Le système éducatif co-responsable du chômage : des dégâts et des remèdes
I - L’ampleur des dégâts
Le problème est de savoir comment le système éducatif pourra à l’avenir contribuer à faire accéder les diplômés à l’emploi et non au chômage puisque pour le moment, il apparait comme un facteur aggravant sinon proprement créateur de chômage. Au risque évident d’être excessif, on a l’impression que l’on forme, que l’on délivre des diplômes, le marche recrutera ce qui lui conviendra, et on passe aux suivants. Résultat : 150.000 à 200.000 diplômés ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas accéder à un emploi.
Un état des lieux est par conséquent nécessaire pour repérer les défaillances à redresser dans le fonctionnement du système éducatif préalablement à toutes reformes éventuelles de son contenu.
1) l’adéquation formation emploi n’est pas évaluée
Les statistiques détaillées relatives au chômage des diplômés par spécialité, par région et au besoin par établissement ne sont pas rendues publiques pour faire apparaitre, à chaque instant, les spécialités non acceptés par le marché.et les effectifs concernés c'est-à-dire destinés au chômage. Cela semble ne concerner que les experts .Les familles sont pourtant concernées.
2) Le système éducatif ne produit pas pour un marché
Dans les pays développés, le chef d’un établissement de formation se comporte comme un chef d’entreprise. Il se soucie de produire pour un marché et s’assure que sa production correspond à un besoin immédiat ou potentiel. il assure le suivi du placement de ses diplômés. En fait, Il se dote d’une sorte de cellule Marketing et applique une règle très simple : Une production qui ne trouve pas preneur ne peut pas être indéfiniment poursuivie.
Les diplômés classés « à insertion difficile »dans les bureaux d’emploi et leur répartition par spécialité et par région doivent également être connus de tous et le maintien de la production dans ces spécialités justifié.
Le Ministère de l’emploi devrait publier régulièrement ces statistiques pour les raisons citées.
le Chef d’un « Institut de Formation à l’Elevage des Bovins » spécialise dans l’étude de la relation entre la composition des aliments et la qualité de la viande, et que j’ai visitée au Texas , connaissait les affectations des étudiants de plusieurs promotions avec lesquels son établissement garde le contact. Ils ont la possibilité de consulter les formateurs sur les problèmes qu’ils peuvent rencontrer et l’échange d’information est profitable aux deux parties. C’est ainsi que le contenu des programmes de formation « colle » parfaitement aux besoins des entreprises.
3) les méthodes d’orientation ne sont pas appropriées
La structure du système éducatif tunisien n’est pas lisible .Avec pres de 600 spécialités, les étudiants et leurs familles sont devant une foret ou ils ne reconnaissent pas toujours les espèces. Cela est source de mauvaises interprétations et de confusions.
Les jeunes savent qu’on leur impose parfois --- en fonction des structures d’enseignement disponibles --- un métier pour lequel ils n’ont pas toujours de vrais penchants. Ils ont par conséquent tendance à tenir l’Etat responsable de tout échec éventuel ;
Il serait temps que l’on évolue, vers une orientation libre ou chaque établissement fixerait seul le niveau et les modalités de ses recrutements. Cela responsabiliserait les établissements, et les candidats.
Cela nous conduit a l’autonomie des universités qui doivent prouver leurs performances et assumer leurs responsabilités.
4) L’inégalité des régions devant le système éducatif est flagrante
Mais l’orientation pose parfois problèmes en amont, et dés le secondaire ;
La répartition des bacheliers par filière pour l’année scolaire 2010 montre en effet que c’est à Sidi Bouzid que la proportion de bacheliers « lettres » est la plus forte ; 51,6% contre une moyenne nationale de 30,60 % .Ce pourcentage n’est que 25 % dans les ragions côtières et de 16,9 % à Tunis,
Seuls les Responsables du Ministère de L’Education Nationale pourront expliquer ces disparités !
5) La baisse de niveau des diplômes sont multiples
Les chefs d’entreprises se plaignent du faible niveau des candidats à l’embauche malgré leurs diplômes
L’idée est également répandue que les universités Tunisiennes ne figurent pas parmi les 100 meilleures au monde…Parmi les raisons l’on peut citer :
- Une règle non écrite du non redoublement au cours du cycle primaire : Qu’il ait appris ou non à lire, à écrire et à compter, l’élève sera admis en classe supérieure.
- Il en est de même pour le baccalauréat. Plus il y avait d’admis, plus le Bac est politiquement rentable.
- Une très faible maitrise de la langue française pour lire et comprendre correctement une notice de montage ou de maintenance. Très souvent ils ont du mal à terminer une phrase et finissent par conjuguer les verbes de la langue française avec la grammaire de la langue arabe.
Dans les écoles franco-arabes des années 50 le Diplôme Sadiki était le label d’une culture bilingue solide. Pourquoi ceci ne serait-il plus possible aujourd’hui ? Pourquoi nos enfants seraient ils amenés à parler le français des brousses ou du Rap alors qu’ils sont sensés accueillir et présenter leur pays aux touristes ?
