Notes & Docs - 12.08.2011

La Soutenabilité de l'Endettement Extérieur de la Tunisie dans le Contexte de Transition : Une Grille de Cadrage des Orientations et Enjeux à Moyen Terme

Le 12 juillet 2011 a eu lieu à Bruxelles une réunion des ministres des finances et des affaires étrangères des pays donateurs membre du G8. Il est question à l’ordre du jour notamment de décider l’affectation de la part octroyée à la Tunisie et à l’Egypte de l’enveloppe globale de l’aide sur trois ans (2011-2013) de 40 Mrds $ décidée au sommet du G8 à Deauville, avec 20 Mrds d’aide multilatérale et 20 Mrds sous forme d’aide bilatérale. La Tunisie a présenté les programmes exécutifs des projets déjà proposés dans son programme économique et social. Pour notre part, nous revenons à un examen de fond de la problématique de la dette externe dans la période de post-révolution de la dignité et de la liberté en Tunisie.

1. D’abord un repérage stratégique de la question: aspects transversaux

La dette extérieure à moyen et à long terme de la Tunisie est estimée, à fin 2010, à 23 600 millions de dinars représentant 37,1% du PIB1:

Evolution de la dette extérieure à moyen et long terme

Année

 

Encours de la Dette extérieure à moyen et long terme (en Millions de DT)

PIB  (en Millions de DT)

Dette extérieure à moyen et long terme (en % du PIB)

Ancien

PIB

Nouveau

PIB2

Ancien

PIB

Nouveau

PIB

2006

19 683

41 408

45 756

47,5%

43,1%

2007

19 728

45 629

49 874

43,2%

39,6%

2008

21 301

50 325

55 297

42,3%

38,5%

2009

21 977

53 419

58 768

41,2%

37,3%

2010 (e)

23 600

-

63 397

-

37,1%

Source : IMF, World Bank & Banque Centrale de Tunisie.

Il faut à ce titre distinguer entre la dette publique (contractée par l’administration)3 et la dette privée (contractée aussi bien par les entreprises publiques que privées). Dans ce contexte, la répartition des tirages sur crédits par bénéficiaire, montre qu’ils ont été destinés en moyenne à hauteur de 49,3% au financement de l’administration et de 50,7% à celui des entreprises. Par bailleurs de fonds, la dette extérieure de la Tunisie est répartie à hauteur de 37,2% au titre de la coopération multilatérale (dont notamment la BAD, le Groupe de la Banque Mondiale, la BEI et le FADES), 26,8% au titre de la coopération bilatérale (dont notamment la France, le Japon, l’Italie et l’Allemagne) et 35,9% au titre des émissions sur les marchés financiers internationaux:

Année

 

Encours de la Dette extérieure (en Millions de DT)

Tirages bruts sur crédits à moyen et long terme (en Millions de DT)

Ancien

PIB

Administration (en Millions de DT

Entreprises (en Millions de DT)

2006

19 683

1 941

837 (43,1%)

1 104 (56,9%)

2007

19 728

2 157

1 230 (57%)

927 (43%)

2008

21 301

1 745

833 (47,7%)

912 (52,3%)

2009

21 977

2 726

1227 (45%)

1 499 (55%)

2010 (e)

23 600

2 629

1 408 (53,6%)

1 221 (46,4%)

Source : IMF, World Bank & Banque Centrale de Tunisie.

Avant la révolution du 14 janvier 2011, les dernières années 2010 et 2011 ont connue des projections macroéconomiques divergentes, ce dont illustre les données du 11ème plan de développement (2007-2011) en passant par le plan mobile ou glissant (2010-2014), transvasé d’ailleurs en 12ème plan quinquennal de développement pour la même période, pour aboutir enfin au nouveau programme économique et social quinquennal de post-révolution (2011-2015) dont la composante ressources de financement extérieur semble la plus marquante en portant la mobilisation escomptée des ressources d’emprunts externes à une enveloppe globale de 25 milliards de dollars à raison de 5 milliards de dollars par an pour boucler un schéma de financement du plan à un coût global estimé à 125 milliards de dollars. Que propose le plan économique et social ?. Présenté au sommet du G8 à Deauville les 26 et 27 mai 20114, ce plan prévoit une conception d’outils annoncés dans les différentes ébauches de mesures des gouvernements provisoires qui se sont succédés depuis le 14 janvier 2011 : caisse des dépôts et consignation, fonds générationnel, fonds d’amorçage, micro-finance, venture capital, capital-risque, capital-investissement, pépinières et incubateurs d’entreprises, développement de zones industrielles, pôles de compétitivité, développement des transports et des infrastructures technologiques.

