Des rives de la Medjerda à Durban, la maison brûle et nous regardons ailleurs!
Empruntant cette expression au Professeur Jean-Paul Deléage, le président Jacques Chirac, voulant souligner l’urgence de s’attaquer à l’emballement climatique et à la pollution qui menacent notre terre, lança ce cri du haut de la tribune du 4ème Sommet de la Terre à Johannesburg , le 02 septembre 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».
Face aux pluies diluviennes et aux inondations qui ont affecté notre pays fin octobre-début novembre 2011, cette expression me revient à l’esprit. Trois morts cette fois sur les bords de la Medjerda, après les 17 noyés des inondations de Redeyef en 2009 et les 13 victimes de Sebalat Ben Ammar en 2007, plus les 23 établissements scolaires dévastés par les eaux et les 65 millions de dégâts, il est peut être temps de se pencher sur cette série noire… en dépit du fait que l’on glose partout du califat, du niqab et de bien d’autres sujets qui prêtent à rire… jaune.
Inondations faites par la main de l’homme ?
Notre environnement, par ces inondations, nous envoie des signaux alarmants. Lorsque les gouvernorats de Zaghouan, de Tunis, de Manouba, de Béja, de Siliana, de Sousse, de Nabeul, de Kairouan sont inondés, que des axes routiers vitaux sont coupés comme l’autoroute Tunis-M’Saken et qu’on relève des victimes et des villages isolés, il y a là de quoi nous alerter : « Que se passe-t-il donc ? »
«Attribuer un évènement météorologique à un unique facteur est quasi impossible » écrit Le Monde (20-21 novembre 2011). Il n’en demeure pas moins que « les modes d’occupation des territoires, l’urbanisation et les changements socio-économiques » ont accru la vulnérabilité des sociétés à ces évènements » écrivent les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui pointent les gaz à effet de serre dans les perturbations et les dérèglements climatiques que nous vivons.
Dans le cas de notre pays, il est clair que les constructions anarchiques, parfois dans le lit des ouèds ou sur le domaine public maritime, la déforestation, l’érosion des sols, le bitumage de certains terrains qui empêche la recharge des nappes phréatiques… ont contribué à la catastrophe qui a frappé bien des régions du pays et entraîné la désolation dans trop de foyers.
Autre facteur décisif : le manque d’entretien ou l’insuffisance de celui-ci. Pour ce qui est des égouts, des canaux et des lits des cours d’eau, un plan national devrait rapidement voir le jour. Les manquements à cet égard sont visibles à l’œil nu… et se signalent aussi par les odeurs nauséabondes dans bien de nos villes et de nos quartiers.
Jadis, dans nos médinas, l’égoutier était un personnage familier (1). Depuis que cet entretien des égouts a pratiquement disparu, la montée des eaux menace dès qu’une ondée vigoureuse se présente. D’autant que le plastique (sacs, gobelets….) est venu gêner considérablement l’écoulement des eaux usées. Pour ne rien dire de la laideur qu’il confère à notre environnement avec ces sacs qui virevoltent partout comme des oiseaux de mauvais augure… souillant même l’arbre sacré d’Athéna, le bel olivier de la forêt de Chaâl !
Avec l’égoutier a aussi disparu le ramassage rationnel, régulier des ordures… que le container fait mine de remplacer. Trop hauts perchés, jamais nettoyés, ouverts à tous les vents, appâts de choix tant pour la gent canine que féline, ces volumes sont de véritables atteintes à la santé publique (mouches, moustiques, rongeurs…) et à l’environnement, des bouillons de culture pour tous les microbes et d’une laideur sans pareille dans notre paysage quand leur contenu déborde et vole à tout vent. Qu’attendent les délégations spéciales installées par la Révolution du 14 janvier pour s’attaquer à bras le corps à ce phénomène, pour organiser rationnellement le ramassage des ordures ? Un ami vivant en France me disait récemment, déplorant l’omniprésence du plastique dans nos villes, nos campagnes et nos routes: « Mange-t-on plus de yaourts en Tunisie qu’en France ? Boit-on plus d’eau en bouteille ici que là-bas ? »
Bien sûr, il faut des moyens – le Tunisien doit payer les taxes municipales en particulier- mais il faut aussi le respect de soi et des autres. L’école comme la loi et la réglementation ont un rôle éminent à jouer à cet égard.
L’agriculture contribue de son côté à ces atteintes à l’environnement par les labours profonds et la recherche du rendement à tout prix. Une révision des pratiques s’impose. Il est malheureux de voir, à l’heure où, dans de nombreux pays, l’usage des pesticides est de plus en plus fortement encadré sinon abandonné, notre télévision nationale faire la promotion de ces composés, hautement toxiques pour la plupart, en affublant ces poisons du doux nom de « dawa » et en donnant l’impression qu’ils sont irremplaçables voire indispensables. Il faudrait que les bonnes âmes informent enfin notre télévision nationale que l’agriculture biologique et l’agriculture raisonnée (qui fait un usage intelligent de certains pesticides peu ou pas toxiques d’origine végétale ou biologique) ont vu le jour depuis belle lurette et que le Danemark, l’Allemagne… ont décidé de se passer progressivement de ces produits dangereux pour l’homme et pour l’environnement… et qui contribuent à la résistance des ennemis des cultures. Utilisé année après année, le pesticide devient inopérant et livre l’agriculture pieds et poings liés aux prédateurs.
