Le 2ème congrès des économistes africains : un « Think Tank » au service de l'Afrique
En présence de l’intelligentsia du continent africain ainsi que celle de la diaspora, le deuxième congrès des économistes africains a tenu ses travaux à Abidjan du 24 au 26 novembre dernier dans un hôtel symbolique : l’hôtel du golf dénommé la « République du Golf ».
La question autour de laquelle plus que 80 économistes ont essayé de trouver une réponse était de savoir comment obtenir une croissance économique forte et durable en Afrique, pour résorber le chômage et soutenir la dynamique de l’intégration régionale et continentale ?
Dans ce cadre, plusieurs thèmes éminemment importants et d’actualité se sont débattus dans un esprit à la fois ouvert, méthodique et parfois critique. Ces thèmes se sont déclinés au tour de l’Investissement Direct Etranger (IDE), du chômage, de la gouvernance, du rôle du secteur privé, du commerce intra régional ainsi que de l’aide au développement.
IDE et mobilisation des ressources domestiques : un instrument de création de richesse et d’emplois en Afrique
Selon les dernières estimations de 2010, les flux totaux d’IDE vers l’Afrique ont baissé. Mais, la situation est toute autre pour ce qui est des flux destinés au secteur extractif qui ont augmenté, reflétant la vigueur de la demande et des prix des minerais (ONU-Département des Affaires Economiques et Sociales, 2010).
Toutefois, ces IDE furent malheureusement souvent concentrés sur des fusions-acquisitions plutôt que sur des nouveaux investissements productifs. Ajoutés à une faiblesse de l’épargne domestique, ces flux de capitaux n’ont guère constitué des solutions fiables aux problèmes de pauvreté et de chômage qui continuent d’affaiblir le continent.
Il est donc évident que les pays africains devraient faire davantage d’efforts pour attirer les IDE sur une base sous-régionale. En particulier, ces IDE doivent être acheminés vers des secteurs intensifs en travail dans les pays les plus pauvres (Afrique du Centre et de l’Est) et intensifs en capital dans les pays les moins pauvres (Afrique du Nord et de Sud).
De même, une mise en œuvre des politiques sectorielles se traduisant par une diversification des filières de production agricoles et par une promotion des activités de transformation agro-industrielles et agro-artisanales par exemple pourra constituer une solution non négligeable, surtout pour les pays les plus appauvris du continent.
Dans la même lignée, des efforts concertés de la part des Etats Membres devraient être dédiés à des réformes fiscales vigoureuses dans un objectif de mobilisation des ressources domestiques.
Une croissance économique sans création d’emplois en Afrique
Sur le continent africain, le fait saillant est le chômage. Ce problème constitue un handicap sérieux à la stabilité politique et à la soutenabilité de la croissance économique africaine. Le chômage des jeunes oscille entre 18 % et 35% en moyenne au cours de la dernière décennie. La jeunesse africaine se heurte toujours à de graves obstacles pour trouver un emploi décent (Commission Economique sur l’Afrique-UA, Rapport économique sur l’Afrique 2011).
Cette situation s’avère être le résultat d’une diversification économique peu significative et une dépendance toujours forte du continent à l’égard de la production et des exportations de produits de base (cas des pays de l’Afrique de l’Est). Dans d’autres sous-régions, cette situation traduit une reprise modeste de l’activité avec un taux de croissance économique très en deçà du taux requis pour une réduction significative du chômage (cas des pays de l’Afrique Australe). Ajoutons à cela, dans d’autres cas, la mauvaise qualité de l’éducation, l’accroissement démographique et les imperfections du marché du travail (cas des pays de l’Afrique du Nord).
C’est dans ce cadre que les pays africains devraient investir davantage dans le capital fixe (éducation, santé, formation, infrastructure, Recherche et Développement…) et procéder à des réformes plus approfondies de leur marché du travail (mobilité de la main d’œuvre, politiques actives d’emploi…). Il est aussi nécessaire pour ces pays de fournir des efforts concertés afin d’impliquer les jeunes dans le processus de développement économique et de prendre les mesures nécessaires pour mettre en œuvre le plan d’action de la décennie africaine de la jeunesse (2009-2018) élaboré par l’Union Africaine (UA).
Dans le même cadre, il est primordial que l’UA, les Communautés Economiques Régionales (CER) et les Etats membres établissent un système statistique fiable et pertinent (surtout concernant le marché du travail) et rompent définitivement avec des indicateurs peu crédibles.
