Enseignement Supérieur et Chômage des Diplômés : « Le Tunisien Eduqué »
Alors que le marché international de l’emploi s’arrache les compétences, des dizaines de milliers parmi les diplômés issus du système universitaire tunisien se trouvent en chômage, pour la majorité, prolongé, sans perspectives d’emplois. La réforme du système universitaire constitue une priorité et ne peut attendre les échéances politiques. Il s’agit d’un travail qui peut être fait par des professionnels en la matière. Parents et nouveaux bacheliers subissent de nos jours le processus d’orientation universitaire utilisant les mêmes critères et procédés qui ont conduit le pays à la situation dans laquelle il se trouve. En l’absence d’actions urgentes et courageuses pour réformer le système, nous risquons de voir plusieurs «Bacheliers de la Révolution » subir le même sort que leurs prédécesseurs.
Enseignement Supérieur et Prospérité Economique
Nul ne doute que la prospérité économique constitue un pré requis au « droit au travail », à la dignité, à la cohésion sociale et au processus de démocratisation dans son ensemble. L’éducation est la meilleure voie à la réalisation de cet objectif. Dans ce contexte, le Prix Nobel d’Economie Paul Krugman affirme dans un de ses éditoriaux que « …si nous avions à résumer le succès économique de Etats-Unis d’Amérique par un seul mot, ce mot serait l’Education ». On peut affirmer que l’éducation et la formation professionnelle constituent un secteur stratégique de première importance pour la réalisation des objectifs de la révolution et pour un développement économique harmonieux et soutenu.
La Tunisie de l’ère de Bourguiba a misé sur le développement de son capital humain en favorisant les investissements dans l’éducation et l’émancipation de la femme. Cette stratégie s’est avérée fort payante puisqu’elle a permis au pays d’atteindre un revenu par habitant des plus élevés en Afrique.
Le régime Ben Ali a privilégié la quantité des diplômés au détriment de la qualité. Tous les bacheliers avaient le droit d’accès à l’université pour suivre des études en fonction des capacités existantes et non en fonction des besoins des entreprises. Il en est résulté près de 170 000 qui ont des diplômes sans valeur aucune sur le marché de l’emploi et qui sont voués au désespoir après un chômage prolongé. Cette situation a largement contribué au déclenchement de la révolution et pose un problème sérieux pour la stabilité du pays.
A ce jour, les débats politiques dans le pays ont porté sur le type de sociétés et sur le régime politique à adopter. Les orientations en matière d’enseignement supérieur et les réformes à entreprendre pour mettre fin à l’attribution de diplômes sans les compétences y rattachées ne semblent pas être à l’ordre du jour des chantiers urgents et prioritaires.
Certes, il n’y a pas de bâton magique pour réformer un système universitaire en quelques mois. Toutefois, l’amorce d’une nouvelle vision d’un enseignement supérieur offrant des programmes orientés vers les besoins du marché et de nouvelles perspectives rassurantes est de nature à redonner confiance et espoir aux nouveaux bacheliers et à leurs parents.
Enseignement supérieur et chômage des diplômés
Concernant la problématique du chômage des jeunes parmi les diplômés, il y a lieu de reconnaître les efforts louables du Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, du Ministère de Développement Régional, d’autres Départements ministériels, et de bon nombre d’initiatives émanant d’Association de la Société Civile pour créer de nouveaux emplois. Par ailleurs, l’offre de certains pays amis de recruter des tunisiens pour alléger le fardeau des diplômés en chômage est à saluer. Toutefois, il s’agit du recrutement de jeunes possédant les compétences recherchées par les employeurs du pays d’accueil.
Il est un fait que la question de la résorption du chômage des diplômés ne peut pas être résolue uniquement par la création d’emplois. Les institutions universitaires peuvent donner à ces jeunes des compétences réelles pour favoriser une insertion fiable et durable dans la vie active. L’organisation de programmes d’envergure et la mobilisation de moyens conséquents pour la « mise à niveau et le développement du niveau de compétences des diplômés en chômage » en étroite collaboration avec les employeurs potentiels tunisiens et étrangers s’avère nécessaire et urgente. Une telle approche serait moins coûteuse et plus fiable que la création de nouveaux emplois dont certains risquent de ne créer aucune ou peu de valeur ajoutée et présenteraient de ce fait un caractère précaire.
Un enseignement Supérieur de qualité axé sur le développement des compétences recherchées par le marché national et international de l’emploi ne risque pas de former de futurs diplômés chômeurs. Grâce à son héritage culturel et sa grande capacité d’adaptation, le « Tunisien Eduqué » avec « des compétences réelles » est en mesure de se positionner compétitivement à l’échelle internationale et devenir une richesse pour le pays.
Mahmoud TRIKI,
Doyen, Mediterranean School of Business, Tunis