Sfax, interdite de développement?
Au milieu des années 80, un « savant" découpage du territoire divise la Tunisie en 6 zones dont le centre-est qui inclut Sfax. La « capitale » de cette zone étant Sousse.
Sfax devient ainsi une ville de seconde importance et perd son statut de capitale du sud et du second poumon économique du pays et perd par conséquent le rôle de locomotive de toutes les régions limitrophes. Ce découpage, qui est toujours en vigueur, est la manifestation tangible du plan machiavélique pour marginaliser la seconde ville du pays, une ville rebelle et qui ne s’est jamais alignée sur les tyrannies successives. Ce découpage a eu d’énormes conséquences en termes de décisions d’investissements publics, d’organisation de l’administration et d’aménagement du territoire. Un exemple de cela est le fait que la direction régionale de la douane a été déplacée à Sousse. Ainsi certaines formalités administratives ne peuvent plus se faire à Sfax alors que Sfax dispose d’un des ports les plus actifs du pays. Second exemple est que Sfax occupe la 18ème place en termes d’investissement public par tête d'habitant.
L’autoroute n’arrive à Sfax qu’en 2008. L’aéroport n’a été aménagé que très tardivement après une multitude de » batailles » de la société civile locale. Un aéroport qui ne fonctionne actuellement qu’à 5%.
(Sfax a été ainsi coupé des flux d’investissement étrangers. Elle n’attire aujourd’hui que 3% des investissements étrangers alors qu’elle représente 10% de la population. Conséquence Sfax à loupé le virage de la mondialisation ).
Tous ces « freins « : absence de direction régionale des douanes , un port paralysé , un aéroport en veilleuse , un environnement et une qualité de vie médiocres n’ont fait que rendre la ville enclavée, coupée du monde extérieure . Cela a entrainé la fuite de ses capitaux et un manque d’investisseurs étrangers dans une ville réputée par son dynamisme et le sens de l’entreprenariat de ses habitants.
Le port ne fonctionne qu’à 30%/40% de sa capacité et le projet de le modernisé pour accueillir des conteneurs est encore sur le papier.
L’acharnement des autorités fiscales (contrôles fiscaux répétés contraignants et ciblés) et les incitations fiscales « bien étudiées », commerce parallèle, ont fini par vider Sfax de son industrie et de ses industriels soit pour fermer boutique ou pour aller s’installer dans les zones plus clémentes fiscalement. CQFD : Sfax n’est plus le premier pôle industriel du pays qu’elle fut.
La qualité de la vie et l’état des infrastructures et des équipements publics est dans un état lamentable et indigne de la seconde ville du pays. Sfax a ainsi un taux de mortalité nettement supérieur à la moyenne nationale en raison d’une pollution qui sévit depuis les années 50. Aujourd’hui une des usines NPK est fermée, la seconde SIAPE à peine à quatre km du centre ville continue à produire par elle-même autant de pollution que toute la zone industrielle de Gabes. La décision de fermer la SIAPE fut prise en 2008 pour être effective Juin 2011. Toujours rien à ce jour et les rejets de l'usine continuent à empoisonner l’atmosphère , la mer et la nappe la ville de ses senteurs. Ces deux usines ont causé des dommages majeurs sur le littoral de Sfax coupant Sfax de sa mer. Une ville sur la côte mais qui tourne son dos à sa mer par la force des choses. C’est tout de même étrange que beaucoup de quartiers anarchiques s’entassent sur la côte alors dans le monde entier le bord de mer est toujours la partie la plus huppée.
Les 420 hectares de Taparura issus de dépollution de la côté nord infectée autrefois par la NPK) sont une vraie opportunité pour Sfax mais encore faut-il impliquer tout le monde dans la conception du projet et sortir du "voir-petit".
Autre chiffre marquant, Sfax a un taux de mortalité sur les routes supérieure à la moyenne nationale. Cela s’explique par l’état désastreux des infrastructures et l’absence de transport public. Routes et chaussées inadaptées et dans un état désastreux et soumis à la pression d’une circulation intense des automobiles et des taxis individuels transformés en taxi collectifs font qu'on a plus de chance (façon de parler!!) de se faire tuer sur les routes des Sfax.
Sfax a vu naitre un grand nombre de quartiers « sauvages » abritant 131 000 personnes issus d’un exode rural non maîtrisé et non géré. Ces quartiers occupent aujourd’hui moins que 2% de la superficie de la ville. Ceci veut dire des conditions de vie indignes, une vie ni rurale ni citadine. Aujourd’hui ces quartiers exigent plusieurs centaines de millions de dinars d’investissement pour les réhabiliter, les intégrer dans la vie de la ville et pour donner à leurs résidents des conditions de vie décente.
Beaucoup des fils/filles de Sfax ont été obligés de quitter leur ville à la recherche d’un emploi prometteur ou de conditions de vie plus agréables ailleurs. Cet exode à double sens fait que le niveau du pouvoir d’achat a été baissé entrainant une paupérisation perceptible.
Tous ces « freins » : absence de direction régionale des douanes , un port paralysé , un aéroport en veilleuse , absence d’un statut de ville touristique, un environnement et une qualité de vie médiocres, etc. n’ont fait que rendre la ville enclavée, coupée du monde extérieure . Cela a entraîné la fuite de ses capitaux et un manque d’investisseurs étrangers dans une ville réputée par son dynamisme et le sens de l’entreprenariat de ses habitants.
Autre illustration du retard du développement : ce n’est pas pour rien que le prix du mètre carré est de l’ordre de 80-150 dinars dans les zones pour maisons individuelles alors que le prix d’un terrain équivalent sur Tunis serait de l’ordre de 500-700 TND et de 300-500 TND sur Nabeul ou Sousse.
Le retard du développement de Sfax n’a pas été le fruit d’un hasard mais d’une politique pensée, réfléchie et loin d’être innocente par Ben Ali. Maintenant la donne politique a changé et l’équité entre les régions est possible.
Sfax doit reprendre son rôle de capitale du sud et redevenir le second poumon économique de la nouvelle Tunisie, un poumon dont la Tunisie a grandement besoin en ces temps très difficiles. Ce rôle elle a les moyens de l’assumer.
Cela est possible grâce à une culture du travail et du travail bien fait et un fort esprit d’entreprenariat mais cela ne se fera pas sans une mobilisation et une solidarité entre Sfax la ville avec son arrière pays et entre la région de Sfax et toutes les régions du centre et du sud.
Enfin, il est grand temps de repenser notre modèle de gouvernance et de développement régionale avec comme objectifs une vraie autonomie, une solidarité et une complémentarité de toutes les régions de la Tunisie.
Imed Ayadi
Vice Président Association Beit El Khibra (– Forum Actions et Développement de Sfax)