La fierté tunisienne se globalise
Mon texte « Je suis fier d’être Tunisien » ne se voulait pas une appropriation personnelle de la fierté d’un seul homme vivant à l’étranger. Mais plutôt celle citoyenne qui nous a fait vibrer, à l’intérieur comme à l’extérieur, lorsque toutes les couches sociales de notre pays ont accompli l’impossible : faire « dégager » le despote et sa clique mafieuse du Pouvoir qu’ils ont occupé pendant plus de 23 ans. Ce du « Personnel au Général » est affirmé en toute modestie ! Ce texte m’a été demandé. J’ai donc noté mes sentiments, et témoigné du déroulement de la révolution de loin, ou si l’on veut, à distance spatiale et temporelle. Ce n’est donc qu’un point de vue envoyé à Leaders.com, début février et qui n’a été reçu que le 22 juillet 2011 et publié le jour-même. Je ne connais point les raisons de ce décalage. Mais peu importe !
L’essentiel, c’est que tout le peuple tunisien s’est unifié dans un élan mémorable. Nous avons retenu le souffle à chaque soubresaut et souhaité ce qui s’est finalement accompli. Cependant, nous regrettons de tout cœur l’immolation du Marhoum Mohamed Bouazizi, la centaine de victimes sacrifiées, le millier de blessés, les traumatismes psychologiques, les dégâts matériels… Mais il nous faut aussi être reconnaissant au travail des jeunes internautes qui se sont battus bien avant la révolution contre la censure et le matraquage médiatique, vide et nauséeux des faits et gestes de la clique présidentielle et du parti au pouvoir.
Un commentaire de Mokaddem dans Leaders.com me fait ce reproche : « Pour être totalement fier et rassuré, il faudrait éliminer toute tentative d’instauration d’une dictature religieuse, mon cher Monsieur ».
Je ne peux qu’être à cent pour cent d’accord avec cette remarque juste. Je souhaite de tout mon cœur que le pays ne tienne pas à remplacer une dictature par une autre qui pourrait se révéler pire que celle qu’on a déboulonnée. Il est vrai que je n’avais pas signalé l’appréhension et la peur en mes tripes, si jamais les rétrogrades religieux venaient à détourner cette révolution modèle, se répercutant en « Printemps arabe » pour s’en servir à leurs escients. Il faudrait donc veiller au grain et continuer à lutter pour que les acquis de liberté et de dignité ne soient pas accaparés à des fins politiques de groupes fondamentalistes ou d’autres qui veulent nous dévêtir de notre spiritualité.
J’ai toujours été fier de ces remarquables internautes tunisiens qui ont déployé une ingéniosité extraordinaire via Facebook, Twitter, et autres Blogs pour informer et réunir des manifestants paisibles dans leur revendication de liberté, dignité, justice, travail, égalité... Flashmob, mobilisation éclair buzzed ou ébruitée très vite et très largement. Maitrisant ces méthodes, les Hackers tunisiens ont donné l’exemple et fourni leur savoir aux Egyptiens, et autres pays arabes !
Pendant un séjour à Rennes, j’ai acheté le livre de Lina Ben Mhenni, Tunisian Girl : Blogueuse pour un printemps arabe(1). Et j’ai eu le plaisir de le lire d’un seul trait dans le TGV, un crayon à la main. Un grand Bravo à Lina pour ce document qui restera dans l’histoire de notre pays car il reprend les différentes étapes de l’apport de la technologie de pointe à la base du bouleversement du pays. Et de ce fait, la parole vive nationale s’est unifiée, métamorphosant ainsi les mentalités. Finalement, nous sommes sortis du silence, ayant accédé à la Liberté d’expression et à relever la tête au lieu de courber l’échine.
Ce livre montre bien le courage, la détermination, le savoir-faire, non seulement de son auteure, mais des jeunes internautes qui ont pris part à la préparation de la révolution au risque de leur vie. Brillamment et intelligemment, ils ont mené la lutte contre le régime de « ZABA » et ses sbires, la mafieuse famille des Trabelsi et ses consorts ! Ben Mhenni rapporte tous les moments forts des étapes vécues sous harcèlement, prison, torture et autres maltraitances qui donnent la nausée. Les amitiés et les adversités sont évoquées avec maitrise.
