La circulaire 2011-06 de la BCT, une révolution dans le monde bancaire ?!
Jamais le thème de la gouvernance n’a sucité autant d’intérêt. Est-ce un réveil des consciences, une volonté de réformes, un changement de cap, une détermination de passer à plus de pratique ou bien carrément une rupture avec un passé ponctué par certaines malversations et des comportements véreux notamment au niveau de la sphère financière en Tunisie ?
Nonobstant les raisons, le fait est là : gouvernance publique, gouvernance privée, gouvernance régionale, gouvernance locale, gouvernance organisationnelle ou gouvernance bancaire, ce thème mobilise toute l’actualité dans un pays post-révolutionnaire et porte sur les différents aspects de la vie politique, économique et sociale.
C’est dans ce contexte mouvant d’ailleurs, que la Banque Centrale de Tunisie (BCT), guidée par sa nouvelle propre gouvernance, vient de publier une nouvelle circulaire visant l’ensemble des établissements de crédit de la place de Tunis et définissant un ensemble de règles de bonne gouvernance devant être observées dans l’objectif d’asseoir une gestion saine et prudente qui garantit la pérennité de ces établissements de crédit, tout en préservant les intérêts des actionnaires, des créanciers, des déposants et du personnel.
Dès les premiers articles, le ton est bien donné et la rigueur est de mise dans l’exigence d’une gouvernance optimisée en référence en même temps aux « best practices » au niveau international mais aussi aux particularités et aux spécificités du système bancaire tunisien. Ainsi, la séparation des pouvoirs de contrôle et d’exécution est vivement recommandée, la gestion des risques, priorisée, la diligence et la compétence, élevées au rang de valeurs cardinales, la gestion prudentielle, de mise et la pertinence de la communication financière et comptable, prônée dans le cadre de cette circulaire 2011-06.
Par ailleurs, force est de constater que le Conseil d’administration, en tant qu’organe majeur de gouvernance interne, redore son blason à travers ces dernières recommandations de la BCT et retrouve toute la place qu’il doit avoir dans un système de gouvernance bancaire qui se veut aussi bien disciplinaire que créateur de valeur ! Ainsi, les responsabilités, les rôles et les missions dévolus à cet organe collégial sont bien explicités. A noter qu’au-delà de son rôle de contrôle et de surveillance, le Conseil d’administration d’un établissement de crédit doit pertinemment jouer un rôle stratégique et les administrateurs doivent pouvoir être bien impliqués dans les réflexions et la conception des politiques stratégiques adoptées par leurs établissements, et en assurer le suivi. Ainsi, le Conseil d’une banque n’est plus perçu comme une simple « chambre d’enregistrement », il devient un répertoire de connaissance, une caisse de résonance et un organe actif mobilisant des compétences et des savoir-faire au service de la bonne marche et de la performance durable et partenariale d’un établissement de crédit.
La composition même de cet organe de gouvernance est bien abordée et constitue l’un des points forts de la circulaire 2011-06. Ainsi, la présence d’administrateurs indépendants est exigée ! Au moins deux membres n’ayant ni une relation significative avec le capital de l’établissement ni une relation en tant que client, fournisseur ou prestataire de service, doivent faire partie des Conseils de nos banques et de nos entreprises de leasing et de crédit. L’administrateur indépendant doit être au-dessus de tout conflit d’intérêt et assurer la fiabilité du contrôle exercé par le « board ». Cette notion d’indépendance des administrateurs constitue l’un des principes de base d’une bonne gouvernance bancaire.
Par ailleurs, trois comités spécialisés ad-hoc sont recommandés par la circulaire 2011-06. Un comité d’audit, un comité des risques et un comité de crédit. Des administrateurs, notamment indépendants, président et composent ces comités qui doivent assister le Conseil dans l’exécution de ses missions notamment la préparation de ses décisions stratégiques et l’accomplissement de son devoir de surveillance.
A signaler que la notion de risque est fondamentale en matière de gouvernance et une identification précise et pertinente des risques encourus par un établissement de crédit doit être adoptée à travers l’établissement de cartographies et de tableaux de bord permettant aux organes de contrôle d’évaluer la situation à chaque instant et d’anticiper l’occurrence de certains risques dans une approche prudentielle indispensable à la bonne marche des établissements de crédit.
D’un autre côté, les questions de rémunération, de nomination et de communication sont bien valorisées dans la circulaire 2011-06 de la BCT. Ainsi, il n’est plus question en effet de laisser l’exécutif décider sans contrôle préalable, du niveau des rémunérations octroyés aux dirigeants ni même de monopoliser le pouvoir de nomination notamment des membres de l’organe de direction et des responsables de l’encadrement supérieur. Par ailleurs, les établissements de crédit doivent optimiser davantage leur communication notamment concernant les pratiques de gouvernance adoptées et les procédures de contrôle interne suivies.
Au final, cette initiative de la BCT est certes louable et d’un grand intérêt pour un développement plus consolidé de notre économie nationale, faut-il néanmoins bien appliquer les dispositifs de la circulaire 2011-06, d’en assurer le contrôle et de sanctionner, auquel cas, tout établissement contrevenant ou réfractaire. Cependant, et au-delà des circulaires et des textes juridiques, c’est d’une véritable culture de gouvernance dont nous avons besoin et qui serait un préalable à toute réforme de nos systèmes et de nos organisations.
Par Dr. Moez JOUDI
Vice-président de l’Institut Tunisien des Administrateurs (ITA)
Administrateur de sociétés