les libertés individuelles, ou encore celles du marché. Il est clair qu’il est en faveur de la liberté en toutes choses, en politique comme en économie, et cela est pour le moins nouveau en Tunisie, culturellement plus proche d’une approche égalitaire telle que prônée en France, issue directement du gaullisme. Seulement voilà, arrivera t-il à convaincre que le chemin qu’il propose est le bon ? En politique rien ne sert d’avoir raison contre les électeurs, ce qui compte c’est de convaincre, y compris dans son propre camp car ANC est manifestement plus à droite qu’il ne voudrait le dire, et que les militants du PDP ne voudraient le croire.
Je ne connais pas assez bien son parcours politique pour savoir d’où lui viennent ces convictions très proches des conservateurs anglais, mais peu importe, il apparaît très à l’aise dans cette orientation. Mais, voilà, des convictions ne font pas un programme. C’est là le talon d’Achille du PDP, et malgré ce qu’ANC peut dire, je ne suis pas sûr que le PDP soit réellement prêt à gouverner.
D’abord le programme concocté par le PDP reste très superficiel et pas assez cohérent, il aura besoin d’être challengé d’abord, puis retravaillé, encore et encore. On ne fait pas un programme en alignant des mesures, il manque une vision globale et une stratégie cohérente.
Le PDP propose par exemple, de réduire les impôts sur les bénéfices des sociétés, en quoi cela se justifie t-il ? Comment va-t-il compenser le différentiel ? En Economie tout est possible, à la condition que cela soit justifié et possible budgétairement, or une telle mesure ne l’est pas. La fiscalité est une vraie question économique d’importance, et ne peut être traitée à coups de « mesurettes », il faut une vraie réforme pour un élargissement de l’assiette et une augmentation des recettes fiscales.
Pour gouverner il faut un gouvernement (oui !), et le PDP n’en a pas, et l’entourage actuel du chef ne fera pas un gouvernement crédible capable de prendre en main les affaires du pays. Alors que manque t-il au PDP? Une équipe certainement, aujourd’hui ANC n’a que des supporters. Les militants de base du PDP qui ont milité et fait de bons opposants hier, ne feront peut être pas les bons gouvernants de demain. Il faudra au PDP passer en peu de temps du statut de parti d’opposition à celui de gouvernement. Rien n’est perdu, mais rien n’est fait encore.
Walid BEL HADJ AMOR