- Lorsqu’ ils sont formés dans une discipline, ils n’ont généralement pas de culture générale parallèle,. Ils ont aussi du mal a réfléchir ,et a concevoir de sorte qu’en dehors de leurs spécialités, ils sont comme un poisson que l’on a sorti de l’eau.
- Les enseignants se plaignent par ailleurs de la non application de la réglementation .La loi d’orientation de l’éducation et de l’enseignement scolaire de Juillet 2002 et la loi relative à l’enseignement Supérieur ne sont pas respectées. Cela ouvre la voie à l’improvisation. L’Administration organise l’enseignement sous les contraintes du quotidien et du politique, et les résultats des examens « doivent »être bons !
- Le contenu des programmes n’est pas toujours mis à jour et sans vouloir généraliser abusivement, l’obligation majeure est de restituer aux élèves ou aux étudiants le contenu des programmes parfois largement dépassés. Par contre les programmes sont truffes de propagande politique régulièrement mise à jour.
De l’avis d’experts des dérives très graves ont été « commises » dans la gouvernance du système éducatif sous le régime du Dictateur déchu, dans un but de propagande politique vantant des performances fictives !
- il y avait une nouvelle réforme pratiquement tous les deux ou trois ans, qui se sont toutes traduites par un nivellement vers le bas à la fois du contenu des programmes de l’enseignement universitaire et de la compétence du corps enseignant, et par conséquent de la valeur scientifique des diplômes accordés.
- Chaque réforme introduisait davantage de facilitation pour passer d’une année à l’autre ou d’un cycle à l’autre et réduisait l’enseignement supérieur à une simple formalité d’inscription et de présence, plus ou moins assidue d’ailleurs, à la fin de laquelle une écrasante majorité d’étudiants sortiront diplômés, qu’ils aient le niveau requis ou pas.
Parmi ces mesures de facilitation l’on citera : l’augmentation du nombre possible d’années de redoublement dans un même cycle, l’introduction du contrôle continu avec possibilité de garder la meilleur note, la suppression des stages pratiques en entreprises lorsqu’ils existaient, la systématisation des doubles sessions lorsqu’il y avait une seule etc.
- le corps enseignant à l’université a subi lui aussi un nivellement vers le bas car, sous la pression de la grande masse d’étudiants à former et du nombre croissant d’instituions universitaires, qu’on a crée un peu partout dans le pays sans même s’assurer de l’existence de l’infrastructure économique et académique nécessaire, le ministère a appliqué une politique de recours massif aux vacataires et aux contractuels, qui ont presque le même âge que leurs étudiants et qui n’ont souvent pas eu l’occasion de faire de recherches approfondies ni même d’achever leur thèse
- La multitude des filières et des formations de troisième cycle crées dans chaque institution universitaire, souvent sans programmation et corps enseignant adéquats et sans adéquation avec les besoins réels du marché de l’emploi, a constitué une échappatoire pour le jeunes maitrisards qui s’y inscrivent par milliers, pas toujours d’ailleurs par vocation ou aptitude particulière, mais en attendant de trouver un emploi.
- Une autre cause importante du nivellement vers le bas du corps enseignant universitaire et, par conséquent, de la qualité de l’enseignement supérieur dispensé à nos étudiants, est la politique de recrutement et de promotion à tous les grades de l’enseignement supérieur, caractérisée par le système de « parrainage des candidats » et le non respect des dispositions du décret n° 1825 du 6 septembre 1993.
6) Le système éducatif coresponsable du chômage ?
La constatation finale est que l’éducation a suivi une courbe non maitrisée, qui a ignoré celle des besoins du marché du travail ! Ces courbes ont pu se rapprocher ou s’écarter l’une de l’autre beaucoup plus au gré du hasard des investissements, qu’en vertu d’une démarche visant des objectifs clairs .L’on ne pouvait que constater les résultats. Les entreprises ont recruté les diplômés dont les qualifications pouvaient correspondre ou se rapprocher de leurs besoins ; les autres sont allés régulièrement grossir les rangs des chômeurs. C’est la seule réponse que l’on peut donner a la question posée au début de ce texte. La réponse est que la co-responsabilité. du système éducatif ne peut pas être exclue.
Cela ne diminue certes en rien les réalisations du système qui a fourni aux entreprises cadres et techniciens, ni les performances du corps enseignant tous grades confondus, qui a su assurer ses missions avec les moyens du bord. Dans les faits nous avions tous la nette conviction que les Ministres de l’Education relevaient directement du Chef de l’Etat tandis que les problèmes économiques étaient traités pat son Premier Ministre et aucune coordination, évaluation de l’adéquation formation-emploi, ni contrôle significatif des résultats n’étaient opérés. Il ne pouvait échapper à personne qu’au niveau national, le 1/4 environs des diplômés n’accédaient pas à un emploi et que dans certaines régions, entre un tiers et la moitie des diplômes ne trouvaient pas chaussures a leurs pieds et venaient annuellement grossir les rangs des sans emploi, convaincus d’avoir été trompés! Rien ne pouvait conduire plus surement à la Révolution.
