Opinions - 22.08.2011

L'université entre démocratie et gouvernance

L’université a eu le privilège d’ouvrir le bal des élections post-révolutionnaires. Pour la première fois, les directeurs des écoles et instituts universitaires ont été élus par des conseils scientifiques, eux-mêmes élus. A l’instar de leurs collègues doyens de facultés qui l’ont été de tout temps, si on exclut la courte parenthèse d’Amor Chedli.

C’est un tournant symbolique important. Pour bon nombre d’universitaires, en effet, l’élection des conseils scientifiques, comme celle des doyens et directeurs d’établissements, et demain des présidents d’université constituent la clé de la bonne gouvernance de l’université. Il est vrai que la nomination des directeurs par l’Administration avait le plus souvent conduit à installer aux commandes des serviteurs zélés du pouvoir, dont la compétence n’était plus qu’une option.

Mais pour nécessaires qu’elles soient, les élections sont-elles la panacée ? Si c’était vrai, nos facultés seraient aujourd’hui dans un meilleur état qu’elles ne le sont. Les élections des doyens résultent en général de savants compromis entre collèges électoraux, dans lesquels la politique scientifique et les orientations stratégiques de l’institution n’ont que peu de choses à voir. Comment le pourraient-elles d’ailleurs, quand c’est l’autorité de tutelle qui détient les cordons de la bourse, le recrutement des étudiants comme des enseignants, qu’elle fixe les programmes de formation, détermine dans leurs moindres détails les orientations et les partenariats des institutions, tout en contrôlant la moindre de leurs ressources ? L’autonomie des institutions s’est réduite au fil du temps comme une peau de chagrin, le doyen élu – tout comme le directeur nommé – ne représentant plus qu’un maillon mineur de la chaîne de commandement. Alors, avant de parler élections, sans doute eût-il fallu parler des prérogatives des doyens et directeurs. Les élire, d’accord… mais pour faire quoi ?

Sur un autre plan, réduire la démocratie universitaire à ces élections serait une erreur. Car les établissements publics ne sont pas la propriété de leurs salariés, ils appartiennent à la nation tout entière. Ils sont créés et fonctionnent grâce aux impôts payés par les citoyens, qui devraient donc avoir un droit de regard sur l’usage qui en est fait. C’est le cas de Tunisair, de la STEG ou de l’ONAS. Cela doit aussi être le cas pour l’université et pour le système éducatif dans son ensemble. La nation consacre à celui-ci 7% de son PIB, soit l’équivalent de la richesse produite par le tourisme grâce aux 350 000 Tunisiens qui y travaillent. Comment admettre dès lors que quelques milliers d’enseignants soient seuls à décider de l’usage à faire de cet appareil essentiel pour le devenir de la nation ?

Nul ne contestera certes qu’ils soient les plus qualifiés pour nous dire comment faire. Mais ils ne sont en rien plus légitimes que n’importe quel autre citoyen pour décider de quoi faire. La démocratie, c’est en effet « un homme, une voix », et non la confiscation du pouvoir de décision par les experts.

Alors, comment concilier l’indispensable démocratie interne au sein des établissements et l’autonomie qui leur permet d’imaginer et de conduire des politiques originales répondant aux besoins du pays et des régions, avec leur non moins nécessaire contrôle par les citoyens et leurs représentants ? La clé est multiple. D’abord, des conseils d’établissements universitaires associant à leur gouvernance, à côté des représentants des personnels, des représentants de l’intérêt public – à savoir l’Etat – ainsi que ceux de ces principaux usagers des produits de l’université que sont les entreprises. Faute de quoi l’université ne pourra sortir du rôle de producteur de chômeurs diplômés qu’elle a fini par devenir ces dernières années. Ensuite, l’élection par ces conseils d’établissement – et non par les seuls enseignants – des directeurs et des doyens, des présidents d’université aussi, sur des appels à candidatures ouverts à tous ceux qui en ont les qualifications, qu’ils appartiennent à l’établissement ou non. Enfin, que l’élection de ces dirigeants se fasse sur la base de leur projet d’établissement, et non sur la simple connaissance qu’ont leurs collègues de leur parcours et de leur personnalité.

La démocratie, cela consiste en effet à choisir un projet et celui ou ceux qui le portent, et c’est beaucoup plus qu’un simple vote.

M.J.