L’argument fondamental pour notre propos est que le besoin de financement extérieur additionnel ne concerne pas à priori le budget de l’Etat mais sera vraisemblablement affecté à des fonds dédiés et des crédits d’infrastructure.

Car, de l’autre côté, d’autres besoins de financement externes supplémentaires ont été prévus par recours aux ressources du budget de l’Etat.

La loi de finances complémentaire pour 2011 permet en effet de lire que des actions nouvelles ont été aussi programmées pour accompagner matériellement la révolution, dont en témoignent en particulier le quasi-doublement du montant de la compensation (2 700 millions de dinars contre 1 200 millions de dinars prévu) et l’augmentation des autres dépenses publiques de l’ordre de 770 millions de dinars affectés à la majoration des salaires, l’assistance des familles nécessiteuses et des diplômés sans emplois, la suppression de la sous-traitance dans la fonction publique et son corollaire la majoration des salaires de plus de 11.000 ouvriers ect….. Toute cette panoplie de mesures est paramétrée par deux contraintes exogènes majeures, en l’occurrence le refoulement de Libye de plus de 40.000 ouvriers tunisiens et surtout la flambée sans précédent des cours mondiaux des hydrocarbures et des matières de base.

A ce titre, comparons le budget général initial de l’Etat pour 2011 par rapport au scénario révisé. Avant la révolution, le gouvernement avait certes prévu de mobiliser des ressources propres tout en relançant la croissance par le recours aux emprunts extérieurs. Le montant initial de l’ordre 19 192 millions de dinars (contre 18 272 millions de dinars en 2010) a été calibré en fonction d’objectifs de réalisation d’un déficit budgétaire dans la limite de 2,5% du PIB et d’un ratio de la dette publique à 39% du PIB. Son schéma de financement était bouclé à raison de 15 420 millions de dinars de ressources propres dont 13 213 millions de dinars levés sur les recettes fiscales. En revanche, les ressources d’emprunts à mobiliser étaient estimées à 3 772 millions de dinars aux fins de financement du déficit budgétaire ainsi que du remboursement du principal de la dette publique à hauteur de 2 272 millions de dinars. En revanche, au niveau du scénario révisé, le gouvernement de transition actuel a estimé le financement additionnel du budget de l’Etat et de la balance des paiements au titre de 2011 à hauteur de 5 000 millions de dinars, dont un montant de 2 257 millions de dinars alloué au remboursement de la dette extérieure suite à l’augmentation de l’enveloppe que compte contacter le gouvernement. De fait, le déficit budgétaire, estimé à 2,5% du PIB devrait augmenter de 3,2% du PIB pour atteindre 5,7% du PIB.

Parallèlement, la Banque Mondiale, la BAD et la Banque Européenne d’Investissements devraient aussi contribuer au financement. La BEI vient d’accorder un crédit d’infrastructure de l’ordre de 326 millions de dinars (163 millions d'Euros) pour le financement de projets de modernisation routière dont le coût est estimé à 595,5 millions de dinars. Des crédits directs de l’ordre de 2 250 millions de dinars sont aussi escomptés, partagés entre l’AFD (350 millions d’euros), la Banque Mondiale (500 millions de dollars), la BAD (500 millions de dollars) et l’Algérie (100 millions de dollars).