Aussi et dans la mesure où seule l’évolution des effectifs d’étudiants et des pourcentages de réussite aux examens étaient mis en valeur pour une exploitation politique, c’est à un véritable gaspillage de nos ressources humaines, notre principale richesse, que nous avons assisté et le résultat est un gâchis. En un mot au lieu de générer un développement économique et social, l’éducation a eu plutôt du mal à le suivre.
C’est au regard de la Nation la faute la plus grave commise par le régime défunt et c’est la blessure qui remettra le plus de temps à cicatriser.
II - La Réforme de l’éducation
La principale caractéristique de cette reforme résidera dans le fait qu’elle renversera cette tendance et qu’elle « organisera le développement économique social et culturel » de la Tunisie autour d’une Education érigée en Moteur du progrès. Etre développé n’est pas seulement être riche. Des pays producteurs de pétrole et de gaz en quantités océaniques, comptent leurs analphabètes et leurs chômeurs avec des pourcentages a deux chiffres de leurs populations actives, et n’excellent que dans l’importation des derniers modèles de tout ce qui est conçus et fabriqués ailleurs. Ils sont riches, mais pas développés.
La Tunisie Premier Dragon Arabe en 2040 a, nous l’avons énoncé plus haut une autre ambition : Tout en étant riche et prospère elle voudra contribuer aux progrès de la science et de la technologie, produire et exporter selon les technologies de pointe, à haute plus-value et à partir de ses propres innovations, Elle voudra développer en premier lieu ses ressources humaines qui accéderont à un bien-être social doublé d’un épanouissement culturel.
C’est grâce à cette reforme que l’éducation sera en mesure de créer les Cerceaux- Moteurs de cette prospérité, et au final une nouvelle génération entreprenante et motivée par ce rêve.
En Tunisie comme dans la plupart des Pays Dragons, prés de 40% de la population auront reçu une formation supérieure de qualité. Les cadres supérieurs techniques, les enseignants, les chercheurs, les manageurs toutes spécialités confondues accéderont à un emploi, créeront leurs entreprises, feront des recherches dans leurs domaines et seront inventeurs, exportateurs de savoir et de savoir faire ;
La Tunisie aura des étudiants dans tous les pays développes, qui reviendront avec des langues, des techniques, des expériences et des modes de penser nouveaux, différents et enrichissants,
La Tunisie accueillera aussi des universités étrangères de pays développés qui contribueront notamment a développer l’enseignement technique.
Dans ce cadre Le Ministère de l’Education devrait être un « Ministère de Souveraineté, » en tous cas un Ministère d’Etat, chargé de l’Education, C’est à lui que reviendra la mission de définir avec les départements techniques de production et de recherche, publics et privés, et en fonctions des options retenues pour le développement économique, les filières, les spécialités et les niveaux de qualification à développer. Il est le principal pilote du développement de nos ressources humaines,. C’est lui qui assurera que les programmes seront à même de promouvoir auprès des jeunes l’Ambition de la Tunisie Premier Dragon Arabe, de faire rêver les jeunes, C’est lui qui veillera à ce que nos écoles abreuvent la jeunesse de tous les principes de liberté, de droits et de principes démocratiques, et qu’ elles suscitent en eux ,l’envie , le besoin de chercher , la soif d’innover .et l’envie d’entreprendre . En un mot, c’est lui qui mettra à leur disposition le savoir nécessaire à l’accomplissement de leur tache. C’est lui qui leur facilitera l’accès et l’appartenance aux sources internationales de ce savoir nouveau..
Il en résulte que le choix du Ministre d’Etat charge de l’Education, appelé à coordonner les activités de Ministres délégués chargés respectivement de l’Enseignement Supérieur, de l’Enseignement Secondaire, de l’Enseignement Primaire et de L’Enseignement Professionnel, est l’une des décisions les plus importantes du Chef de l’Etat ou du gouvernement. Son rôle ne sera pas de gérer le quotidien mais de réfléchir sur les finalités, la philosophie, les options possibles, de proposer des choix, des objectifs et d’évaluer les résultats du système. Son rôle doit s’inscrire dans la durée.
La deuxième précaution a prendre est de ne jamais confier la responsabilité a un homme seul, fut-il le chef de l’Etat. Entre celui qui décide d’arabiser l’enseignement pour des raisons d’ordre démagogiques ou celui qui improvise une reforme plus ou moins importante à chaque rentrée scolaire juste pour plaire, ou pour donner l’impression de faire quelque chose, nous aboutissons à des dérives incontrôlées d’un système qui ne reconnait plus ses objectifs. L’éducation est une affaire de société : sa philosophie, sa finalité doivent faire l’objet d’un consensus, son contenu l’objet d’un Plan Directeur pluriannuel, et ses performances l’objet d’une évaluation annuelle en vue des corrections éventuelles.
Un conseil National de l’Education dans lequel siègeront les représentants des Institutions de recherche publiques et privées, les Centres de Recherche, les représentants des Entreprises tous secteurs confondus et doté de prérogatives pour orienter et évaluer, tiendrait la barre.
Noureddine Ketari