Opinions - 09.08.2011

Propositions relatives à la gestion administrative du ministere des affaires étrangeres

Le but de ce papier est de proposer des idées et des suggestions en vue d’introduire quelques changements dans la gestion administrative du Ministère des Affaires Etrangères sur la base d’une brève analyse des raisons et de la nécessité d’engager certaines réformes. Des actions concrètes sont proposées afin d’améliorer les performances des ressources humaines du Ministère. 

Il s’agit de permettre à la diplomatie tunisienne de jouer un rôle plus actif dans le processus de développement et de progrès politique et économique du pays et ce, dans le but de faciliter davantage son insertion dans l’économie mondiale.

Les idées et les éléments de réflexion ci-après peuvent être développés à travers un échange de points de vue afin de développer des propositions entre les cadres du Ministère ayant une expérience nationale et internationale et, si c’est possible, avec la participation de consultants ou d’universitaires extérieurs au Ministère.

Introduction

Il est communément reconnu de nos jours que nous vivons une époque où les frontières de toutes sortes tombent progressivement entre les peuples et les nations. L’avenir des relations politiques et économiques sera dominé par les technologies de l’information et de la communication. Les nouveaux facteurs de production seront relayés par une importante ressource économique appelée : le Savoir (Knowledge).

Ces formes vont pousser davantage la globalisation, ce qui implique que l’économie mondiale sera désormais dominée par l’ouverture des marchés, la libre circulation des ressources et une concurrence féroce. Toutes les  économies sont amenées à changer et à devenir de plus en plus interdépendantes et seront forcées de s’ouvrir au marché mondial (de peur de rater le train du développement, déjà, en marche rapide).

Avec la mondialisation et tout ce qu’elle engendre comme mutations, l’isolement est de moins en moins un choix possible. La coopération et le partenariat entre les pays et les groupements de pays dans la poursuite d’objectifs communs, n’ont jamais été aussi importants. De nos jours, l’interdépendance, celle des peuples, des idées, des informations et des produits, signifie de plus en plus, que les grandes tâches, qui sont les nôtres, ne peuvent plus être abordées au niveau national uniquement, car il faut se rendre à l’évidence que ces forces en marche, échappent au contrôle du Gouvernement.

Dans ce contexte, le grand défi des pays en développement, consiste à savoir comment faire face à ces mutations majeures et irréversibles. Les PED seront, en effet, forcés d’éliminer leurs barrières protégeant leurs marchés et leurs produits et à affronter la concurrence internationale. C’est pourquoi, on mesure aujourd’hui le succès de chaque pays en fonction de son aptitude à s’adapter aux changements qui interviennent sur la scène mondiale, à réformer ses institutions et à gérer ses ressources humaines dans la perspective de s’intégrer davantage dans une économie mondialisée.

Tout cela signifie également qu’il s’agit de «réinventer» l’Etat et la Fonction Publique en vue de les rendre plus efficaces et plus «responsables»  (accountable). Il est, désormais universellement admis que la fonction publique ne consiste plus à aider des bureaucrates à protéger la bureaucratie. En effet, pour mieux servir les intérêts du pays, les fonctionnaires doivent adhérer à certaines valeurs et s’engager à accomplir leur tâche avec conscience, sur la base d’objectifs et de mandats clairement définis. En un mot, il leur convient d’assumer des responsabilités significatives à l’égard de leur pays et de leurs citoyens, qui attendent que l’Etat crée continuellement les conditions favorables à la prospérité individuelle et collective et garantisse la sécurité générale. Chaque membre de la société a le devoir de servir l’intérêt général sachant que dans chaque profession, on peut trouver des moyens de contribuer à cet intérêt commun.

C’est pourquoi le rôle du MAE et de la diplomatie tunisienne dans le développement politique et économique du pays et son adaptation à l’économie mondiale s’avèrent plus important que jamais et davantage nécessaire à la prospérité et la sécurité nationale

1 / Mission et organisation du travail du mae

Sur la base des objectifs définis par  le Gouvernement en matière de politique étrangère, le Ministre est appelé à élaborer, à son tour et en collaboration avec ses Hauts Fonctionnaires, les actions ainsi que les moyens à mettre en œuvre, dans le court et moyen termes, en vue d’atteindre les objectifs assignés (sécurité, développement global, coopération aux différents niveaux : sou-régional, régional et international), en interaction avec les acteurs concernés.