Sur un autre plan, et s’agissant des réserves de change auprès de la Banque Centrale de Tunisie, le solde s’élevant au 31 décembre 2010 à 13 000 millions de dinars a d’abord servi à un remboursement de l’ordre de 880 millions de dinars (450 millions d’euros) relatifs à des émissions obligataires venant à échéance en avril 2011. Le solde de l’ordre de 12 120 millions de dinars devra aussi couvrir une autre échéance de remboursement de 250 millions de dinars (15 milliards de yen) prévue au mois de septembre 2011. Soit au total, pour 2011, un montant de 1 130 millions de dinars des réserves de changes consacrées au remboursement des émissions obligataires internationales.

Dans le même temps, il va falloir au moins dégager une enveloppe de 3 500 millions de dinars (près de 1 840 millions d’euros) de réserves de précaution au titre d’un déficit supplémentaire escompté du solde de la balance des paiements du fait de la baisse prévue au titre des mouvements de capitaux et opérations financières pour 20115, ce qui limite la marge de manoeuvre de la BCT à un montant maximal prévu de l’ordre de 8 730 millions de dinars des réserves de change, ce qui représentera près de 90 jours d’importations, la marge minimale de prudence prévue à cet effet par les instances internationales.

Qu’avons-nous au total. Outre les dons reçus de l’ordre de 200 millions de dinars (dont 67 millions de dinars de l’UE), la mobilisation de ressources au titre de la dette externe est escomptée jusque-là à une enveloppe sans précédent de l’ordre de 9 407 millions de dinars au titre de l’année 2011, et répartis comme suit:

  • 2 257 millions de dinars, affecté au budget de l’Etat, et alloué au remboursement de la dette extérieure suite à l’augmentation de l’enveloppe que compte contracter le gouvernement,
  • 7 150 millions de dinars (5 milliards de dollars), hors budget de l’Etat, affectés à des fonds dédiés et crédits d’investissement programmés au titre du financement externe du programme économique et social pour l’année 2011 (dont 2 250 millions de dinars de crédits directs au titre de la coopération multilatérale ou bilatérale et 326 millions de dinars, au titre d’un crédit d’infrastructure alloué par la BEI).

2. La Tunisie doit elle continuer à s’endetter ? Résolument Oui, et ce pour deux aspects factuels récurrents

Le recours à l’endettement externe est justifié par deux faits stylisés latents de l’économie tunisienne. Le niveau de l’épargne nationale ne permet à de financer les besoins d’investissements nécessaires à la réalisation des objectifs de croissance durant la période à venir.

d’ailleurs s’amplifier en 2011 sous l’effet des mauvais résultats du secteur touristique, ce qui implique un déficit grandissant entre les recettes et les dépenses en devises et engendrer ainsi de fortes pressions sur nos avoirs en devises. De ce point de vue, les échos ici et là proposant une répudiation de la dette extérieure s’avèrent d’un non sens primaire.

2.1 Un déficit structurel de l’épargne par rapport à l’investissement

La Tunisie accuse structurellement un déficit moyen de l’épargne brute par rapport à l’investissement brut de l’ordre de (-4,5% du PIB en 2010) avec un blocage du taux d’investissement privé brut domestique autour d’une moyenne de 13,8% ainsi qu’une contribution moyenne quasi-stationnaire de la formation brute du capital fixe, comme composante de la demande, au PIB à prix constants de l’ordre de 21,4%:

 

2006

2007

2008

2009

2010 (*)

Epargne nationale brute (en % du PIB)

22.8

23.2

22.1

21.8

23.1

FBCF (en % du PIB)

24.8

25.7

25.9

24.8

27.6

Taux d’investissement privé brut (en %)

13.3

14.4

15.4

14.3

13.7

Déficit épargne brute / investissement brut (en % PIB)

-2.0

-2.5

-3.8

-3.0

-4.5

 

Ventilation des composantes de la demande (en %) au PIB à prix constants (100:1990)

 

2006

2007

2008

2009

2010 (*)