De même, les pays africains devraient prendre en considération deux recommandations centrales : le contrôle de l’espace et la promotion de l’innovation. A l’évidence, ces deux éléments permettent une croissance participative et durable et une disparition de la « croissance appauvrissante » qui a longtemps sapé les populations du continent.
Gouvernance, réforme institutionnelle et rôle du secteur privé dans la stimulation de la croissance en Afrique
Globalement, en matière de gouvernance, les dernières années ont été marquées par des avancées marginales en Afrique. Le continent continue de souffrir de plusieurs problèmes : instabilité politique, manque de transparence, corruption, inefficacité des institutions, bureaucratie, problèmes de citoyenneté et d’ouverture politique…Les risques liés à l’investissement et aux affaires sont encore élevés.
En revanche, pour marginales qu’elles soient, ces avancées n’en ont pas moins eu des retombées positives pour le continent : recul des conflits violents et des guerres civiles, consolidation de la paix et de la sécurité, croissance économique acceptable, modeste amélioration du niveau de vie des populations africaines et baisse de la mortalité (Commission Economique pour l’Afrique, Deuxième rapport sur la gouvernance en Afrique 2009).
Que dire si les progrès en matière de gouvernance économique et politique étaient importants ?
Dans ce cadre, il est inévitable que les Etats membres définissent et soutiennent des programmes de bonne gouvernance tels que le Mécanisme Africain d’Evaluation par les pairs (MAEP) qui leur permettent de réduire les problèmes de corruption et d’instabilité politique. Ces pays devraient également veiller au renforcement de l’Etat de droit et des institutions et à la mise en œuvre des réformes légales et règlementaires.
Dans le même contexte, et en vue de l’importance du rôle des petites et moyennes entreprises (PME) dans la dynamisation de la croissance économique et la création d’emplois en Afrique, des stratégies spécifiques de développement de ces PME devraient être mises en œuvre. L’amélioration de leur accès au financement, l’offre des avantages fiscaux et le renforcement du droit d’accès à l’information constituent des exemples révélateurs.
De même, les pays africains devraient veiller à renforcer le rôle du secteur privé en améliorant le climat des affaires. La réduction de la bureaucratie, l’amélioration des infrastructures et la consolidation des droits des investisseurs sont de ce point de vue indispensable.
L’Afrique et le nouveau paradigme du développement
Paradoxalement, l’amélioration de la performance économique africaine réalisée durant la dernière décennie ne s’est traduite ni par une réduction correspondante du chômage et de la pauvreté, ni par des progrès significatifs en matière de réalisation des OMD. En particulier, bien que les performances économiques du continent n’envoient guère des signaux alarmants, les tendances récentes en matière de développement social demeurent lentes et contrastées. Ainsi, la croissance du Produit Intérieur Brut de l’Afrique est estimée à 5% en 2011, contre 4.7% en 2010. Cependant, comme on l’a vu, le taux de chômage des jeunes est resté important. Aussi, on estimait que plus de 70 % des personnes en Afrique subsaharienne vivaient avec moins de deux dollars par jour. La famine s’est également aggravée en 2010 en raison essentiellement de la hausse des prix des produits alimentaires et de la diminution des subventions (Commission Economique pour l’Afrique-UA 2011, op.cit).
Il est donc tout à fait légitime de se poser la question pourquoi le continent africain n’arrive t-il toujours pas à décoller malgré l’importance des ressources naturelles et des compétences humaines ? Cette problématique doit pousser à réfléchir à un nouveau paradigme pour une nouvelle Afrique, l’Afrique du 21ème siècle.
Evidemment, la recherche d’une croissance forte et durable dans ce continent est une équation à plusieurs inconnues. Sa résolution nécessite une réflexion approfondie permettant d’identifier les contraintes à lever et le potentiel à exploiter. La mise en place d’un dynamisme socio-économique et la garantie d’une stabilité politique permettent de basculer vers une nouvelle ère où la conception selon laquelle l’Afrique est un continent « vocation à décor » est révolue.
Dans ce contexte, les pays africains devraient développer des modèles économiques appropriés et des outils conceptuels idoines leur facilitant la théorisation de la réalité économique africaine dans le cadre d’un agenda de développement global. Ils devraient également améliorer l’utilisation de l’Indice de Développement Humain (IDH) dans leurs mesures du développement.
