Le grand boom des relations presse
Tout le monde s’y est soudainement mis, avec les moyens du bord, tant le besoin s’est brusquement fait sentir: gérer les relations presse, communiquer avec les médias. Tout a commencé dimanche 16 janvier, lorsque pour la première fois, journalistes et photographes, ont été admis, sans filtrage, à accéder au grand patio du Premier ministère, à la Kasbah, puis, dès le début février, à l’annexe administrative du Palais présidentiel, à Carthage. Affranchie, bien accueillie, la presse a investi tous les lieux publics, pour exercer, enfin, son métier, win-win.
D’un côté, les journalistes sont à l’affût et, de l’autre, officiels, partis politiques, corporations et société civile, cherchaient eux aussi à porter leurs voix. Les ONG étrangères ont été les premières à solliciter des attachés de presse ou s’adjoindre les services d’agences spécialisées. Les qualifications dans ce domaine sont encore rares et de toutes les façons insuffisantes pour répondre à tous les besoins, surtout avec l’entrée en piste des partis politiques et des listes indépendantes, candidats à l’Assemblée constituante. Chacun a pu s’accommoder du disponible, essayant de perfectionner et de professionnaliser, même si, dans l’ensemble, le niveau des prestations demeure encore basique. Quant au gouvernement, prenant conscience de son déficit de communication, il a essayé de se rattraper, très difficilement au départ, avant de trouver de bons débuts, notamment à travers les points de presse bi-hebdomadaires, organisés par la cellule de communication créée à la Kasbah. Eclairages.
Certains confondent les genres, croyant que le travail des attachés de presse consiste tout simplement à inviter les journalistes et les mettre devant l’officiel désigné pour leur délivrer des informations. Au mieux, ils préparent pour eux quelques éléments écrits et des boissons. Tous les autres aspects, consistant à établir d’abord des relations durables et de confiance, élaborer des dossiers de presse fournis et en différentes langues, des illustrations appropriées, organiser des interviews en one-to-one, des briefings juste pour le background, etc. sont négligés. Faute de temps, répond-on, de moyens, aussi et surtout de ressources qualifiées capables par exemple de rédiger la transcription officielle des déclarations, de le traduire et de l’envoyer immédiatement à la presse avec des photos.
Pour le moment, on se limite souvent à l’invitation de la presse et à la mise en contact avec les officiels. Quant au suivi des retombées médiatiques, leur enregistrement et surtout leur analyse et évaluation, il se fait souvent au coup par coup, sans recours à des dispositifs professionnels et logiciels spécifiques, comme il est de mise.
Seules deux ou trois agences réellement spécialisées étaient déjà opérationnelles depuis quelques années, en affiliation avec les grands réseaux mondiaux d’agences de relations presse. Dans la hâte, de nouvelles entités sont nées et de jeunes talents font leurs preuves, mais il en faudra plusieurs et surtout créer à l’IPSI une vraie filière de formation en relations presse.
En gros, la tâche s’articule autour de quatre grandes séquences successives, à savoir l’élaboration d’une stratégie d’ensemble, la production du matériel informatif et sa diffusion directe ou indirecte, l’organisation d’évènements médias, le monitoring des retombées, leur analyse et leur reporting.
Harcelés ou abandonnés
Au quotidien, les journalistes se sentent ou harcelés ou abandonnés par les nouveaux attachés de presse. Certains ne font qu’insister pour placer leurs « clients » dans les médias, sans penser à tenir compte de l’intérêt du public, de ses attentes, et du rôle du journaliste qui doit vérifier, recouper, mettre en perspectives et commenter. D’autres se contentent du minimum, juste « convoquer la presse », sans se soucier de ce qui peut intéresser les journalistes et justifier les médias. En ces temps de surbooking médiatique, les rédactions ne savent plus où envoyer leurs reporters et les journalistes se trouvent souvent abandonnés à leur sort pour décanter l’essentiel. Autre signe des temps, les relations presse se font de plus en plus dans l’urgence et l’austérité. On prévient les journalistes à la toute dernière minute, on oublie de leur offrir un café, et on ne leur laisse pas beaucoup de temps pour qu’ils interrogent leurs interlocuteurs et aillent avec eux au fond des questions.
Si le Premier ministre s’en sort bien à travers la cellule de communication et les points de presse réguliers qu’il organise, les ministères ne sont pas tous au même rythme, ni au même niveau de performance. Pour la première fois, les ministères de l’Intérieur et de la Défense nationale ont largement ouvert leurs portes et souvent pris immédiatement l’initiative de communiquer à chaud, fournissant l’information exacte et quasiment en direct. Le ministère de la Justice a lui, aussi, parfaitement compris l’enjeu et a désigné un porte-parole officiel et un conseiller juridique à la disposition des médias. D’autres départements, notamment ceux des Finances, de l’Emploi, y vont avec soin. Mais, beaucoup reste à faire dans de nombreux ministères et organismes publics.
Dans les partis politiques, la pratique a été lente à se déployer. Ceux qui ont pu se payer une grande agence de communication ont également recouru à une agence de relations presse, en appui à leurs propres conseillers. Quant aux ONG étrangères, elles ont pour la plupart recruté des free-lances pour s’en charger. Le tout aboutit sous forme de mails, de fax et de SMS, relayés par des appels téléphoniques.
Les officines de l’ombre.
Parallèlement à ce «secteur organisé», un secteur informel a, inévitablement, fait son apparition, publique ou à l’ombre. Des dizaines de «prétendus attachés de presse» ont écumé à visage découvert ou non les rédactions, essayant de placer, ici et là, articles et documents, vrais et faux, versant souvent dans l’intox et la manipulation. N’était-ce la vigilance des journalistes professionnels attachés à leur éthique, le bêtisier de leurs forfaits se serait étendu à des volumes entiers. «Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de tentatives de manipulations subies les premières semaines de la révolution, se souvient le rédacteur en chef d’un quotidien. Des dizaines d’informations des plus bizarres, se disant toutes émanant de sources sûres et fondées sur des documents probants, nous inondaient chaque jour. Ne pouvant accéder à un officiel pour les vérifier, nous nous sommes appuyés sur notre professionnalisme afin de séparer le bon grain de l’ivraie. Certains n’ont pu résister à l’attrait du scoop et cédé ainsi au sensationnel, quitte à s’en excuser le lendemain, mais heureusement qu’il y a les autres qui y ont résisté. La réputation de la presse y a laissé des plumes.»
C’est dire l’importance de vraies relations presse, professionnelles, éthiques, à même de faciliter la tâche des journalistes, d’enrichir le contenu de leur production et de contribuer à l’amélioration des médias. Voilà un impératif que la révolution vient révéler.