Le Ministre est appelé à superviser de près l’ensemble des mutations dans les relations internationales et recommander les actions que nécessitent de telles mutations. Son rôle consiste donc, à gérer directement et souvent, des affaires hautement politiques tout en supervisant le reste des dossiers et en instruisant ses fonctionnaires en conséquence. C’est pour cela que l’appui et les conseils de ses proches collaborateurs revêtent une grande importance.

2/ Rôle des collaborateurs du ministre

Le Ministre doit être saisi régulièrement au sujet de tous les dossiers importants. Ce qui lui permettra, si nécessaire, de se concerter avec le gouvernement ou d’instruire ses collaborateurs sur les actions à entreprendre.

Toutes les notes et les recommandations doivent être murement préparées, après consultation avec tous les services concernés, puis présentées au Ministre dans les meilleurs délais.

Le Ministre doit disposer d’un organigramme régulièrement adapté aux besoins internes et externes du Département. De nos jours, il est impératif, en matière de  gestion moderne, de définir, d’une façon claire et précise, les tâches et les responsabilités des cadres et des fonctionnaires du Ministère. Cette démarche doit inclure les proches collaborateurs du Ministre, à savoir, les Secrétaires d’Etat, le Chef de Cabinet, les Attachés de Cabinet, le Secrétaire Général, les Directeurs Généraux, les Directeurs et leurs Adjoints ainsi que les Chefs de Services et leurs collaborateurs. Chacun d’eux doit disposer des termes de références de ses fonctions, de sa mission et de ses responsabilités. C’est sur la base de ces fonctions assignées à chaque fonctionnaire que l’Administration peut évaluer ses performances et ses capacités à assumer des responsabilités et à juger ses mérites.

Il est important que le Ministre puisse disposer également d’un programme annuel des activités à entreprendre en vue de réaliser les objectifs assignés au Ministère. En conséquence chaque structure doit être dotée également d’un programme d’activités spécifiques à exécuter sur une base annuelle.

Ainsi, une fois, les objectifs et les attributions de chaque structure et de chaque fonctionnaire, sont définis, la supervision du travail et son évaluation deviennent plus faciles à assurer.

Le Ministre aurait par ailleurs à assigner à chacun de ses conseillers, des dossiers précis. Chaque Secrétaire d’Etat aurait la charge principale de conseiller le Ministre et de superviser et de suivre les actions de Directions Générales déterminées.

Chaque Direction Générale aurait à assumer et à gérer les actions de leurs structures politiques et techniques respectives. Le Secrétaire Général du Ministère aurait, non seulement, à assumer les tâches administratives et financières mais devrait également jouer un rôle dynamique dans la formation continue des fonctionnaires, l’organisation de séminaires et la révision des procédures d’évaluation et de promotion des fonctionnaires et ce dans la transparence et l’équité.

Il est important, par ailleurs, que chaque Ambassadeur, Consul Général ou Consul, se conforme à ces critères. En outre, chacun de ces Hauts Représentants, une fois nommé, doit disposer d’un rapport complet et exhaustif, établi par son prédécesseur. Il est recommandé, notamment, que tout Haut Représentant nommé, effectue des visites à toutes les Directions Générales du Département en vue de recevoir des «briefs» concernant les dossiers qui relèvent directement ou indirectement de son pays d’accréditation. Les structures sont, quant à elles, appelées à lui fournir toutes les informations pertinentes, notamment, sur les questions revêtant une importance ou une priorité particulière. Cette préparation à la mission à l’étranger doit être complétée par des visites aux principales institutions gouvernementales en relation avec le MAE.

Il convient de souligner que ces pratiques nécessaires ne sont pas toujours appliquées. Par conséquent, il faudrait établir à cet effet des règles claires et systématiques à respecter.

3/ Moyens de mise en œuvre du programme d’activités du  Ministère

Pour assurer une meilleure gestion administrative de l’ensemble du programme, il faut nécessairement renforcer la capacité des structures en ressources humaines. Il est important d’être sélectif dans le choix des responsables à tous les niveaux : profil, aptitudes à la responsabilité et à la communication, expérience et pratique de langues étrangères.

Il convient, par ailleurs, de renforcer le processus de planification, de coordination et de la circulation de l’information entre les structures du Ministère et avec les Ambassades et les Missions à l’étranger.

Les structures du Département doivent être organisées de façon à apporter l’appui adéquat aux postes et vice versa.

