Slim Zeghal : soutenir Caïd Essebsi et Ben Achour pour sauver les élections
Notre confrère parisien, «La Tribune» publie dans sa livraison du 26 juillet une interview de Slim Zeghal. Ancien élève de l'Ecole centrale de Paris et PDG d'Altea Packaging*, il analyse la situation économique, politique et sociale de la Tunisie, six mois après la chute de Ben Ali :
Il y a dix jours, des manifestations particulièrement violentes débouchaient sur des affrontements avec les forces de l'ordre et faisaient des dizaines de blessés, et un mort à Sidi Bouzid. Craignez-vous une intensification des troubles ?
Non, car nous avons atteint le week-end du 17 juillet un pic de violence qui a fait office de déclencheur. Le gouvernement a enfin durci le ton vis-à-vis des fauteurs de troubles et envoyé des appels clairs à l'unité. Disperser des manifestations illégales, ce n'est pas remettre en question les libertés mais protéger les citoyens, car une démocratie qui fonctionne a besoin d'un Etat et d'une police forts. Quant aux Tunisiens, ils sont lassés des violences. La marche pacifique de jeudi dernier [entre plusieurs centaines et 5000 personnes à Tunis selon les sources, ndlr], c'est la mobilisation de la majorité silencieuse qui dit non aux violences et aux mouvements extrémistes de tous bords qui paralysent le pays. Il ne faut pas confondre démocratie et anarchie.
Quelle est la situation économique de la Tunisie six mois après la chute de Ben Ali ?
Les conséquences de la révolution sur l'économie sont énormes et nous continuons à en payer le prix. Nous sommes officiellement en récession, même si la croissance devrait reprendre légèrement au deuxième semestre. La chute du tourisme, qui représente 100 000 emplois directs, 300.000 emplois indirects et 7% du PIB, impacte l'ensemble du secteur des services, et se répercute sur d'autres secteurs comme l'artisanat. Les investissements étrangers ont chuté et de nombreuses industries se sont ralenties, voire arrêtées. Il y a aussi les graves conséquences de la révolution libyenne. Entre 50.000 et 60.000 tunisiens travaillaient en Libye. Aujourd'hui, ils sont sans emploi. Notre pays a dû accueillir plus de 700.000 réfugiés fuyant la guerre civile libyenne. Cela pèse sur l'économie, et entretient sans aucun doute le mécontentement social.
Les contestataires estiment que le gouvernement de transition ne réforme pas suffisamment le pays et ne travaille pas assez au retour de la croissance. Ils fustigent également la lenteur de la justice. Comment analysez-vous ces revendications ?
Les revendications des contestataires sont compréhensibles. Nous venons de vivre une révolution historique, un choc majeur. Une population qui était bridée depuis 33 ans retrouve le droit de s'exprimer, alors il y a des débordements lors des manifestations, mais je le répète, c'est compréhensible. Ceci dit, je trouve ces revendications paradoxales. D'un côté, les contestataires reprochent au gouvernement de ne pas aller assez vite dans les réformes économiques et sociales, et s'insurgent contre la lenteur de la justice pour juger ceux qui ont commis des exactions sous Ben Ali. D'un autre côté, ce sont les mêmes qui reprochent au gouvernement transitoire son manque de légitimité et qui critiquent chacune de ses actions. Le fait est que le gouvernement n'a pas la marge de manœuvre de voter des réformes structurelles profondes comme une réforme du budget par exemple. Et la justice exemplaire que les manifestants réclament ne peut pas se faire dans la précipitation. Pour ma part, j'estime que dans un contexte économique et social très difficile, le gouvernement fait ce qu'il peut et qu'il s'en sort bien. L'interdiction de recourir à des donateurs étrangers pour financer les partis politiques, votée la semaine dernière, fait partie des mesures courageuses qui vont dans le sens de la démocratie et de la transparence.
Comment sortir de cette phase d'instabilité ?
Il faut que les Tunisiens s'arment de patience. La bonne tenue des élections du 23 octobre est la seule solution pour sortir par le haut de cette crise. Pour y arriver, le gouvernement doit faire preuve de fermeté face aux débordements, insister sur l'unité des partis politiques, et poursuivre la gestion des affaires courantes. Un nouveau report des élections à cause des troubles serait une catastrophe et aggraverait la situation économique, ce qui nourrirait le mécontentement. Les investisseurs et les touristes ne reviendront pas dans un pays instable. Seul un gouvernement légitime issu des urnes peut relancer la croissance et régler les problèmes sociaux.
* Altea Packaging est une entreprise d'emballages, leader au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, qui exporte également en France.