ENNAHDHA entre diversions et dérobades
Est-ce une marque de sérieux et de crédibilité de la part de responsables d’un parti politique que de « nier toute intention de prendre le pouvoir et de gouverner » même si leur parti avait la majorité aux élections, selon les déclarations de Mr Rached Ghannouchi relayées sur la presse numérique ? Pourquoi s’organiser en parti politique si on est incapable de gouverner, car il s’agit de cela au final, et si on est dépourvu de vision pour le pays et de programmes à court, moyen et long termes ? L’engagement en politique n’a de sens que si on a une volonté réelle et inébranlable de servir son pays et de vrais possibilités de proposer un projet alternatif politique, économique et social pour engager les réformes profondes dont la Tunisie, exsangue, désorganisée et en mal de repères, a besoin pour se relever. L’engagement en politique n’a de sens que si on a le courage de s’attaquer aux chantiers de la reconstruction au risque de se tromper et de se soumettre au verdict des électeurs en toute responsabilité.
Les tunisiens ont payé le prix du sang pour s’inscrire dans un changement radical, en totale rupture avec la dictature, la corruption et l’injustice, et non pas pour assouvir les frustrations d’une classe politique qui, en mal de revanche sur l’histoire, se proclame, aujourd’hui, gardienne du temple de la révolution. Les tunisiens sont en droit, désormais, d’attendre de la classe politique à qui ils ont offert la liberté pour exister d’apporter des solutions à leurs problèmes et des réponses à leurs attentes, même s’il leur est demandé, en retour, de s’armer de patience et de mobilisation pour que les solutions soient opérantes.
Ennahdha avoue, par la voix de son chef, n’avoir aucune alternative concrète et efficiente à proposer aux tunisiens. Du reste, les gesticulations de ce parti depuis qu’il s’est placé sur l’échiquier politique en sont la preuve tangible. Car depuis plusieurs mois, ce parti n’a fait qu’agiter des épouvantails pour faire diversion, semer la division au sein de la société tunisienne et tenter de rompre des équilibres précaires. Entre les questions sociétales factices de l’identité ou de la place de la religion dans la société, les débats sans fin sur le pacte républicain, la volonté évidente de se soustraire à une nouvelle loi sur les partis et le retrait à grand bruit assorti d’une tentative manifeste de discrédit de la Haute Instance de la Réalisation des Objectifs de la Révolution, de la Transition Démocratiques et des Réformes Politiques, ce parti a monopolisé l’espace médiatique, animé des débats stériles, fait douter les tunisiens et raviver les peurs.
Quel est son projet, en admettant qu’il veuille siéger à l’assemblée constituante sans gouverner ? S’autoproclamer le chantre de l’Islam et le garant de l’Identité ne suffit pas pour incarner un quelconque projet politique. Les tunisiens n’ont pas besoin de tuteurs et sont attachés à leur religion et à leur identité. Quant à miser pour se faire élire, tantôt sur la dimension émotionnelle de la posture religieuse, tantôt sur le prosélytisme d’imams qui transforment les lieux de culte en tribunes politiques, en maniant les armes de la désinformation, de l’intimidation et de l’incitation à la haine, et, tantôt, sur des actions soi-disant sociales n’est, de la part d’Ennahdha, que mépris pour la démocratie et insultant pour les tunisiens qu’il pense pouvoir infantiliser.
C’est aussi un aveu de ce parti de ne se préoccuper que de son avenir politique, dans une tactique purement politicienne. Ce n’est un secret pour personne que le gouvernement issu de l’Assemblée Constituante coure le risque de connaître son lot de mécontentement. La phase sera encore transitoire, les problèmes nombreux, les chantiers complexes et les solutions longues à mettre en place. Ennahdha préfère se réfugier dans la posture d’opposant faute de pouvoir être un acteur responsable et affronter les mécontents.
Quant à la promesse de vouloir gouverner lors des élections qui suivront l’Assemblée Constituante avec « des méthodes proches du parti turc », elle n’est pas plus sérieuse ni responsable. Parce que la Tunisie est singulière par son histoire, son identité, sa révolution, ses spécificités, les aspirations de son peuple et ses réalités économiques et sociales. Les méthodes du parti turc ne sont pas un Programme, la Tunisie n’est pas la Turquie. C’est par le génie de son peuple que la Tunisie édifiera son avenir.
Aucun parti politique n’a désormais le droit de bercer le peuple de chimères. La prochaine échéance exige des partis qui ont la prétention de le représenter à l’Assemblée Constituante de faire connaître leurs projets politiques, d’être prêts à assumer la responsabilité de gérer le pays et de répondre de leurs choix et actions devant les électeurs. Ils sont au service de la Tunisie et des Tunisiens et non pas l’inverse. Quiconque ne l’aura pas compris devra faire à la Tunisie l’économie de diversions inutiles et stériles.
Emna Menif