Caid Essebsi chez Obama : cinq gestes attendus
Au moment où commence ce lundi la visite officielle du Premier ministre, M. Béji Caïd Essebsi, aux Etats Unis, à l'invitation du Président Barack Obama, nombre d'attentes sont exprimées par les Tunisiens. Fin connaisseur des Etats unis pour y avoir vécu pendant de longues années et travaillé à la banque Mondiale, le Dr Moncef Guen est bien placé pour nous parler des perspectives qu'ouvre cette visite à la Tunisie. Au fait, que pourrait offrir Obama à notre Premier ministre ? le Dr Guen espère voir l'administration américaine accomplir cinq gestes en faveur de notre pays.
Le voyage du Premier Ministre, M. Béji Caid Essebsi, aux Etats-Unis d’Amérique, presque dix mois après la Révolution tunisienne du 14 janvier et à la veille des premières élections libres et démocratiques d’une Assemblée constituante, revêt une signification particulière.
La Tunisie a été le déclencheur de ce que j’ai appelé le « Tunisami » ou tsunami politique, ou printemps arabe qui a permis aux peuples de cette région, longtemps opprimés par des dictatures de fer avec leur train de corruption, de chômage et d’obscurantisme, de secouer ce joug dans un élan libérateur, à mon avis, plus important que la chute du mur de Berlin en 1989 et la libération des peuples de l’Europe de l’est.
A ce titre, notre pays mérite, non seulement, une place symbolique dans l’histoire, mais a droit à une considération spéciale par les pays du monde occidental qui ont, malgré leur attachement à la démocratie et aux droits de l’homme, établi des relations étroites avec les dictatures arabes leur permettant de subjuguer encore davantage leurs peuples. Les pays occidentaux et à leur tête les Etats-Unis, par cette hypocrisie inexcusable, ont une grande dette vis-à-vis des peuples arabes et, en premier lieu de la Tunisie.
C’est fort de cette position historique que le Premier Ministre devrait entamer ses discussions avec les responsables américains. Maintenant que nous avons déclenché un mouvement démocratique dans une région qui compte plus de 350 millions d’habitants et même au-delà, la moindre des choses que nos partenaires occidentaux peuvent faire c’est de faire réussir cette Révolution en favorisant un développement économique et social rapide, équilibré et durable.
Un premier geste que l’Amérique pourrait rapidement faire est la conclusion d’un accord commercial avec la Tunisie. Un tel accord contribuerait à ouvrir l’immense marché américain aux produits agricoles et industriels tunisiens. L’huile d’olive dont la Tunisie est l’un des principaux exportateurs mondiaux est vendue en vrac en Europe, principalement à l’Italie qui la conditionneet la revend, avec une forte plus-value, en Amérique. Un tel accord permettrait, en quelques années, de diminuer la dépendance très forte de l’économie tunisienne vis à vis de l’Europe en diversifiant nos échanges commerciaux extérieurs.
Un deuxième geste que pourrait faire l’Amérique est de procéder à l’annulation de la dette de la Tunisie. Cela aurait valeur d’exemple et permettrait d’engager un processus d’annulation de la dette par les autres pays, notamment ceux de l’Union européenne. Il est à noter que l’accroissement de l’aide bilatérale est difficile dans les circonstances actuelles de dette souveraine, avec la dégradation de la dette américaine par l’agence de notation Standard and Poor’s, mais l’annulation de la dette tunisienne est un geste appréciable et faisable.
Un troisième geste que pourrait faire l’Amérique est d'apporter un appui solide à la Tunisie pour obtenir des concours importants de la part des institutions financières internationalesdans lesquelles l’Amérique joue un rôle de premier plan. Il s’agit non seulement de concours financiers et techniques mais une meilleure représentation dans les Conseils d’administration de ces organisations (Banque mondiale, FMI, Banque Africaine de développement, Banque européenne de reconstruction et de développement) et une Initiative d’annulation de dette multilatérale en faveur des démocraties à revenu moyen, à l’instar de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (IPPTE) qui a donné de bons résultats.
Un quatrième geste que pourrait faire l’Amérique est favoriser les relations financières et techniques entre les investisseurs américains et la Tunisie qui pourrait, avec l’accès facile au marché européen des produits industriels et sa proximité géographique, devenir une nouvelle Irlande pour les entreprises américaines de Silicon Valley, de Wall Street ou de l’Amérique profonde. La Tunisie pourrait ériger à cet effet, des zones franches pour accueillir, sans contraintes douanières, les investissements étrangers destinés à l’exportation.
Un cinquième geste que pourrait faire l’Amérique est d’user de son influence -très grande- auprès des monarchies arabes du Golfe pour restituer à la Tunisie les ressources qui lui ont été spoliées par les fuyards de l’ancien régime dont certains se sont installés aisément dans ces pays, abusant de leur hospitalité déplacée. C’est un dû à la Tunisie dont elle a un grand besoin dans les circonstances actuelles.
Les relations entre la Tunisie et l’Amérique datent du XIX ème siècle. A l’orée du XXIème siècle et de la Révolution du jasmin, c’est l’occasion des bien les renforcer.
Dr Moncef Guen