Ferid Memmich ou le Sage Impertinent

C’est un personnage qui me fait penser au célèbre Zénon, alchimiste, dans « l’OEuvre au Noir » de Marguerite Yourcenar, ou à un portrait de l’École de la peinture hollandaise avec en même tant cette opulence des mots et le souci de la précision...c’est Férid Memmich, actuel Conseiller Principal près le Président de la République tunisienne par intérim.

L’homme et l’intellectuel est modeste mais infiniment déterminé à faire en sorte que la transition soit la plus réussie possible, valorisant toujours les objectifs de la Révolution et la Dignité de l’État.

Sciences Politiques Paris, licence de philosophie à la Sorbonne, puis une thèse épistémologie, brève carrière d’enseignant de philosophie, et un passage au C.F.J dans la capitale française, a fréquenté les milieux intellectuels et culturels des années fastes pour lui et quelques uns de sa génération du Paris d’alors... pour ensuite rejoindre ,contre toute attente, un Groupe Industriel privé d’importance. Ainsi il a pu tisser autour de lui et en marge de ses différentes activités, des réseaux aussi divers qu’efficients qu’il mettait au service de la Tunisie d’une manière discrète et feutrée.

C’est ce point qui le tenait le plus à coeur ! Depuis les années soixante, suivant l’exemple de ses ainés, devenus un peu plus tard ses grands compagnons de route pour un parcours militant tant à l’UGET qu’au PSD…Ces compagnons représentaient déjà l’aile libérale des courants politiques, de cette époque dont le très regretté Dali Jazi,Mustapha Ben Jaafar, Mohamed Ben Ahmed, Abdelhay Chouikha, Faouzi Ben Hamida.... Ce climat, militant et formateur, l’a préparé à assumer des responsabilités plus engagées, sur le chemin du militantisme au niveau national comme au sein du mouvement des étudiants destouriens, dont un groupe, mené notamment par Férid Memmich a combattu farouchement la Direction du Parti Destourien qui venait d’introduire «la fonctionnarisation» de s militants et la création des fameuses milices. L’ouverture sur le Monde et sur ce qui s’y passe, une attention aigue à toute action, projet ou suggestion qui pourrait mieux servir la Tunisie, sont des traits marquants de son caractère et constituent certaines de ses grandes qualités. Avec calme et discernement, il s’attache à agir en accord parfait avec le Chef de l’Etat M. Foued Mebazza ,pour tenter de contribuer à construire avec toutes les composantes de la société civile et des forces politiques, un projet de société nouveau conduit par l’expérience des uns et des autres ,la ferveur et la ténacité de cette jeunesse formidable, de ces femmes d’exception qui ont fait que la révolution tunisienne, une révolution d’une civilité remarquée et remarquable, nonobstant un certains nombre d’actions négatives.

Le militantisme donnait un sens à la Vie , aux valeurs de Liberté, de démocratie auxquelles on tenait malgré les difficultés et les contraintes des années soixante-dix. Il considérait toujours que « notre militantisme trouve sa finalité en lui même.... Nous ne voulions pas être de simples consommateurs passifs d’idées et de programmes mais créateurs et producteurs de nouveaux concepts afin d’enrichir le débat politique et intellectuel». Mais la belle aventure militante autour des journaux d’opposition Errai et Démocratie (en arabe et en français) semble avoir marqué mon interlocuteur. Il est vrai que des Hommes de qualité à l’image du regretté Hassib Ben Ammar, Béji Caid Esssebsi , Ahmed Mestiri , Habib Boularès et d’autres, ont permis, avec audace et conviction, de creuser le sillon de l’idée démocratique. Ce fût, pour la vie politique tunisienne contemporaine « une expérience militante et humaine Unique». Entre les années 71 et 80,l’ émergence d’une opposition créatrice, positive, avant-gardiste enrichissait le débat national. Ce groupe totalement informel a joué un rôle d’arbitre pendant les évènements sanglants du 26 janvier 1978.

La «nostalgie» de ces années là où on critiquait, en toute conscience et responsabilité, en aspirant à un société meilleure, basée sur la justice, l’équité et la liberté bien comprise demeure d’actualité. Bien évidemment ce n’était pas la formidable Révolution du 14 Janvier, qui malgré certaines actions et attitudes sporadiques passives ou négatives, finira par s’en sortir...dans la Dignité et le respect de la mémoire des martyrs historiques et ceux d’aujourd’hui. Paix à leurs âmes.