Demain, Durban….
Les négociations climatiques à Durban (28 novembre-9 décembre 2011), en Afrique du Sud, après les fiascos des conférences de Copenhague et de Cancun, sont placées sous une mauvaise étoile. Les pays riches ne veulent même pas respecter les modestes engagements pris à Kyoto en 1997. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 6 % en 2010 par rapport à 2009, dépassant le pire des scénarios du GIEC. Le franchissement du seuil de réchauffement à 2°C – une terrible perspective pour les humains et toute la biosphère - en 2050 devient quasi-inéluctable. Le Monde du 24 novembre 2011 est encore plus inquiétant quand il affirme : « Les émissions mondiales de monoxyde de carbone, considérables, pourraient rendre vain tout effort de limiter le réchauffement à 2°C d’ici la fin du siècle. Les conséquences seraient alors dramatiques. »
Les aides financières visant à contenir le changement climatique et à s’adapter, promises à Copenhague et certifiés à Cancun ont fait long feu. Le seul traité international en vigueur, celui de Kyoto, est une coquille vide car aucun engagement contraignant de réductions d'émissions n'est pris pour l'après-2012, à son échéance. Aucun nouvel accord international n’est en vue avant de nombreuses années alors que les scientifiques font le lien entre le changement climatique et les évènements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents sur le globe, ouragans, cyclones, inondations, sécheresse, orages d’une violence inusitée, quasi tropicale comme à Cannes en France il y a quelques jours (Le Monde 20-21 novembre 2011, page 7). Pour la prestigieuse revue scientifique Nature de Londres (vol. 470, 17 février 2010, p.316) « La recherche établit un lien direct entre le niveau des gaz à effet de serre et l’intensité croissante des pluies et de neige dans l’hémisphère nord.….Le réchauffement climatique a au moins doublé la survenue d’évènements extrêmes telle la vague de chaleur européenne de 2003. » Les inondations de Sicile fin octobre 2011 avec des morts et un million de déplacés et celles, centennales, de Thaïlande, illustrent parfaitement ce propos. Pour ce même périodique, les sévères inondations des trente dernières années ont emporté des milliers de vies humaines (4150 en Chine en mai- septembre 1998 par exemple) et causé des milliards de dollars de dégâts (21 milliards de dollars de pertes et 50 victimes aux Etats Unis en juin-août 1993).
Las ! Les pays industriels, États-Unis en tête, refusent un accord politique visant à réduire sérieusement et de façon contraignante les émissions de gaz à effet de serre et refusent de tendre la main aux pays en développement pour qu’ils améliorent leurs modes de transport, leur production d’énergie….et ne commettent pas les erreurs des riches à l’endroit de l’atmosphère et de l’environnement. Les gaz et les polluants de l’ère industrielle sont venus des pays riches et c’est à eux qu’incombe, en grande partie, la réparation des dégâts climatiques !
A quoi sert alors la conférence de Durban ?
Les experts vont plancher entre eux, privilégiant la sacro-sainte technique et faisant les yeux doux aux capitaux privés pour continuer sur la lancée de Cancun et obéir aux oukases de la Banque Mondiale sur les droits à polluer, les marchés de carbone, les agro carburants (canne à sucre, maïs…) Mais la société civile mondiale les y attend de pied ferme. Pour réclamer plus de transparence, dénoncer l’inaction des gouvernements, souligner l’urgence de la situation et battre en brèche les lobbies des pétroliers et des autres pollueurs.
L’Humanité toute entière est embarquée sur un frêle esquif : notre Terre nourricière. Il n’y en a qu’une. Sa protection s’impose à tous.
A Rio de Janeiro, en mars 1997, le Président Gorbatchev disait : « Nous avons à faire une transition de l’idée que l’homme est roi de la Nature, à la compréhension que l’homme est partie de la biosphère. »
Maltraitée, cette biosphère réagit d’où les inondations en série sur les bords de la Medjerda et jusqu’aux aux confins kairouannais et au delà.
Notre nouveau gouvernement devrait inscrire en tête de ses priorités la protection de l’environnement national, excellent moyen du reste pour créer ces emplois qu’on réclame à cor et à cris.
La maison (notre Terre) brûle. Il ne faut pas regarder ailleurs ! Pensons à nos petits enfants !
(1) Voir notre ouvrage sur les services de l’assainissement en Ile de France « Travailleurs de l’eau » (photographies de Sandrine Dezalay), Editions de l’Atelier, Paris, décembre 2009.
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