News - 25.07.2011

Des étudiants tunisiens préparent un projet de constitution en moins de cinq mois, qui dit mieux ?

Une expérience inédite que celle entreprise, en toute discrétion, par les étudiants de la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, depuis le mois de févier 2011. Ils ont simulé pas moins que l’élection d’une constituante en prenant comme terrain d’expérimentation leur institution universitaire. Le nombre de sièges a été défini selon le nombre d’étudiants de chaque niveau d’études, des candidats se sont présentés et ont fait campagne autour de leur programme puis les étudiants ont voté selon le système des listes. Le 11 mars 2011, l’Assemblée constituante élue a tenu sa première réunion, élu son Président et ses Vice-Présidents et établi son règlement intérieur. Puis elle a commencé à plancher sur un projet de constitution pour la Tunisie.

Un peu plus de quatre mois après, et plus exactement le vendredi 22 juillet 2011 à 18h à Hammamet, les membres de cette Assemblée ont présenté le rapport de leurs travaux et le projet de Constitution auquel ils sont parvenus. Solennellement, le Présidents et ses collaborateurs se sont présentés à la tribune devant une assistance venue les écouter et discuter leur projet, encouragés par leurs enseignants qui les ont aidés et encadrés tout au long de la préparation de cette constitution.
 
La constitution proposée par cette jeune assemblée est plus volumineuse que l’ancienne constitution tunisienne de 1959. Ses membres expliquent l’ajout des nouvelles dispositions par un accent plus grand qui est mis dans ce projet de constitution sur les droits et les libertés fondamentales ainsi que l’introduction de ce que l’on appelle les droits de troisième génération dont le droit de tout citoyen à vivre dans un environnement sain.
 
Le rapporteur général de l’Assemblée, dans son exposé des articles de la nouvelle constitution en projet, a fait part des sujets débattus au cours de son élaboration. L’article 1 de la constitution a ainsi été particulièrement discuté par les membres de l’Assemblée qui ont finalement conclu à la modification de certains termes qui existaient dans le premier article de la précédente constitution tunisienne. Notamment, le caractère civil de la République a été expressément cité et la mention que l’islam est la religion de la Tunisie a été, finalement, maintenue. De même, le rapporteur rappelle les conditions historiques particulières dans lesquelles a été instaurée cette mention. Toujours dans ce premier article, les membres de l’Assemblée constituante de la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et sociales de Tunis ont remplacé l’expression « l’arabe est sa langue » par « l’arabe est sa langue officielle », ce qui ouvre la voie à la reconnaissance des autres langues utilisées en Tunisie. 
 
Par ailleurs, le projet de constitution nouvellement établi énonce explicitement que la Tunisie est un Etat de droit où la peine de mort, qui n’est plus appliquée depuis longtemps dans notre pays, est supprimée. Il accorde également une importance aux accords internationaux équivalente à celle de la constitution, ce qui n’était pas le cas auparavant, ce qui consacre l’entrée de la Tunisie dans le cercle des Nations respectueuses des droits humains universels. 
 
Quant au régime politique proposé, c’est un régime présidentiel avec renforcement des pouvoirs législatifs, un système qui garantirait une meilleure stabilité dans un paysage politique tunisien caractérisé actuellement par une myriade de partis politiques. La séparation des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire a été consacrée et la dualité, entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif, a été maintenue au vu du rôle essentiel joué, durant les dernières décennies, par le tribunal administratif concernant les abus d’une administration publique qui a été trop souvent soumise aux instructions et non au respect des règles de droit. Il est même préconisé de faire du juge administratif un juge à part entière alors qu’il était jusqu’ici entre le juge et l’administratif, de prévoir des tribunaux administratifs régionaux et de mettre sur pied un tribunal constitutionnel qui sera le garant de la constitutionnalisation des lois votées par l’Assemblée Nationale, cette dernière maintenant ses deux chambres.
 
Un débat vigoureux a eu lieu suite à la présentation de ce projet de constitution par les étudiants. La plupart des questions ont porté sur ce fameux article Un et sur la place de l’islam et de la langue arabe dans la nouvelle République Tunisienne, telle qu’elle sera inscrite dans la nouvelle constitution. Ce débat augure de ceux qui auront lieu au sein de la prochaine Assemblée constituante qui sera élue au mois d’Octobre prochain. 
 
On n’aura donc pas fini d’entendre parler de l’article premier de la constitution tunisienne et cet exercice pédagogique a été très instructif et a eu le mérite de démythifier la préparation d’une constitution qui a été élaborée par des étudiants, qui ont eu en parallèle à suivre des cours et passer des examens, en moins de cinq mois. Leurs aînés, futurs élus, sont prévenus !
 
En marge de la présentation de cette constitution, un panel d’experts est intervenu pour parler de « Constitution et démocratie » avec la présentation des expériences américaines et turques notamment. C’est dans ce cadre que le Juge Stephe, G.Breyer, Juge à la Cour Suprême des Etats-Unis d’Amérique, est intervenu par visioconférence pour parler de la Constitution américaine qui date de 1787. Le secret de la longévité de cette Constitution s’expliquerait, selon lui, par son caractère général qui est axé autour de valeurs universelles constantes qui pourraient être transposables dans tout autre pays comme la garantie d’un Etat de droit, d’un système démocratique pour établir des lois qui reflètent les besoins de la communauté, des libertés fondamentales des hommes et des femmes, du respect des minorités, de la séparation des pouvoirs, etc.
 
En mettant en place une constitution érigée en système abstrait, les pères fondateurs lui auraient garanti une continuité et ont fait confiance dans les juges, dans les Présidents de la République et dans le peuple d’Amérique pour que les interprétations futures ne déforment pas l’esprit initial dans lequel elle a été forgée. Fadhel Moussa, Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, en remerciant ce brillant orateur lui lance : « vous êtes un homme heureux parce que vous avez une constitution entre les mains, nous n’avons pas de constitution actuellement en Tunisie, l’ancienne n’est plus valable et la nouvelle n’est pas encore élaborée ».
 
Par la suite, l’expérience turque a été présentée d’abord brièvement par le Professeur Ahmed Goken de l’Université de Marmara en Turquie qui a raconté les péripéties de la République naissante de Turquie où des élections libres se sont succédées aux coups d’Etat militaires depuis les années 1960 jusqu’à aboutir à la Constitution de 1982 qui a consacré les droits fondamentaux et les libertés notamment celles de l’expression et du culte. Ensuite, le Professeur Izzet Ozgenc a pris la parole pour présenter une approche comparative des constitutions turque, allemande et américaine.
 
Il est à noter que cette manifestation a été organisée par l’association Almadanya (www.almadanya.org ), présidée par Lotfi Maktouf, un avocat tunisien, ancien du FMI, spécialisé dans les métiers de conseil et d’investissement privés et de mécénat, qui sponsorise dans le cadre de son programme Campus des conférences-débats sur des thèmes d’intérêt pour la société civile tunisienne.
 
Anissa Ben Hassine