Ce lecteur ne peut oublier les entraves, les difficultés des reportages et de leurs diffusions. Les personnages virtuels : « Je suis Fatma » ou « Amor 404 ». Le Kidnapping vécu par « Slim et Yassine ». L’amitié de Leila, l’avocate dont la photo est à la Une des journaux du monde entier ou la prostituée aux cheveux blonds, manifestant côte à côte, et qui sera le lendemain, « malmenée par les intégristes ». La Billet de « Sidi Bouzid brûlé ! » La tristesse due au Kidnapping des Avocats, A. Ayadi et Chokri Bel Aïd ; la joie à leur libération. Le beau cadeau du groupe « Cyberpirates internationaux » Anonymous :
« Nous sommes les Anonymes ; les avatars en colère de la liberté d’expression ; nous sommes le système immunitaire de la démocratie ». (p.16)
Le lecteur assiste à la solidarité qui s’organise. La peur qui creuse son nid dans les tripes des manifestants. La journaliste qui faillit s’évanouir en découvrant le visage tuméfié de Nizar, martyr de Regueb. D’où sa décision définitive qui devient le but de sa vie : « Divulguer les horreurs et les crimes du régime de ZABA. » (p.19). A Kasserine, colère hurlée en slogans scandés : « Khobz ou Ma, Ben Ali, La ! » Tout le déroulement de la révolution est noté avec soin et minutie par Lina parce qu’il a été vécu dans le plein feu de l’action. Pour ma part, je lui suis reconnaissant de m’avoir fait vivre cette page de notre histoire à la lecture de son livret.
Les dernières pages décrivent sa vie personnelle, son enfance, ses relations avec ses parents militants et syndicalistes, son apprentissage des moyens de communication. J’ai été très touché par son courage à faire face à la maladie, à sa greffe de rein, donné par sa mère, la joie de son père d’avoir retrouvé la dignité alors qu’il avait été torturé dans les années 1970. A l’instar de Martin Luther King, Lina Ben Mhenni a un rêve : « Que le monde change ! » Et pour cela, le ternaire : « Information. Solidarité. Mobilisation. » Tout en délaissant les partis et leur carcans, elle a opté pour le pouvoir du Net fondé sur « la réactivité » et la « spontanéité ».
Il me semble que l’amour de notre chère Tunisie et son engagement pour lui assurer une parole libre et souveraine sont typiques de la mentalité de nos concitoyens, bien instruits et diplômés, dont la jeunesse est souvent au chômage. Grâce à la « Révolution du jasmin », le pays a retrouvé ses assises : le bon vivre, la gentillesse, la générosité toujours accompagnée de convivialité et de finesse. Le commun des mortels tunisien a horreur du chaos. Il préfère vivre en paix et en bon voisinage. Rien ne le perturbe que le chômage, l’injustice, le despotisme. Une éthique sociale malgré les avatars de l’histoire.
Ceci n’est pas un rêve ! C’est la réputation dont on nous affuble partout à travers le monde. Toujours la tolérance, le moyen terme dans les différentes étapes, le consensus laborieusement achevé. Il faut espérer que ces caractéristiques ne soient pas gâchées par les extrémistes de tous bords. Sauvegardons le respect mutuel et la modération dans les négociations. Et avançons, à pas sûrs, vers la Démocratie, non pas en imitant les autres, mais la nôtre, fabriquée Maison tunisienne… de notre façon de vivre et de mourir.
Si je termine ce texte par un certain optimisme, c’est surtout parce je pense que notre pays est dans de bonnes mains, celle du Premier Ministre Si Béji Caïd Essebsi, un homme de sagesse et d’expérience. Il a montré, plus d’une fois, qu’il a su relever le défi de la Transition – pas facile à opérer – avec doigté et diplomatie. Toujours à l’écoute, il a surtout à cœur l’intérêt du pays, et la réalisation des objectifs de la Révolution. Donnons-lui le temps pour que notre patience et ses efforts soient bénéfiques au destin de la Nouvelle Tunisie.
(1) Lina Ben Mhenni, Tunisian Girl, Blogueuse pour un printemps arabe, Indigène Éditions, Montpellier, France, juin 2011, 32pp. Prix : 3 Euros.
Hédi Bouraoui