Importations de biens et services

-42,1

-43,4

-43,9

-39,6

-42,2

Consommation privée

62,4

61,8

62,0

62,6

62,1

Consommation publique

15,4

15,2

15,1

15,3

15,2

Total Consommation

77,9

77,0

77,2

77,9

-77,3

FBCF

21,5

21,5

21,6

22,2

21,7

Variation de stocks

0,0

-0,1

0,8

-0,6

0,1

Total Investissement Net

21,5

21,4

22,4

21,6

21,8

Exportations de biens et services

42,8

45,0

44,2

40,1

43,1

PIB aux prix du marché

100

100

100

100

100

Pour Mémoire:
(% de Croissance du PIB à prix constants)

(5,6)

(6,3)

(4,6)

(3,0)

(3,8%)

Source : IMF "Staff Country Reports" (Diverses livraisons), Institut Tunisien de Compétitivité et d'Etudes
Quantitatives (ITCEQ) et Banque Centrale de Tunisie.
(*) Provisoire


2.2. Un déficit structurel de la balance courante : de fait des avoirs nets en devises imputables en grande partie à l’endettement externe

Du fait du déficit structurel de la balance des transactions courantes6, la croissance des actifs nets sur l’étranger et donc la consolidation des avoirs nets en devises et des réserves de change7 en Tunisie découlent essentiellement du solde excédentaire du compte de capital et d’opérations financières dans la balance générale des paiements, et non de réserves de change accumulées sur des transactions courantes.

En particulier, il y a lieu de se référer à la balance des règlements, qui permet de purger les flux de transactions effectuées sans paiements, d’une part, ainsi qu’à la position extérieure globale, établie en termes de stocks uniquement sur les opérations financières enregistrées en termes de flux au niveau de la balance des paiements telle que définie dans le cadre de la 6ème édition du manuel de balance des paiements du FMI. A ce titre, le processus d’accumulation des réserves en devises est en fait essentiellement adossé aux tirages sur les emprunts extérieurs de capitaux à moyen et long terme, et à une échelle moindre aux recettes au titre du compte de capital et en particulier des investissements directs étrangers8.

3. La soutenabilité de la dette externe dans le contexte actuel de transition

La mobilisation de nouvelles ressources pose trois questions fondamentales qui ont trait à (i) la solvabilisation optimale des encours déjà existants, (ii) la soutenabilité des projets programmés et de la nouvelle dette à contracter et (iii) la viabilité de la dette externe cumulée qui sera d’autant plus extrêmement liée aux performances macroéconomiques exigées. Sur ce dernier point, il est clairement établi que tout plan de relance, même massif comme c’est le cas pour le nouveau programme économique et social de la Tunisie, ne peut s’avérer efficace sur la croissance qu’à moyen et long terme.

3.1. Les enseignements tirés des multiplicateurs budgétaires

Les modèles macroéconomiques structurels utilisant des anticipations fondées sur le passé donnent généralement des multiplicateurs supérieurs à 1 (un dinar consacré à des dépenses budgétaires fait augmenter le PIB de plus d’un dinar).

Selon des modèles plus prospectifs et des analyses ponctuelles, les multiplicateurs sont le plus souvent inférieurs à 1 (la hausse des dépenses budgétaires est compensée par une réduction des dépenses dans d’autres pans de l’économie). Aussi, l’imprécision des approches reflète le large éventail de multiplicateurs budgétaires figurant dans la littérature sur le sujet. Toutefois, l’évaluation de l’efficacité de l’enveloppe allouée aux mesures annoncées au stade actuel selon les mêmes méthodologies que l’on trouve dans les travaux empiriques9 aboutit à un multiplicateur budgétaire légèrement inférieur à l'unité à court terme, ce qui témoigne de l’efficacité des effets de relance plutôt à moyen long terme. Dans ce cadre, et du fait qu’une large partie de la nouvelle dette concerne le financement budget de l’Etat, il sera question de la problématique de son impact sur le déficit budgétaire qui devrait augmenter de 3,2% du PIB pour atteindre 5,7% du PIB à fin 2011. La soutenabilité de ce niveau sera tributaire de la recherche de nouvelles niches fiscales de refinancement.

