Les grèves et les sit in : la médication de Mohamed Ennaceur
« Nous assistons à un effritement du lien social ». Mohamed Ennaceur qui vit ses dernières heures à la tête du ministère des affaires sociales a tenu à livrer son diagnostic sur la situation sociale dans le pays. Sur un ton grave et devant une assistance composée essentiellement d’hommes d’affaires qui prenaient part à la 26e session des journées de l’entreprise à Sousse, M. Ennaceur, démissionnaire du gouvernement Nouira en décembre 1977 à quelques semaines de la grève générale du 26 janvier 78, a affirmé que les mouvements sociaux auxquels nous assistons aujourd’hui sont autrement plus graves parce qu’ils sont spontanés, décidés à l’insu des syndicats et prenant des formes inédites : occupation des locaux, sit in dirigés à la fois contre la direction et les employés, coupures de routes. Leurs revendications : des augmentations de salaires atteignant parfois les 100% et autres avantages pour ceux qui travaillent, du travail pour les chômeurs, mais aussi... des crèches, des dispensaires l'eau potable, l'électricité, les routes, le tout dans un contexte marqué par le délitement de l’autorité de l’Etat, ce qui accentue la dangerosité de ces mouvements et les menaces qu'ils font peser sur l'unité nationale.
Comment expliquer ces comportements ?
Les explications selon M. Ennaceur sont «à chercher dans le processus révolutionnaire lui-même né d’un malaise social profond, d’un sentiment d’exaspération chez plusieurs catégories de citoyens victimes du chômage, des inégalités économiques et de l’exclusion sociale, et devenus impatients après de longues années d’attente, de privation et de frustration».
«Ce malaise social, a-t-il ajouté, prend ses sources dans l’essoufflement du modèle de Développement qui a atteint ses limites, et dans l’échec de l’Etat dans son rôle régulateur de Développement et garant de la cohésion sociale».
«Par ailleurs, la Révolution a balayé le régime despotique qui régnait durant les vingt trois dernières années, le dépouillant de sa légitimité, entrainant l’effondrement des institutions qui le soutiennent, le discrédit des symboles du Pouvoir et une perte de prestige et de crédibilité de l’Etat.
«Enfin, la Révolution a révélé un niveau élevé de conscience politique et sociale chez le citoyen tunisien, qui revendique la plénitude de ses droits de citoyen et la jouissance des libertés fondamentales dans un état de Droit».
pour un consensus national
Dans quelle mesure le prochain gouvernement de transition qui sera constitué incessamment pourra répondre aux attentes des contestataires ?
M. Mohamed Ennaceur estime qu'il est urgent de définir «un programme d’action comportant des solutions appropriées aux problèmes qui se posent, en fonction de leur acuité et de leur urgence et en fonction des moyens disponibles», tout en appelant de ses voeux «un large consensus résultant d’un débat national entre les différents acteurs politiques économiques et sociaux pourrait aboutir à la réalisation de cet objectif».
Un tel débat permettra selon lui «d’identifier et d’analyser les problèmes, d’évaluer les moyens nécessaires pour les résoudre, d’établir un ordre de priorité et d’élaborer une feuille de route comportant les solutions aux problèmes urgents et l’amorce des réformes d’ordre économique et social à engager à moyen terme en vue de mettre fin aux errements du passé et de répondre aux aspirations de la population(...) Cette feuille de route fera l’objet d’un large consensus national, sera nécessairement le résultat de négociations entre les partenaires politiques, économiques et sociaux et des concessions que les uns et les autres auront consenties à cette occasion».
En conclusion, il soutient mordicus que «seul un consensus national sur les priorités immédiates et des objectifs clairs à moyen terme, permettront de rétablir la confiance dans l’avenir, de restaurer la paix sociale et d’assurer une transition démocratique réussie».
Lire aussi : Notre principal défi, aujourd'hui, l'effritement du contrat social*