Le peuple de Tunisie a voté pour l'espoir
Décidément, le peuple de Tunisie n’en finit pas d’étonner, de surprendre et… de plaire. Grand vainqueur du scrutin historique de la Constituante, il recouvre la plénitude de ses prérogatives et redécouvre les vertus de l’exercice de la souveraineté populaire…
En moins d’une année, il s’est débarrassé - les jeunes de la révolution en tête - d’une dictature dont les fondements perdurent depuis plus de cinquante ans, et il vient de remporter haut la main les premières élections véritablement démocratiques.
Il m’est personnellement difficile à ce propos de ne pas tenter un parallèle historique et de rappeler ou de porter à la connaissance des moins de 40 ans que les élections de 1981 auraient pu connaître la même issue heureuse que celles que nous venons récemment de vivre trente ans après…
N’eût été le grave dérapage qui en a entaché le scrutin et faussé les résultats, les élections de 81 restent en dépit de tout un évènement majeur (les résultats officiels en moins !) qui aura été en 50 ans d’indépendance de la Tunisie le seul à se rapprocher le mieux d’élections pluralistes démocratiques véritables. Il est dommage que les forces de
l’immobilisme de l’époque aient imposé leur diktat pour faire avorter ces élections…
Certains d’entre nous qui étaient en première ligne (Si Ahmed Mestiri, Mustapha Ben Jaafar, l’auteur de ces lignes et bien d’autres amis du MDS de la belle époque…) doivent éprouver aujourd’hui la même émotion en se remémorant cet évènement qui a malheureusement tourné court par le grand bourrage des urnes qui du ‘vert‘ (couleur des bulletins MDS) ont viré au ‘ rouge’ du PSD… Si Ahmed avait fort justement commencé sa conférence de presse pour commenter la mascarade électorale par son fameux et mémorable ‘J’accuse le ministre de l’Intérieur d’avoir falsifié les résultats des élections’.
Pour en revenir aux dernières élections, il convient de rappeler qu’elles étaient appréhendées et jugées à risque par nombre d’observateurs avertis.
En effet, les risques qui auraient pu plomber cette étape capitale de la transition démocratique étaient bien réels:
1- le risque d’un taux d’abstention élevé (synonyme de suspicion et de lassitude ou d’indifférence populaire) qui fragiliserait dès le départ n’importe quelle majorité arrivée au pouvoir par les urnes ;
2 - le risque des dérives en matière de sécurité intérieure pendant les étapes du processus électoral, attisées notamment par les provocations initiées par certains centres d’influence et qui ont tenté dernièrement (et vainement) de chahuter le processus électoral ;
3 - et enfin le risque du scénario catastrophe d’une Constituante mosaïque, ingérable et à majorité instable.
Le bon sens populaire aura finalement démenti toutes ces appréhensions et déjoué tous ces pièges :
1- affluence massive record le jour du scrutin ;
2 - le civisme et la maturité ont prévalu lors de la campagne électorale et le jour du scrutin, n’en déplaise aux arroseurs et autres provocateurs qui se sont trouvés… arrosés ;
3 - et enfin des élections qui se sont normalement déroulées à la date prévue du 23 octobre, et dont l’issue semble être une Constituante gouvernable composée de trois ou quatre groupes politiques qui négocieraient entre eux l’exercice de la nouvelle légitimité… nous sommes heureusement dans le meilleur cas de figure!
Et c’est cela que ce peuple valeureux des braves vient de réaliser ; et s’il a fait le choix de conforter le camp des défenseurs authentiques de l’identité arabo-musulmane, notamment le parti Ennahdha, et des tenants de l’éthique et des bonnes pratiques politiques, c’est qu’il a ses raisons; et la raison nous impose, ainsi qu’à nos partenaires étrangers, le respect de ses choix et de son jugement. Mais attention, le peuple souverain est loin d’avoir fait un cadeau aux protagonistes vainqueurs du scrutin ; il leur consent une majorité confortable pour qu’ils soient en mesure de gouverner et de répondre aux attentes légitimes et pressantes qui se manifestent de toutes parts.
Ce faisant, il vient de leur fournir en partie les moyens, l’obligation de résultats étant à leur charge.
La confiance des électeurs est ainsi allée aux vainqueurs du jour ; ils seront trois ou quatre formations politiques qui tenteront de se comporter en majorité et d’exercer le pouvoir que les urnes leur ont confié. Et c’est bien cela que tout le monde attend pour que le pays se remette en marche.
Et s’il est d’usage de dire honneur aux vainqueurs, il est tout à fait approprié en la circonstance de dire honneur aussi aux vaincus ; ils n’ont rien perdu, bien au contraire ils n’auront pas démérité puisqu’ils auront contribué à revaloriser l’image du politique et la participation à la chose publique.
Et puis, ils seront investis d’une fonction républicaine incontournable : l’opposition ; ce nécessaire contre-pouvoir, au sein et en dehors de la Constituante, principal vivier et levier de l’alternance, d’une part, et principal garant et défenseur de la démocratie contre toute tentation totalitaire d’où qu’elle vienne, d’autre part.
Il convient de saluer à cet égard le peuple de gauche (bien que je n’en fasse pas personnellement partie), partie intégrante des forces politiques et sociales agissantes qui comptent qui fait figure de perdant dans ces élections mais il n’a perdu qu’une manche et son apport au processus démocratique reste important.