L’évaluation périodique et systématique des activités et des résultats enregistrés par les différents départements du Ministère et des postes à l’étranger, va permettre au Ministre et à ses collaborateurs de tirer les leçons et de recommander des solutions. Il conviendrait de penser à décentraliser certaines fonctions et certaines tâches aux Ambassades et aux Consulats tout en encourageant la simplification des procédures. Il reste, maintenant, à souligner quelques autres aspects importants et nécessaires à toute bonne gestion des ressources humaines, à savoir : 

  • Créer une Entité au Cabinet chargée du suivi et donner suite aux plaintes éventuelles provenant des Ambassades et autres Missions à l’étranger qui attendent des réponses ou des instructions à propos de leurs dossiers. Cette observation est valable également dans l’autre sens : les différentes structures du siège attendent que les postes leur communiquent, de manière systématique et en temps utile, les informations pertinentes à la gestion des dossiers.
     
  • Tout fonctionnaire, quel que soit le rang qu’il occupe, est sensé recevoir une suite à ses requêtes.
     
  • Créer un bulletin du Ministère synthétisant les activités des structures du Ministère et des postes qui serait diffusé à tous les responsables et leurs collaborateurs.
     
  • Finalement il est impérieux que les épouses ou les conjoints de tout Diplomate de rang élevé en poste à l’étranger, reçoivent une formation quant au rôle important  qu’elles ont à jouer. Il conviendrait également de les inciter à participer aux activités organisées par les épouses ou conjoints de Diplomates dans les pays d’accréditation.

4/ La formation continue

Des programmes de formation à l’attention des cadres du Ministère et des postes doivent être élaborés en vue d’améliorer leurs connaissances et leurs compétences, notamment, sur certains sujets touchant aux fonctions exercées.

Ces programmes peuvent être organisés sous forme de séminaires et de tables rondes portant sur des questions d’ordre politique, économique, culturel et technique. Certains séminaires pourraient être organisés, le cas échéant, au niveau de certaines Ambassades en associant plusieurs postes. Ainsi l’Ambassade à Bruxelles, par exemple, pourrait abriter un séminaire regroupant des Diplomates en poste dans certaines capitales européennes.

Par ailleurs, il faudrait encourager l’échange d’informations et d’expériences entre les Ambassades sur des questions d’intérêt commun. Certaines tables rondes pourraient être organisées à l’occasion du passage du Ministre, de ses collaborateurs ou d’autres responsables du Gouvernement.

Il serait utile également d’encourager les Ambassades à entreprendre certaines études portant sur des questions spécifiques aux pays d’accréditation.

L’information est un vecteur qu’il faut savoir utiliser utilement. C’est pourquoi il est important d’associer tous les cadres à l’ensemble des informations disponibles notamment, celles qui ont un lien direct ou indirect avec les dossiers traités.

5/ L’administration

La nécessité d’améliorer et d’évaluer continuellement le fonctionnement de l’Administration est une option stratégique. Tout changement visant à améliorer le rendement et la qualité des services n’est possible que si les performances des fonctionnaires sont évaluées en fonction de certains critères, notamment, leur rendement, la qualité de leurs services, leurs aptitudes au travail d’équipe et les résultats obtenus. Tout cela suppose que le fonctionnaire soit motivé et associé à la prise de décision au sein de sa structure, à travers un processus de communication et de dialogue régulier avec ses supérieurs et ses collègues.

Il serait utile, par ailleurs, d’inclure dans l’ordre du jour des réunions annuelles des Ambassadeurs, un point portant sur l’administration du personnel et les mesures de motivation prise à leur égard. Tout responsable doit savoir que ses performances seront évaluées, entre autre, en fonction de  sa manière de gérer son personnel.

Les audits sont à effectuer à des périodes choisies, au siège comme aux Ambassades. Ces audits doivent porter, également, sur la qualité de gestion des  ressources humaines.

Les décisions relatives aux promotions des fonctionnaires et leur nomination en poste à l’étranger sont à prendre dans  la transparence la plus totale, Il s’agit d’établir des critères objectifs et un système juste et équitable à leurs yeux.

Les promotions, par exemple, devraient être recommandées par un comité de responsables représentant les structures les plus importantes du Ministère et dont les membres pourraient changer tous les deux ans.

