Code du Statut Personnel : 55 ans et ….après ?
Dorra Bouzid, première femme tunisienne journaliste fait partie de la génération charnière d’étudiants, à cheval entre le colonialisme, l’autonomie interne (1955) et l’Indépendance (20 Mars 1956). Celle donc qui a connu, vécu et fait connaître le Code du Statut Personnel (13 Août 1956) avant, pendant et après. Témoignage.
En 1956, j’étais étudiante en pharmacie à Paris, militante active, mais aussi journaliste. En effet, j’envoyais à Béchir Ben Yahmed qui venait de fonder l’ancêtre de Jeune Afrique, L’Action, des billets féministes incendiaires sous le célèbre pseudonyme protecteur de « Leila », car à l’époque, il était très dangereux d’agiter ces idées subversives. J’étais d’autant plus virulente que comme toutes mes sœurs brimées, je souffrais de toutes les injustices, les interdictions, les tabous intolérables.
Le 13 août 1956, date de l’annonce du fabuleux Code du Statut Personnel qui nous donnait les mêmes droits que les hommes, j’étais en vacances à Tunis. Et c’est avec mes sœurs libérées que j’ai fêté ce premier « Treize Août »comme une délivrance extraordinaire, une Révolution, une prise de la Bastille. Je l’ai vécu donc non seulement comme acteure mais aussi comme médiateure. Je suis descendue dans la rue avec elles pour soutenir le CSP, l’applaudir, pleurer de joie avec elles et aussi pour témoigner dans ma double page célèbre de « l’Action Féminine » et toujours sous le pseudonyme de « Leila (3 septembre 1956 ). Sous ce grand titre mémorable « La Femme tunisienne est enfin majeure ! » j ’y ai annoncé les principaux articles -dont le premier, capital, qui supprimait la loi charaïque au profit des tribunaux civils. J’y ai publié plusieurs photos de la `manif’ des rues et des photos des deux cheikhs qui ont participé à l’élaboration de ce Code : ABDELAZIZ DJAIT et TAHAR BEN ACHOUR avec pour légendes leurs déclarations fort émouvantes :
-Tahar ben Achour : « Les réformes sont sociales, nous sommes effectivement dans une période qui doit s’adapter à l’évolution ».
-Abdelaziz Djait : « Tant que l’on conserve la foi, la religion peut s’adapter, l’essentiel est de respecter l’esprit de l’Islam ».
Et dans mon édito intitulé « Le Code va-t-il à l’encontre de la religion ?», je démontrais qu’il n’en était rien. J’ai énuméré ensuite les principaux articles du CSP :
1-Suppression des tribunaux religieux.
2-la femme a le droit de choisir librement son mari dont le droit au divorce est limité.
3-Abolition de la polygamie.
4- la jeune fille devient majeure à l’âge de 20ans.
Je citais aussi les diverses réactions : « Liberté, Liberté chérie », « Je suis enfin moi-même », « Je n’aurai plus envie de me suicider »etc. et notais quelques « Grains de folies » : des femmes qui voulaient répudier leurs maris, des étudiants qui voulaient faire la grève du mariage ou encore une allusion malicieuse à Ahmed Mestiri qui, « le pauvre, venait de se marier à un moment où il perdait tous les anciens privilèges des hommes!»
Une tunisienne forte et libérée.
Par la suite, aussi bien comme citoyenne pharmacienne, que comme journaliste j’ai continué le combat militant féministe et médiatique. Parallèlement en fondant la rédaction du premier et célèbre magazine arabo-africain (1959-1967) : « Faiza », puis dans de multiples médias dont le troisième magazine féminin que j’ai créé pour « Réalités » : « Femmes et Réalités», supplément féministe gratuit (1998) qui existe toujours mais que j’ai quitté en 2005 pour incompatibilité d’opinion ’féministe‘ !!!
Dès 1956, donc dans tous mes organes de presse, j’allais témoigner, soutenir, lutter, pour changer les mentalités rétrogrades et former la nouvelle citoyenne tunisienne, lui faire connaître ses droits, lui apprendre à se défendre et à militer pour l’égalité.
Tout au long de mon parcours, j’ai toujours continué le combat contre l’ignorance, l’intolérance, j’ai témoigné également du vécu, des changements mais aussi des insuffisances du CSP :
- l’héritage par exemple, toujours discriminatoire seul article où l’égalité n’est pas reconnue.
- les pensions alimentaires qui ne sont pas versées aux épouses.
Aujourd’hui, 55 ans après, pour fêter le premier 13 août de la Révolution, on peut dire, malgré les insuffisances du CSP et certaines dérives (chez des magistrats nostalgiques, entre autres) : « On a gagné ! ».Cependant la vigilance doit être maintenue car tous les dangers sont possibles.
Donc, c’est gagné ! Les lois sont là. Et les femmes libérées. Les magazines féminins nombreux abordent tous les sujets tabous d’avant : harcèlement sexuel, violence etc... Quand on voit en 2011,sur les plages, dans les rues, à la ville et à la campagne, un peu partout en Tunisie, toutes nos ravissantes jeunes filles en fleur, épanouies, rieuses, instruites, laborieuses et crâneuses, on est rassuré. Ne parlons pas de nos nombreuses petites filles si jolies si délurées et encore plus épanouies que leurs ainées. Il est clair qu’elles ne se laisseront pas faire ! Contrairement à autrefois, nos femmes ont droit de regard sur leurs vies de célibataires, de femmes mariées, divorcées ou veuves.
En conclusion je dirai que protégée par les lois et l’instruction, la femme tunisienne d’aujourd’hui est une femme forte. Libérée.
Dorra Bouzid