L’autre dimension de ce fin analyste, c’est sa contribution, en qualité de Chargé de Mission au Ministère de la Jeunesse et des Sports, à l’organisation de la Première consultation nationale sur la jeunesse en 1988.Cette Consultation conçue pour être libre de toute censure et de toute contrainte politique et administrative tant au niveau de l’État que du Parti. Le Ministre de l’époque, un Homme d’ouverture, de culture et d’action, n’est autre que M.Foued Mebazza qui avait adressé aux gouverneurs et aux autorités nationales, régionales et locales une lettre dans laquelle il les exhortait à ne pas interférer dans le déroulement de ces consultations des jeunes. Effectivement la jeunesse a pu s’exprimer librement. Ce fut un formidable exercice démocratique. Mais cet élan a été cassé par les instances du RCD qui ont reçu cette exigence d’authenticité démocratique comme un affront et un revers. Le combat cessa par la mise à l’écart des combattants, Ministre en tête».

Le combat collectif d’aujourd’hui est un combat pour une Tunisie différente qui assume sa Modernité et son Héritage avec cette noble ambition de la Jeunesse et de la Société dans son ensemble d’en sortir meilleurs, plus en harmonie avec l’évolution positive du monde et de percevoir l’avenir et l’Historicité avec sérénité et acharnement pour que ce pays pionnier retrouve son dynamisme économique et rejoigne, dans le respect et la considération, les pays avancés. La Tunisie mérite ce couronnement pour une démocratie participative, citoyenne et responsable. Car la légitimité de revendiquer des droits ne peut avoir un sens durable que si elle est accompagnée du respect des obligations toutes aussi citoyennes que démocratiques. L’exercice démocratique n’est pas chose aisée mais c’est du domaine du possible afin « d’assurer une transition aussi saine qu’espérée de l’exercice démocratique». Férid Memmich croit en ce civisme citoyen nourri, en cela par cette fibre militante et patriotique, érigée en règle de conduite qu’il s’attache à ne jamais transgresser.

Le militant et citoyen a vécu cette Révolution Tunisienne, qui a surpris le Monde, par sa ferveur et sa ténacité, comme « une formidable accélération de l’Histoire accentué par ce sentiment complexe de l’intensité du Temps. Le Temps de l’Histoire n’est pas le temps de l’individu...l’intellectuel est en perpétuel balancement entre le vécu réel et le vécu perçu...Une certaine Tunisie s’est évanouie à jamais. Une autre Tunisie, nouvelle et ambitieuse, fière de son Héritage historique, se construit avec passion. Cette oeuvre collective et salvatrice dépasse l’angoisse que l’on peut ressentir devant les inconnues que nous ne pouvons maîtriser qu’après l’extinction de notre génération». Néanmoins il a la conviction de croire que «cette angoisse n’est ni pessimisme ni peur de l’Avenir mais plutôt un moteur ardent, qui se déclenche pour défendre l’Essentiel: un modèle de société démocratique, bien organisée, policée où surtout l’esprit critique reste ouvert à la rationalité».

Férid Memmich, c’est aussi la sérénité apparente qui laisse entrevoir des moments de révolte devant la bêtise humaine et les ratés qu’on pouvait éviter. Il a raison La Tunisie est Grande par la valeur de ses femmes, de ses hommes et de sa jeunesse, qui malgré les contradictions, a toujours regardé vers la Modernité bien comprise et une identité assumée. Homme de culture qui dévore les livres classiques et les contemporains ,apprécie le Malouf et le jazz, est à l’aise aussi bien dans les plus grands lieux gastronomiques que le petit et authentique restaurant de la Médina où il sait partager le plaisir avec ses amis ...dans une atmosphère conviviale et une simplicité complice. Malgré la courtoisie, inscrite dans la chair vive, il a toujours été un acharné du travail bien fini, du dossier consciencieusement achevé...et un sourire qui désarme les plus intraitables! L’homme c’est aussi l’Ami fidèle et loyal, dont plusieurs peuvent en témoigner, qui savoure les exquises conversations sur les arts et sur le cinéma en particulier... Il a le privilège de voir aujourd’hui un cinéma vivant, national.... et en Direct.

Amilcar Barca