Saadedine Zmerli
Vous ne cachez pas votre inquiétude concernant la situation actuelle ?
Oui, les motifs ne manquent pas et dans plusieurs domaines, particulièrement ceux de l’emploi, de la sécurité et de la communication.
Les résultats concernant l’emploi sont très mitigés et représentent une source d’inquiétude, une inquiétude partagée.
Pourtant, dès sa prise de fonction le 4 mars Béji Caïd Essebsi a insisté sur la nécessité de lutter contre le chômage et de favoriser l’emploi des jeunes diplômés sans travail des régions frontalières , initiateurs de la révolution, qui n’ont cessé de réclamer du travail pour sortir de la misère et aspirer à une vie décente et digne.
Mais comment procurer des emplois à ces jeunes ? Quand grèves et sit-in se multiplient avec des conséquences économiques menant le pays à la faillite.
Nous avions dénoncé en février la grève qui avait entrainé l’immobilisation du port de Tunis et de l’aéroport de Tunis-Carthage pendant plusieurs jours, au grand dam des voyageurs.
Un autre exemple difficile à comprendre, celui de la cimenterie d’Enfidha, première entreprise du secteur, à l’arrêt depuis le 27 juin, suite à la confiscation de son matériel par des habitants d’Aïn M’dhaker. La société emploie 800 travailleurs et contribue à l’emploi de 50000 personnes environ.
Aujourd’hui nous avons besoin de la reprise, le plus tôt possible, de notre tourisme générateur d’emplois et de la reprise d’activité des sociétés étatiques et privées aujourd’hui arrêtées.
Les doléances des travailleurs doivent être étudiées sérieusement, mais sans attendre les résultats et les modalités, la reprise du travail doit être immédiate.
C’est grâce à la sécurité, à la stabilité, à une définition claire et transparente de nos capacités et à une conception nouvelle de nos échanges que reviendront les investissements étrangers, source de création d’emplois indispensable à notre économie.
Notre souci second est l’attitude de la police qui ne parvient pas encore à assumer pleinement toutes ses responsabilités. Son premier rôle est d’aider ses concitoyens. Mais aussi d'assurer la sécurité dans le pays, indispensable à la remise en marche de l’économie. C’est en assumant son double rôle qu’elle sera respectée.
Je regrette que notre gouvernement, malgré son caractère intérimaire et en dépit de ses efforts, n’ait pas fait œuvre de création dans de nombreux domaines. Chaque ministre à travers des émissions télévisées régulières aurait pu y faire participer la société civile. La communication a été parcellaire, retardée et non partagée.
Une décision particulière a interpellé récemment votre attention?
Effectivement, la nomination de Noureddine Hached à la tête du Haut Comité des Droits de l’Homme, a été une erreur. Farhat Hached est dans la mémoire de notre pays. Grâce à lui, son fils Noureddine n’a pas été oublié : gouverneur, ministre, ambassadeur, Secrétaire général-adjoint sur le quota de la Tunisie, au sein de la Ligue Arabe et, aujourd’hui, retraité. Ni victime ni militant, les Droits de l’Homme ne l’ont jamais concerné. Cette désignation, prise sans consultation, nous rappelle les pratiques du passé. Au-delà de la personne, la procédure est inacceptable.
Les oubliés, ce sont les militants de la LTDH qui ont lutté pour la dignité et la liberté en affrontant la violence, la torture ou la prison. C’est à l’un d’eux, de la deuxième génération, après celle des fondateurs, formés à l’esprit et à la pratique de la défense des Droits de l’Homme que l’on aurait dû et que l’on doit confier cette importante responsabilité.
Mais, dans l’ensemble, vous gardez espoir ?
Oui nous avons des raisons d’espérer. Personne n’imaginait, le vendredi 14 janvier 2011, la chute de l’ancien Président, la chute d’un régime personnel, cruel et prédateur. Cette révolution populaire et pacifique qui a réussi à renverser un régime tyrannique, solidement implanté, mérite le qualificatif d’exemplaire. Elle a fait voler en éclats des institutions qui étouffaient tout un peuple. L’heure n’est plus aux réformes mais à la création, ce sera le rôle de toute notre jeunesse.
La liberté de parole s’est imposée en un jour dans la réalité quotidienne. Une victoire qui ne peut être qu’irréversible.
Un climat de liberté s’est installé dans tout le pays, conduisant parfois à des propos outranciers, diffamatoires prononcés à la télévision ou à la radio, sans réaction du directeur du débat, souvent un journaliste.
Tous les démocrates ont applaudi à la parité dans les listes électorales. La capacité de la société civile à conduire la transition démocratique, en fédérant initiatives et partis pour établir des listes électorales communes, s’est traduite par la constitution du pôle démocratique et moderniste. C’est une nouvelle volonté d’affronter en commun l’élection de la Constituante. C’est une volonté de créer de nouvelles institutions et non de réformer les anciennes. Aussi faut-il rappeler à tous les citoyens leurs droits et devoirs en matière d’élection et de les appeler à voter pour des femmes et des hommes neufs, honnêtes, courageux, guidés par la Démocratie qui apporteront la confiance et feront de la Tunisie le modèle envié de la « Révolution du Jasmin ».