Une autre arithmétique plus qu’insoluble alors même que les autorités seront contraintes d’impulser des mesures sociales de redistribution et d’allégement de la pression fiscale durant la période à venir.

3.2. Les facteurs de vulnérabilité à surveiller

Tout d’abord, il faut souligner deux ingrédients de taille. Au niveau de la répartition de la dette extérieure par devise, l’Euro représente près de 61%, le Yen japonais près de 16%, le Dollar américain près de 15% et le reliquat dans diverses devises. En ce qui concerne la maturité résiduelle de la dette extérieure elle est à près de 80% supérieure à 5 ans, alors qu’en terme de répartition par régime de taux d’intérêt, près de 79% de la dette extérieure est à taux fixe dont 80% est inférieur à 5%.

Sur ces deux points, l’attention porte sur des éléments de vulnérabilité et de fragilisation que suscitent, d’une part, la dépréciation nominale du dinar notamment vis-à-vis de l’euro, et d’autre part, les nouveaux risques en matière d’accès aux sources de financement externe et qui sont doublement induits de la dégradation des ratings souverains de la Tunisie et surtout de l’aggravation du risque de défaut (CDS) sur la dette souveraine.

D’un côté comme de l’autre, il est clair que l’incidence directe serait un gonflement des encours libellés en dinars des services de la dette contractée en euro notamment, ainsi qu’un renchérissement des coûts de mobilisation des nouveaux emprunts extérieurs. En effet, au niveau des effets change découlant de la dépréciation du change nominal du dinar, principalement vis-à-vis de l’euro, l’évolution des cours moyens annuels du marché interbancaire de l’euro contre dinar révèle une dépréciation régulière du dinar contre l’euro en terme nominal qui a atteint durant la dernière période 33,9% en termes cumulés:

 

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Taux de change nominal bilatéral

du dinar – euro (1)

1,457

1,548

1,612

1,671

1,752

1,805

1,878

Taux moyen de dépréciation dinar – euro (2)

+7,9%

+6,3%

+4,1%

+3,6%

+4,8%

+3,1%

+4,1%

Taux de dépréciation cumulée

-

+14,2%

+18,3%

+21,9%

+26,7%

+29,8%

+33,9%

(1) Cours moyens annuels du marché interbancaire de l’euro contre dinar (opérations en compte et de change au comptant)
(2) Taux de dépréciation en termes de moyennes annuelles (cotation à l’incertain : (+) signifie dépréciation
)

Les risques de change liés à la part prépondérante de l’euro dans le libellé de la dette externe seront d’autant plus exacerbés par les effets attendus d’appréciation de la monnaie européenne suite au deuxième plan de sauvetage de la Grèce entériné par les chefs d’Etats de la zone euro lors du dernier conseil de l’Union Européenne du 21 Juillet 2011. Ce plan prévoit en effet de résoudre la crise de la dette souveraine de ce pays par des mesures sans précédent de renflouement afin de couvrir intégralement son déficit de financement public s'élevant à un montant estimé de 109 milliards d'euros, et ce notamment grâce à une réduction des taux d'intérêt et à un allongement des délais de remboursement10.

Dans le même temps, l’écart de taux des obligations de la Tunisie est passé de 121 points de base avant la révolution au 10/1/2011 - moment où la vague de contestations a commencé en Tunisie - à 223 points de base au 14/4/2011, pour retourner à 175,9 points de base au 22/7/2011, soit une augmentation du spread de 54,9 points de base. L’accroissement de l’écart des contrats sur risques de défaut (CDS) entraînera un resserrement des conditions de financement et contribuerait à la hausse du taux d’intérêt.

3.3. Un scénario de paramétrage de la viabilité de la dette extérieure

Les vulnérabilités du secteur extérieur en Tunisie restent circonscrites au niveau de la dette extérieure, laquelle bien qu’en nette diminution de 43,1% par rapport au PIB en 2006 à 37,1% en 2010, absorbe près de 9,3% des recettes courantes et demeure assez élevée par rapport aux comparateurs MENA. En dehors du Liban avec 190,8%, la moyenne de la dette externe à moyen et long terme des pays MENA est en effet de l’ordre de 18,9% pour la même période (celle du Maroc par exemple ne dépasse pas 21,2% du PIB).

