Mohamed Ennaceur : Je crains une montée d'intérêts personnels et la dislocation des liens sociaux
«J’ai le sentiment amer que cette grande noblesse de l’âme tunisienne, qui s’est exprimée avec patriotisme au déclenchement de la révolution, et la généreuse solidarité avec les réfugiés et nos frères libyens, risque de s’éteindre pour laisser remonter à la surface des comportements primaires, claniques, que je croyais révolus. » Invité à débattre du nouveau modèle de société, devant plusieurs centaines d’adhérents de l’ATUGE, réunis jeudi au palais des congrès de Tunis, à l’occasion de leur 20ème Forum, le ministre des Affaires Sociales est allé droit au but. Regrettant « que dans le débat national que vit actuellement la Tunisie, l’institutionnel et le politique l’emportent sur le social et l’économique », il a affirmé que « la Tunisie a grandement besoin aujourd’hui, plus que d’une large majorité qui gouverne, d’un consensus national sur le modèle de société que nous voulons pour notre pays, d’un agenda national pour y parvenir et de règles de jeux que nous devons tous respecter. »
« Nous assistons, a-t-il dit, à des comportements aussi inhabituels qu’inattendus. La révolution s’est déclenchée sur de fortes valeurs patriotiques, qui ont fait gommer l’intérêt personnel pour ne laisser prévaloir que celui du peuple tout entier. De partout s’élevait le chant de la révolution, d’une seule voix et lorsque, la sécurité s’était ébranlée durant les tout premiers jours, des comités de quartiers se sont spontanément créés. Cet élan patriotique s’est poursuivi dans une émouvante et généreuse solidarité, dès l’arrivée en Tunisie des premiers refugiés fuyant la terreur de Kadhafi . Il montre des signes d’extinction. L’ordre est la loi ne sont plus respectés. Le lien social qui cimente la société et cultive cette envie de vivre ensemble, se sectionne. Plus de confiance dans les institutions et même dans l’avenir… C’est très inquiétant ».
« On ne peut réfléchir, poursuit M. Ennaceur, à un modèle de développement tant qu’on ne réalise pas la détresse des gens et le désespoir des jeunes. Toute une génération, dont 700 000 chômeurs, avec notamment parmi eux ces plus de 170 000 diplômés, se trouve sans vision, sans espoir, perdant toute confiance. La révolution a certes balayé le système politique en faillite, mais révélé les causes profondes du malaise tunisien et remis en cause le rôle régulateur de l’Etat, tel qu’il avait fonctionné. C’est ce qui nous recommande aujourd’hui, de relancer un véritable débat national sur ces vraies et grandes problématiques. »
Selon le ministre des Affaires sociales, "le modèle de développement de demain doit intégrer la reconstitution du lien social, la réorganisation des rapports entre la société et l’Etat et surtout créer des conditions pour que les Tunisiens reprennent confiance et reprennent le goût de vivre ensemble. Dans cette reconquête de soi-même et avancée collective, nous devons privilégier l’avenir sur le présent, en garantissant non seulement les chances de la jeunesse d’aujourd’hui, mais aussi celle des générations futures, à travers un développement durable, équitable et inclusif.»
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