Il convient de veiller à respecter l’égalité entre femmes et hommes et surtout à ne pas négliger le droit de chacun à l’affection à l’étranger dans la mesure où les conditions requises sont réunies. Il faudrait éviter de maintenir des fonctionnaires dans les postes pendant des périodes très longues alors que d’autres attendent d’être nommés à leur tour.

D’ailleurs il serait indiqué que le Ministre ou ses collaborateurs puissent, à l’occasion de visites dans les pays d’accréditation, trouver le temps de se  réunir et de s’entretenir avec le personnel des Ambassades et des autres Missions, afin de s’informer notamment de leurs conditions de travail. Des solutions sont à trouver aux problèmes rencontrés par les fonctionnaires en poste.

La gestion du programme, du personnel, des projets et des dossiers, aussi bien au siège que dans les postes à l’étranger, est appelée à utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Le recours à des systèmes d’information modernes et sécurisés permettra de maîtriser le maximum de données et de les mettre à la disposition de tous en temps utile.

Finalement le Ministre devrait disposer d’un programme de planification et de mise en valeur des ressources humaines sur une période de dix ans au moins. Cela comprendrait l’estimation des besoins en cadres de tous les niveaux et des différents spécialistes.

Il conviendrait également d’établir un plan de formation pour les langues et les technologies de l’information. En un mot, il faut accepter la réalité qui prévaut de nos jours à savoir que le changement est un phénomène continu. Par conséquent, il s’agit de prévoir suffisamment à l’avance afin de pouvoir gérer tout changement.

6/ L’institut diplomatique

L’Institut Diplomatique doit jouer un rôle d’institution de formation mais également d’étude et pourquoi pas de «think tank». Pour cela, il faut élaborer un programme d’études judicieux à la lumière du profil général du Diplomate que l’on peut former pour l’avenir et dans les diverses spécialités requises. Il est clair que la mission de l’institut n’est pas de dispenser des études supérieures en vue  d’obtenir un diplôme mais de donner une formation spécifique, effective et pratique touchant à des domaines politiques, économiques et culturels, tenant compte de nouveaux défis de la globalisation.

En plus il faudrait veiller à former la personnalité du futur Diplomate, venant généralement d’institutions où il a très peu appris à participer à des séminaires, des tables rondes ou des dialogues directs, notamment, avec des supérieurs et des collègues. Il s’agit d’affiner son esprit d’analyse, sa capacité de synthèse et de négociation tout en lui donnant la confiance et l’assurance de soi. Par conséquent, une telle formation ne peut être dispensée que dans le cadre de tables rondes, séminaires, ateliers et travail de groupes et non dans un petit amphithéâtre ou sur des tables d’écoliers comme c’est le cas. Il reste qu’une formation effective ne peut être donnée que par des spécialistes des relations internationales ayant l’expérience de l’enseignement et surtout la connaissance du terrain. Les cours doivent être dispensés en plusieurs langues (anglais, français et arabe). On relève de nos jours que 90% des études, des recherches et des publications sont effectuées en anglais. La majorité des postes diplomatiques nécessitent la maîtrise de l’anglais. Pour enseigner, il faudrait être à jour au sujet de ce qui se publie en anglais.

L’institut devrait disposer de l’ensemble de l’équipement requis et approprié pour l’enseignement et l’étudiant. D’abord une bibliothèque bien fournie en publications diverses et en journaux. De même, il est nécessaire de doter l’institut d’un matériel informatique conséquent et de l’accès à Internet pour faciliter la circulation de l’information et la recherche.

A ce propos, il faudrait que le Ministère mette en place toute une structure au sein de l’institut diplomatique dont la fonction serait de développer des stratégies, des études et des projections en matière de relations internationales, politiques, économiques, sociales et culturelles.

Il convient de constituer un corps de cadres chargés d’effectuer ces études en plus d’autres cadres détachés spécialement à cet effet. Des fonctionnaires proches de la retraite et désirant travailler à la réflexion ou d’autres à la retraite pourraient être appelés à y participer. Il est essentiel d’insister sur l’aspect pratique des études, car ce qu’il faut au Ministre ce sont des suggestions portant sur des actions concrètes permettant de prévoir à l’avance des évènements ou faciliter la prise de décisions rapides quand cela est nécessaire en s’appuyant sur des études disponibles.

Dr. Salah Bourjini
Universitaire, et ancien Résident Coordonnateur/Représentant des Nations Unies