Dans ce cadre, les tests de résistance sur la viabilité de la dette extérieure démontrent que son profil est extrêmement vulnérable aux chocs sur les taux de change et d’intérêt. Les résultats des tests paramétrés sur le ratio de la dette extérieure en pourcentage du PIB effectué par nos soins selon la méthodologie du FMI11 dénotent des hypothèses suivantes:

  • une dépréciation réelle de 30% du taux de change par rapport au scénario de référence ferait monter le ratio de la dette extérieure par rapport au PIB à plus de 50% d'ici à 2015.
  • un accroissement de 20 points de base du taux d’intérêt alourdirait de 1% par an le ratio de la dette externe par rapport au PIB.

Compte tenu de la dépréciation moyenne réelle du taux de change effectif réel de l’ordre de 2.77% par an (et de 27,74% en termes cumulés) durant la dernière période, l’hypothèse de gonflement du ratio de la dette extérieure par rapport au PIB est plus que vraisemblable :

 

2000

2001

2002

2003

2004

Taux de variation effective moyenne du dinar
Indice du taux de change effectif réel

+0,07%

+2,16%

+3,19%

+6,90%

+4,34%

Taux de variation cumulée

Indice du taux de change effectif réel

-

+2,22%

+5,41%

+12,32%

+16,65%

 

(*) Taux de variation moyen de l’indice mensuel du taux de change effectif réel du dinar calculé à l’incertain. Cotation à l’incertain : (+) signifie taux moyen de dépréciation (-) signifie taux moyen d’appréciation.
(**) (+) Taux de dépréciation moyenne cumulée (-) taux d’appréciation moyenne cumulée

 

2005

2006

2007

2008

2009

Taux de variation effective moyenne du dinar

Indice du taux de change effectif réel

+4,31%

+1,10%

+3,29%

+1,25%

+1,14%

 

Taux de variation cumulée

Indice du taux de change effectif réel

+20,96%

+22,06%

+25,36%

+26,61%

+27,74%

 

En revanche, et en fonction des données des marchés financiers internationaux, et à supposer par mesure de prudence une indexation des écarts des taux d’intérêt sur les spreads des risques de défaut de l’ordre de 54,9 points de base, il serait aussi envisageable d’anticiper un accroissement de 2,75% par an le ratio de la dette externe par rapport au PIB.

4. Une position délicate pour accompagner la transition

Le recours à l’endettement externe dans la période actuelle semble incontournable au vu, non seulement des difficultés conjoncturelles liées à la transition démocratique mais aussi aux aspects structurels déjà évoqués de déficits de l’épargne domestique et de la balance courante. De plus, la dette externe à moyen et long terme est un déterminant fondamental d’accumulation des réserves en devises. Néanmoins, une lecture rétrospective du profil de l’économie tunisienne montre que sa capacité d’absorption se résume à un tirage moyen brut sur crédits à moyen et long terme de l’ordre de 2 240 millions de dinars par an compatible avec un profil de taux de croissance annuel moyen du PIB à prix constants estimé à 4,6%.

Compte tenu de ces éléments, les projections des instances internationales (FMI en particulier) mais aussi du gouvernement actuel, reposant sur les évolutions anticipées des composantes de la demande intérieure, dénotent d’un profil de croissance ne dépassant pas dans les meilleurs des cas 1,3% pour 2011. Certes, la récente amélioration conjoncturelle du rythme des exportations de biens à plus de 14% durant le premier semestre 2011 (effet Libye notamment) par rapport à l’année précédente entretient des lueurs d’espoir, mais les profils des importations de biens et services ainsi que des composantes de la balance des revenus et des transferts ne sont pas encore clairement établis, ce qui ne permet pas pour l’instant d’anticiper un réel désamorçage du déficit courant chronique.