Je voudrais notamment adresser un salut particulier pour l’attitude digne de mon ami Néjib Chebbi dont l’élégance du geste et du verbe, pour reconnaître ce qu’il considère une défaite, ne fait que grandir cet éminent patriote, solide à son poste de militant engagé en faveur des grandes causes nationales depuis plus de quarante ans…
Faisant personnellement partie des rares hommes politiques non islamistes qui ont toujours prôné l’intégration des islamistes au jeu politique, je suis bien entendu confiant et content que les islamistes tunisiens puissent enfin être appelés à participer pleinement à la vie politique de leur pays et à diriger la coalition qui exercera le pouvoir très prochainement. De la prison ou l’exil à la Kasbah ou à Carthage, le raccourci pourrait paraître difficile à imaginer ou à admettre ; mais ce n’est que justice rendue à des milliers de Tunisiennes et de Tunisiens qui ont systématiquement été exclus et écartés de la vie publique et politique par Bourguiba puis Ben Ali, sans parler des atteintes intolérables à leurs droits les plus élémentaires et à leur intégrité physique et morale et qu’ils n’ont cessé d’endurer (ainsi que leurs familles) depuis plus de trente ans .Il faut rappeler ces souffrances injustifiées et ces injustices révoltantes à l’égard d’une partie de nos concitoyens dont certains ont payé de leur vie le prix de la liberté, car une certaine élite continue contre vents et marées à les diaboliser et à tenter d’empêcher les islamistes d’être partie intégrante du processus démocratique en construction.
Maintenant que le peuple leur a manifesté une grande confiance, il est temps de cesser de perdre du temps en conjectures à leur égard et de faire écho favorable à la ferveur populaire qui leur a accordé ses faveurs…
Au cours d’une interview que j’avais accordée à Leaders le 16 août dernier, j’avais fait état du dialogue singulier et assez régulier que j’entretiens avec le leader islamiste Rached Ghannouchi à propos des questions d’actualité dont la nécessité pour Ennahdha, maintenant qu’elle est légalisée, de se comporter en parti politique ‘madani’. J’avais alors ajouté ceci (en rapport direct avec la situation actuelle) : «Ennahdha doit se préparer dès maintenant à l’exercice démocratique et constructif du pouvoir, c’est ce que le pays attend de ce parti, ainsi que des autres partis qui ont vocation à gouverner si les urnes les amènent démocratiquement aux postes de responsabilité…C’est la formation de la future majorité, démocratiquement et dans le dialogue, la négociation et la concertation, qui doit interpeller tout ce monde-là, y compris les islamistes »…
Maintenant que les urnes ont amené démocratiquement au pouvoir les islamistes ainsi que leurs alliés potentiels, je suis plus que jamais en situation de dire de nouveau à mon ami Rached Ghannouchi ceci :
1- Obligation d’assurer ;
La confiance que mettent en vous vos concitoyens est belle mais elle est lourde de sens et à terme de conséquences. Vous vous devez d’assurer pour que les prochaines échéances électorales (les législatives c’est demain !) vous permettent de confirmer ; et ceci reste tributaire de vos performances de gouvernants, vous et vos alliés dans un contexte très difficile !…A cet égard, il y a lieu de rappeler que notre pays, même en période intérimaire, se gouverne au centre. Le gouvernement devrait être politiquement fort, et son statut intérimaire ne doit nullement être synonyme de faiblesse, d’expectative et d’indécision…
2 - Obligation de rassurer ;
Nos concitoyens étant très attachés à leur sécurité collective, familiale et individuelle, les forces en charge de l’ordre public et de la sécurité intérieure devraient pouvoir se consacrer pleinement et sereinement à leur mission dans un climat de confiance retrouvée et confortée. Par ailleurs, les opérateurs économiques et financiers, dont les partenaires étrangers et les investisseurs, devraient pouvoir être eux aussi rassurés directement et par l’intermédiaire de leurs gouvernements respectifs ainsi que par le biais des agences et des organismes régionaux et internationaux.
3 - Obligation de convaincre et de clarifier ;
Il ne faut pas occulter une appréhension, voire une inquiétude chez certains de nos concitoyens, notamment chez les femmes, dès l’annonce de l’arrivée des islamistes au pouvoir ; le relais est pris par certains des partenaires étrangers de notre pays traditionnellement réservés à l’égard des mouvements politiques d’inspiration islamique.
Il est donc impératif dès lors de rester attentif à ces réactions prévisibles, ce qui implique une forme de vigilance démocratique qui reste à la charge du vainqueur que vous êtes. Un effort de clarification et de concertation devrait pouvoir s’engager dans la sérénité et la tolérance mais sans concession pour les procès d’intention et les partis pris délibérément tendancieux …
4 - Obligation de réconcilier ;
Il s’agit enfin de jeter les fondements de la réconciliation nationale et qui, en fait, est une réconciliation avec soi-même, avec l’espoir, et l’espoir est le véritable message du vote du 23 octobre… Faut-il à cet égard que ce soit le grand Mandela qui nous rappelle, comme il vient de le faire récemment dans une lettre adressée aux révolutions arabes, la sagesse de notre Prophète Mohamed qui, rentrant victorieux à La Mecque venant de Médine, s’est adressé à ses ennemis, les notables de Qoraich, en ces termes miséricordieux : « Vous pouvez vous en aller, vous êtes libres … «?????? ????? ???????»
Bien entendu, la réconciliation suppose au préalable la vérité et la justice mais il faut bien distinguer entre juger et se venger, entre assainir et exclure ; vous qui avez souffert plus que quiconque de l’exclusion, êtes les mieux placés pour bannir les punitions collectives et les atteintes à la dignité et aux droits de vos concitoyens…Le vote d’espoir dont vous charge le peuple de Tunisie est une ‘ Amana’ que vous êtes en mesure de défendre et de promouvoir…
H.B.S.
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