Le scrutin du 23 octobre vu par Faouzia Ferida Charfi
Qu’attendez-vous des élections du 23 octobre 2011 ?
Le 23 octobre, les Tunisiens vont se rendre aux urnes. C’est un moment unique dans l’histoire de notre pays. C’est la première fois que nous allons réaliser cet acte citoyen, voter librement pour la liste de son choix.
Voter librement et sans peur, cela n’était pas possible avant la révolution du 14 janvier. Dans le régime de Ben Ali, les citoyens devaient faire glisser l’enveloppe rougie par le bulletin imposé par le RCD. Ceux qui osaient choisir un autre bulletin devaient s’attendre à des représailles. Mais cette atmosphère de peur n’a pas empêché la résistance des militants de la liberté qui, aujourd’hui, sont parties prenantes dans le processus démocratique de la Tunisie.
Voter dans un cadre transparent et crédible, cela n’était pas possible avant la révolution du 14 janvier. Les absents votaient, les personnes décédées aussi votaient…Et depuis que je me suis installée à Tunis après mes études en France, j’avais deux cartes d’électeur à mon nom, l’une que mon père recevait à Sfax, ma ville natale, et l’autre que je recevais à Tunis, ma ville de résidence. Je pense que c’était le cas de nombreux concitoyens !
Constituer des listes de candidats indépendants, donner le choix aux électeurs, ce n’était déjà pas admissible aux élections législatives de 1959. Tahar Charia avait constitué une liste indépendante pour participer à ces élections. Sa démarche était motivée non pas par un succès éventuel aux élections compte tenu de la force du parti destourien et de la monopolisation des moyens d’information, mais par le souci d’un citoyen libre voulant donner la possibilité de choix aux électeurs. On peut dire que c’était pour Tahar Charia un exercice pédagogique de démocratie. Le sort de cette liste indépendante est bien connue des contemporains de celui qui avait donné aux jeunes Sfaxiens le goût du cinéma au cinéclub Louis Lumière et leur donnait à voir le monde, leur proposait, grâce à des chefs d’oeuvre cinématographiques, de traverser les frontières géographiques et linguistiques. La liste a été invalidée suite au retrait forcé d’un des candidats et à l’impossibilité de son remplacement. Le recours devant la Cour de cassation intenté par Tahar Charia a été rejeté.
Reconnaître le résultat des élections d’opposants au régime, ce n’était pas possible avant la révolution du 14 janvier. En 1963, les étudiants non destouriens de l’Union générale des étudiants de Tunisie ont eu à vivre des élections dans des conditions inacceptables et révélatrices d’un système politique qui excluait toute contestation, même celle d’une jeunesse heureuse de contribuer au développement de la Tunisie indépendante, avide de participer de manière active à la vie politique avec les idéaux de progrès qui, à l’époque, étaient partagés par la plupart des étudiants de la planète. L’UGET à Paris échappait au parti destourien, à l’emprise du parti unique et constituait un des rares espaces de liberté. Nous étions bien décidés à le défendre et nous étions suffisamment nombreux pour gagner les élections des congressistes au congrès national de l’ UGET cette année-là. Le vote eut lieu à la résidence universitaire de Monsigny, dans le quartier de l’Opéra, et l’opération de dépouillement des bulletins de vote en cours dévoila peu à peu la future victoire des non-destouriens. Ce résultat prévisible ne pouvait en aucun cas être accepté par les étudiants destouriens appuyés par le bureau exécutif de l’ UGET, qui ont tout simplement volé l’urne avec violence en réaction à une bagarre prévue à cet effet. La suite est claire, nous n’avions plus notre place au sein de l’organisation étudiante, il fallait créer notre propre espace de liberté avec tous les risques que la clandestinité impliquait.
Ayant vécu cette terrible frustration de ne pas pouvoir exercer mon libre choix de vote, je suis déterminée, comme beaucoup de mes concitoyens, à oeuvrer pour que les élections du 23 octobre aient lieu de manière transparente dans le respect de la loi.
Quel serait, d’après vous, l’indice de leur réussite ?
L’Instance supérieure indépendantes pour les élections travaille activement pour le succès des élections et la mise en place d’un cadre assurant leur crédibilité, leur transparence, le respect des règles démocratiques. C’est « le souci d’apporter le maximum de garanties et d’efficacité aux principes de neutralité, de transparence, d’équité et d’égalité de traitement entre toutes les listes en compétition, sans aucune discrimination » qui a motivé sa décision d’interdire toute forme de publicité politique à partir du 12 septembre dernier, comme l’a déclaré son président, Kamel Jendoubi.
On peut être inquiet de la réaction de deux partis, le PDP et l’UPL, qui refusent d’appliquer cette décision. Car ce qui doit primer dans ce processus électoral, c’est d’abord le partage de règles démocratiques, il s’agit d’une confrontation politique sur la base de débats d’idées et non d’affiches publicitaires ou de spots télévisuels sans contenu. Nous avons à construire un pays où le citoyen va retrouver sa place, sa dignité, le citoyen, on ne l’achète pas. Tous les citoyens sont aujourd’hui ensemble engagés pour réfléchir à l’avenir du pays, en toute sérénité et en toute responsabilité.
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