Chute de Kadhafi: Sales temps pour les dictateurs arabes
Décidément, il ne fait pas bon être dictateur dans le monde arabe aujourd’hui : après Ben Ali, Moubarak, c’est au tour « du doyen des chefs d’Etat dans le monde », si l’on excepte la Reine d’Angleterre et le roi de Thaïlande, c’est l’inénarrable Mouammar Kadhafi qui se voit contraint de quitter le pouvoir après 42 ans de règne sans partage. Un dictateur fantasque comme seules les sociétés arabes sont capables d’enfanter.
En 1969, la Libye était un pays en pleine déliquescence où le pouvoir n’était pas à prendre, mais à ramasser. Et comme la nature avait horreur du vide, le 1erseptembre, un groupe « d’officiers libres », renversait le vieux roi Idriss Essenoussi. Son chef, le colonel Kadhafi, un disciple de Nasser se proclamera quelque mois plus tard chef d’Etat. Il avait 27 ans. Personne ne se doutait que ce jeune officier idéaliste qui ne rêvait que de rendre leur dignité aux Arabes après la débâcle de de la guerre des « six jours » allait se métamorpher au fil des années en monstre dont la capacité de nuisance s’accroîtrait au fur et à mesure des échecs enregistrés, faisant reculer à chaque fois les limites de la déraison humaine. Il était Don Quichotte, Idi Amin Dada et Hitler réunis dans la même personne.
Au départ, il avait une idée fixe : l’unité arabe, comme son mentor, Nasser. Après la disparition de ce dernier, il prit sur lui de poursuivre l’œuvre du maître, s’octroyant le titre « d’Amin el Kawmiya El Arabya ». Suivra une série de tentatives unitaires toutes mort-nées, avec l’Egypte, la Syrie, le Soudan, la Tunisie, le Maroc et…Malte. Jamais à court d’idées, il se lancera à partir des années 80, dans le terrorisme international finançant à tour de bras tout ce que le monde comptait comme mouvements révolutionnaires comme l’IRA, le mouvement Moro du sud des Philippines, l’ETA, les séparatistes corses, les opposants de maints pays africains dont la Tunisie et organisera les attentats de Lockerbie et de l’avion d’UTA abattu au dessus du Tchad…avant de se tourner vers l’Afrique en devenant le héraut de l’unité africain, allant jusqu'à se faire intrôniser roi des rois d'Afrique par une assemblée de chefs traditionnels. Pendant quatre décennies, Kadhafi fera parler de lui, défrayant la chronique par son comeportement excentrique lors de ses visites à l’étranger où il se faisait accompagner par une véritable smala composée notamment d’une centaine d’amazones à titre de gardes du corps, et de sa fameuse tente high tech qu’il n’hésitera pas à planter dans les parcs des résidences mises à sa disposition.
Le bilan sur le plan intérieur n’est pas plus reluisant. Il fera de son pays le laboratoire des expériences les plus insensées (la troisième théorie, le règne des foules ou jamahirya, la suppression de la propriété privée), modifiera le calendrier musulman. Il changera même de look, endossant tantôt le boubou africain, tantôt l’habit traditionnel revisités bien sûr par le plus grands couturiers européens ou encore l’uniforme de général d’opérette constellé de décorations à la manière des vieux maréchaux soviétiques. Mais c’est sur le plan des libertés que le bilan apparait comme le plus désastreux avec des milliers de dissidents liquidés, pourchassés jusque dans leur exil, sur les bords de la tamise, jusque dans leurs geôles sans autre forme de procès, une presse aux ordres, tout juste capable de chanter les louanges du génial guide de la révolution.
Que restera t-il de Kadhafi ? beaucoup de gesticulation, du sang, des larmes, le sentiment d’un gâchis immense et un peuple exangue qui était venu à se demander pourquoi il était si pauvre, malgré les richesses pétrolières dont regorgeait son sous sol. C’est dire qu’à part ses obligés, il ne se trouvera pas beaucoup de monde pour le regretter, ni dans son pays, ni chez les voisins, Tunisie comprise, elle qui a eu par le passé à souffrir de ses frasques. Les Tunisiens, notamment, ne sont pas près d’oublier ses attaques contre leur révolution au lendemain du 14 janvier.
La Libye est peut-être le pays arabe le plus proche des Tunisiens. A chaque fois que ça allait mal, c'est vers nos voisins du sud, qu'on se tournait. Ce fut le cas en 1881 et dans les années 50. La réciproque est aussi vraie. En 1911, des milliers de Tripolitains comme on les appelait traversaient la frontière tunisienne pour trouver refuge dans notre pays après l'invasion italienne. Beaucoup d'entre eux y ont fait souche. Un siècle plus tard, leurs enfants et petits-enfants refaisaient le même itinéraire pour échapper à la répression du régime de Kadhafi. En suivant les développements de la crise libyenne, beaucoup de Tunisiens ont été surpris par le nombre élevé de dirigeants de la révolution portant des noms bien de chez nous. Les Chammam, Ghariani, Zlitni, Tarhouni, Mosrati, Zaoui, Gmati sont en fait des noms libyens. Sait-on que Bourguiba est lui-même d'origine libyenne ? Les deux révolutions nous ont davantage rapprochés. Elles nous ont fait prendre conscience de la nécessité de conjuguer nos efforts. Sans doute dans ce monde globalisé, les relations de bon voisinage et la coopération classique entre deux pays voisins ne répondent plus aux aspirations des deux peuples. Il faut aller plus loin, penser par exemple à une union économique et même plus si affinités.
Hédi Béhi