Aussi, la mobilisation de ressources au titre de la dette externe d’une enveloppe de 2 257 millions de dinars affectées au budget de l’Etat apparaît déjà disproportionnée. Quant à la mobilisation escomptée de 7 150 millions de dinars (5 milliards de dollars) de fonds dédiés et crédits d’investissement au titre de financement du programme économique et social pour la même année, la question est plus que problématique du fait que l’efficacité de ce dernier en termes de création de valeur ajoutée ne sera perceptible qu’à moyen et long terme.

De fait, et en termes de paramètres de viabilité de la dette externe (dont plus de 50% est contractée par les entreprises) analysés précédemment, et compte tenu des performances macroéconomiques qui seraient exigées pour garantir la contrainte de disponibilité suffisante d’avoirs en devises au sein de la Banque Centrale de Tunisie, la réponse minimale aurait été de mobiliser au maximum le tiers de l’enveloppe affectée au budget de l’Etat et allouée au remboursement de la dette extérieure en compensant le reste par un engagement budgétaire complémentaire sur ressources d’emprunts internes sur le marché obligataire par une émission d’un emprunt national. Enfin, revoir le bouclage du schéma du financement du programme économique et social semble plus qu’urgent.

1) En revanche, la dette extérieure à court terme est estimée, à fin 2010, à 10,6% du PIB, ce qui donne un total de la dette extérieure à 47,5% du PIB.

2) Les autorités ont adopté en 2010 un nouveau système de comptabilité nationale pour la période 1997– 2008 afin de se conformer au système de comptabilité nationale de 1993 des Nations Unies, en réévaluant les chiffres des principaux agrégats macroéconomiques aux prix courants, à savoir, le PIB, la formation brute de capital fixe, la consommation, les investissements, l'épargne, etc... L'introduction du nouveau système a eu pour effet global d'augmenter d'environ 10 % tous les ans les chiffres du PIB nominal. En conséquence, les agrégats aux prix constants sont calculés sur la base des prix de l'année précédente, et notamment la croissance globale du PIB réel qui n’est plus calculé en fonction d’une année de base fixe (taux de croissance chaîné).

3) Contrairement à la dette publique (souveraine), la dette privée est beaucoup plus complexe et soumise à des codes réglementaires internationaux précis.

4) Une aide sur trois ans (2011-2013) de 40 Mrds $ a été décidée pour la Tunisie et l’Egypte, avec 20 Mrds d’aide multilatérale et 20 Mrds sous forme d’aide bilatérale.

5) Sur la base des exercices de simulation calibrés par l’auteur sur les profils de la balance des paiements et
de la position extérieure de la Tunisie.

6) En dépit des flux en devises provenant des recettes touristiques et des revenus des travailleurs tunisiens résidant à l’étranger, le déficit courant demeure essentiellement imputable au déficit commercial.

7) En revanche, la baisse ou le repli des avoirs nets en devises est tributaire des dépenses engagées au titre de remboursement de la dette extérieure ou à l’accroissement des dépenses au titre de règlement des transactions courantes.

8) D’autres recettes d’opérations financières sous formes d’investissements de portefeuille au titre de prises de participation d’investisseurs étrangers aux capitaux de sociétés publiques ou d’encaissements de flux au titre des recettes de privatisation contribuent de façon marginale et épisodique à la consolidation des réserves.

9) Modélisation à base de vecteur autorégressif structurel.

10) Il est prévu un allongement du délai habituel de remboursement pour les futurs prêts à la Grèce en le portant de 7,5 années à un minimum de 15 ans avec un délai de grâce de 10 ans. Ces prêts seront accordés

11) Il s’agit de tests d’impulsions (fonctions de réaction) ou de simulations stochastiques de chocs individuels permanents d’un demi écart type à partir d’un VECM (la méthodologie de simulation est disponible auprès de l’auteur).

à des taux d'intérêt équivalents à ceux prévus par la commission européenne dans le cadre du mécanisme
de soutien à la balance des paiements, soit 3,5 %.


Sami Mouley
Professeur - Université de Tunis

in: centre Ctvie de l IACE