Entreprises confisquées : toutes les parties enfin réunies pour les préserver et préparer leur bonne cession
Elles sont pas moins de 320 entreprises, appartenant au clan Ben Ali et faisant l’objet de confiscation au titre du décret-loi N° 13 du 14 mars 2011, totalisant des actifs de plus de 5 milliards de dinars, employant plus de 15 000 salariés et engagées auprès du système bancaire pour près de 3 milliards de dinars. De diverses formes juridiques et tailles, elles interviennent dans de nombreux secteurs et exigent toutes, immédiatement, une prise en charge effective pour ne pas chavirer. La justice y a paré dès le lendemain du 14 janvier en désignant administrateurs judiciaires, juges contrôleurs et séquestres. Banques, fournisseurs et autres créanciers qui se sont empressés d’exercer leurs droits et la Commission des confiscations ainsi que le Responsable Général du Contentieux de l’Etat se sont mis à l’œuvre. A l’exécution, de multiples problématiques ne cessent du surgir ce qui a amené à compléter les dispositions initiales par de nouvelles apportées par le décret-loi N° 68 du 14 juillet 2011, portant création d’une commission nationale de gestion, instituée auprès du ministre des Finances. Mais, est-ce suffisant ?
Quelles sont les imperfections relevées ? Comment les administrateurs judiciaires vivent leurs missions ? Quelles difficultés rencontrent les entreprises concernées ? Qu’en pensent les banques ? Et comment opère la Commission des confiscations ainsi que le Responsable du Contentieux général de l’Etat ? Il a fallu réunir, pour la premières fois, toutes ces parties concernées, pour en débattre, à la faveur du colloque organisé mercredi 20 juillet 2011 à l’IACE, par l’Association Tunisienne du Droit des Affaires, en collaboration avec Leaders. Son président, Me Azer Zine El Abidine, le soulignera en ouverture des travaux : nous devons formuler ensemble les recommandations appropriées afin que ces biens désormais récupérés par le peuple, soient non-seulement protégés, mais aussi fructifiés.
Si Me Moncef Barouni s’est attardé, en introduction, sur les problématiques, c’est surtout pour dégager les bonnes solutions à concevoir : comment mobiliser tous les intervenants en faveur de la pérennité de l’entreprise et repousser ceux qui veulent la dépecer ?
M. Adel Ben Ismail, président de la Commission nationale des confiscations le dira sans ambages : un climat très tendu s’est rapidement installé dans un grand nombre de ces entreprises, attisé par divers facteurs internes et externes. Même s’il ne le mentionne pas clairement, il ne faut pas sans exclure les concurrents et les prétendants à l’acquisition. "Les créanciers se sont manifestés rapidement et avec force. Il y en a eu de différentes catégories : de vrais, de très anciens qui n’avaient jamais osé réclamer leur dû et même de faux créanciers qui ont essayé de duper les nouveaux administrateurs. Le système bancaire s’est rétracté, des administrations publiques ont gelé leurs commandes et d’autres fournisseurs ont cessé tout approvisionnement. Nous nous sommes retrouvés, avec les administrateurs judiciaires, souvent, dans des conditions très délicates. Aujourd’hui chaque entreprise fait l’objet d’un audit global approfondi et des solutions appropriées sont recherchées. Ce qui n’est guère aisé".
Abdellatif Abbès, Mourad Rekik et d’autres administrateurs experts-comptables y apporteront un témoignage poignant d’un effort quotidien titanesque pour parer au plus urgent, sauver la mise, ramasser le salaire du personnel, obtenir de quoi acheter la matière première ou payer les importations. Des écoles s’opposent à ce sujet : faut-il nommer pour ces missions des experts comptables ou des gestionnaires, voire de haut commis de l’Etat, parmi les spécialistes de chaque secteur ? Une seule certitude, préserver l’entreprise confisquée n’est pas facile, alors comment aller jusqu’à la relancer ?
Deux managers partagent leur expérience : Mehdi Mahjoub, à la tête de KIA Motors et Slaheddine Kanoun, administrateur provisoire de Banque Zitouna. Ils gardent espoir. Kais Feki, expert-comptable et chercheur universitaire dressera une typologie affinée des entreprises concernées de leurs spécificités, afin de montrer la complexité du dossier et la nécessité d’une approche globale. Des avocats, mais aussi des banquiers, les représentants de la BCT, de la Bourse de Tunis et d’autres instances interviennent, apportant des témoignages, proposant des recommandations.
Il s’agit d’’abord de rétablir la confiance en l’entreprise, de redresser son image et de corriger certains malentendus. Ce n’est pas l’entreprise qui est ciblée, mais certains de ses actionnaires qui en sont expropriés. Aujourd’hui, l’Etat en est propriétaire totalement ou partiellement. Il va falloir envisager la transmission de cette propriété selon des modes de cession avantageux, mais aussi incitatifs. La Bourse s’y prête à travers ses divers instruments, comme l’a rappelé, M. Abderraouf Boudabbous, directeur à la BVMT. Parmi les propositions avancées à ce sujet, pour les sociétés cotées en bourse, d’abord, la réservation d’un quota aux autres actionnaires actuels pour les remercier d’avoir gardé le titre et, d’autre part, la vente au cours actuel, en faisant jouer la loi de l’offre et de la demande.
Pour les autres entreprises, un consensus se dégage en faveur d’une vente aux enchères publiques, même si certains souhaitent privilégier dans certains cas la cession sur appel d’offres à des partenaires stratégiques potentiels. Mais, l’essentiel, comme dira un avocat, c’est de trouver quoi vendre et à sa juste valeur. D’où l’importance de la qualité du management.
Les recommandations présentées par Mes Adel Belhajjala et Souheir Kaddachi, insistent notamment sur la mise en place d’un mécanisme de concertation et de coordination associant la Commission des Confiscations, le système bancaire et les administrateurs. Mais aussi, l’encadrement et l’appui des administrateurs, le traitement des cas avec professionnalisme et rigueur, la mobilisation des ressources humaines au sein des entreprises, l’accélération de l’évaluation précise des actifs et l’engagement de leur cession.
Cinq heures d’échanges et de débats n’ont pas suffi pour aborder tous les thèmes, mais ont permis, comme l’ont conclu d’une seule voix de nombreux participants, de mettre en synergie toutes les parties concernées : se connaître et se parler est déjà un premier pas.