Dans le même cadre, les pays du continent devraient consacrer un effort additionnel envers la mise en œuvre des initiatives de développement panafricaines tel que le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD).
L’Afrique devrait également intégrer l’ère du numérique d’une manière effective, ce qui lui facilite l’accès aux marchés et l’amélioration de la compétitivité. Elle devrait aussi bâtir des alliances avec la diaspora lui permettant de tirer profit des moyens techniques, intellectuels et financiers de celle-ci.
Développement du commerce intra-africain
Le commerce intra-africain constitue le maillon faible de l’intégration en Afrique. Les échanges intra-communautaires représentent seulement 10% environ (Commission Economique pour l’Afrique, Etat de l’intégration régionale en Afrique IV, 2010). Les pays africains ont plutôt tendance à commercer davantage avec des pays extérieurs au continent qu’entre eux-mêmes.
Les raisons couramment avancées de la faiblesse du commerce intra-africain sont les suivantes : l’état médiocre des infrastructures (en termes de développement, d’entretien et d’interconnexion), les conflits et les problèmes de sécurité que connaissent les régions, l’existence des barrières tarifaires et non tarifaires couplée des procédures douanières dissuasives, l’existence d’un nombre important de monnaies non convertibles, la bureaucratie, l’absence d’une bonne dose technologique, le manque des systèmes de paiement efficaces, la similarité des produits commercialisés...
Il en ressort que beaucoup d’efforts devra être dédié au sujet du commerce en Afrique. En particulier, l’UA devrait travailler avec les CER et les institutions panafricaines afin de promouvoir l’intégration monétaire et financière du continent. Cette troïka devrait également mettre en place des mesures adéquates afin de capter le commerce de contrebande et des biens non enregistrés.
De leur côté, les pays africains devraient faire des pas sérieux vers la mise en œuvre des accords régionaux et sous-régionaux favorisant la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. Ils devraient également développer des programmes transfrontaliers d’infrastructures similaires au Programme pour le Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA). Ils devraient enfin combler le déficit technologique et fournir davantage d’efforts dans le but de diversifier leurs économies.
L’efficacité de l’aide
Malgré les difficultés économiques auxquelles certains pays donateurs ont été confrontés, les flux de l’aide vers l’Afrique ont augmenté de 4 % en 2010 (Commission Economique sur l’Afrique-UA 2011, op.cit).
Cependant, bien que ces flux soient restés stables avant et après la crise, il n’en demeure pas moins que la reprise fragile dans les pays développés et le risque que certains d’entre eux replongent dans la récession, font planer de grandes incertitudes sur les volumes futurs de l’aide publique au développement -APD- (ONU-DAES 2010, op.cit).
En pratique, l’APD se traduit souvent par des externalités négatives pour les pays receveurs : dépendance, influence et ingérence. Plus grave encore, elle affaibli l'épargne, les investissements locaux, les possibilités de mise en place d'un vrai système bancaire et l'esprit d'entreprise. Une économiste zambienne, Dambisa Moyo l’a déjà reconnu en qualifiant cette aide de « fatale » pour l’Afrique.
En Europe, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le plan Marshall avait deux caractéristiques marquantes : une limitation dans le temps et une utilisation à bon escient. Il est donc clair que l’Afrique devra réduire son indépendance vis-à-vis de cette aide et améliorer la gestion des montants reçus.
A cet égard, l’aide devra être correctement définie, bien évaluée, réorientée sur une base sous-régionale et canalisée vers des activités productives. De cette façon, elle permettra de transformer une contrainte pesant sur les pays en une ressource non génératrice d’endettement et de conditionnalité.
D’autres mesures connexes devraient être suivies. La recherche des sources de financement alternatives, la promotion des transferts de la technologie, le développement du capital humain, le renforcement de l’intégration économique régionale, la consolidation du rôle de la société civile sont des exemples intéressants.
L’Afrique a besoin de la conjugaison des efforts de tous les africains afin d’émerger en tant que puissance continentale performante. Avec la contraction des marchés dans les pays industrialisés, le continent africain est appelé à devenir l'une des régions les plus florissantes du 21ème siècle.
A cet égard, des politiques économiques appropriées doivent être mises en œuvre pour traduire cela termes de prospérité, d’emplois et de progrès social.
Aram Belhadj
Doctorant Laboratoire d'Économie d'Orléans (UMR 6221 du CNRS) Faculté de Droit, d'Économie et de Gestion, Orléans.