L'Homo corruptus, une espèce qui doit disparaître !
En lisant ce titre, les défenseurs de la biodiversité parmi vous, crieraient certainement au sacrilège, mais je vous prierai de m’accorder le bénéfice du doute, de prendre votre mal en patience et de lire cet article jusqu’au bout, j’espère alors que vous serez convaincus, qu’il s’agit là d’un sujet de premier ordre pour l’intérêt national et pour l’avenir de la Tunisie.
La paléontologie, qui est la science de l’évolution du vivant par l’étude des restes fossilisés, nous enseigne que l’histoire de l’espèce humaine remonte à des millions d’années. Depuis la nuit des temps, les hominidés qui étaient les ancêtres de l’espèce humaine, se développaient au cours des millénaires grâce à des mutations génétiques en faisant à chaque jalon de leur histoire un bond dans l’évolution et en se dotant à chaque fois, de nouvelles habiletés qui permettaient la survie de l’espèce face aux nouveaux défis d’un environnement vital, en perpétuel changement. Les lois de la sélection naturelle obligent, seule l’espèce la plus forte et la plus adaptée arrivait à survivre au grand dam des autres espèces concurrentes, qui doivent céder la scène de la vie et disparaitre, ne laissant que des ossements fossilisés comme trace de leur passage sur Terre. Pour être exhaustif à ce sujet, il nous faudrait toute une encyclopédie, ce n’est certainement pas l’objectif de cet article. On se contentera de citer à titre d’exemple, les espèces : Homo habilis (ou Homme habile qui maîtrisait les outils et la taille des pierres), Homo erectus (qui se dressait droit et était le premier à domestiquer le feu) et Homo neanderthalensis (espèce européenne de l’âge glaciaire, qui chassait le grand gibier avec des armes à pointes en silex et qui avait déjà des capacités d’abstraction et d'anticipation). Enfin, on ne manquera pas bien évidement d’évoquer l’Homo sapiens (l’Homme savant dont nous sommes les descendants) qui a développé un cerveau tellement performant qu’il est arrivé à dominer notre planète Terre. L’histoire de l’humanité nous a montré, que ce cerveau se transforme en une arme redoutable à double tranchant, lorsqu’il n’est pas guidé par les nobles préceptes et valeurs que les religions divines révélées et/ou la sagesse humaine cumulée, nous ont légués. En effet l’Homme savant n’a pas tardé à user et à abuser de son cerveau pour détruire le berceau de sa vie comme en témoignent le changement climatique, la pollution de l’environnement, la désertification, l’extinction des espèces, la raréfaction des ressources naturelles, les guerres et les crises de tous genres qui secouent le monde.
Les paléontologues croient à tort, comme je ne maquerai pas de vous l’expliquer, que l’espèce de l’Homo sapiens est le joyau de la couronne et l’aboutissement de l’évolution de la race humaine. En effet, j’ai découvert qu’au vu mais à l’insu des paléontologues les plus aguerris, deux sous-espèces ont muté à partir de l’espèce de l’Homo sapiens. Je suis arrivé à cette conclusion, sans avoir étudié des ossements fossilisés comme il en est de coutume, mais juste en lorgnant la vie professionnelle, sociale, associative et publique de tous les jours. Vous m’excuserez d’avoir eu la prétention scientifique et l’insolence intellectuelle de baptiser ces deux nouvelles espèces en Homo corruptus et Homo correctus !
l’Homo corruptus est particulièrement futé, pour s’imposer il s’organise toujours en bandes, clans ou mieux en ces temps modernes en réseaux, son credo : ‘ les fins justifient les moyens’, son mot d’ordre : ‘l’argent illicite est celui qui est hors de ma poche, donc il faut le récupérer d’autrui’, c’est un fin stratège , un adepte juré de Nicolas Machiavel. Il essaie toujours de maximiser ses bénéfices en minimisant son effort. Pour lui le travail honnête comme d’ailleurs tout autre principe ou valeur nobles, c’est quelque chose pour les imbéciles, lui il s’en moque et peut s’en passer puisqu’il n’en a pas besoin pour se permettre une vie de Pacha. Son comportement est caractérisé par l’usage sans modération de la ruse, de la diversion, du canular, de la manigance, du complot, des coups bas, du mensonge, de l’arnaque, de la tentation, de la violence, du chantage, de l’hypocrisie, de la délation, etc. En observant son comportement on se rend compte qu’il s’est approprié le profil d’un minable notoire, il se soumet inconditionnellement au plus fort sacrifiant même sa dignité, jusqu’arriver à ses fins. Une fois en position de force il devient intraitable et une calamité pour ses subordonnés et pour les plus faibles.
L’Homo correctus quant à lui, est l’image inversée de l’Homo corruptus, c’est un solitaire qui ne croit pas devoir s’organiser en bandes pour apporter du bien à son prochain. C’est un soldat de l’ombre qui fuit les projecteurs, méprise les honneurs éphémères et œuvre pour l’éternité. On le trouve dans l’humanitaire, le bénévole et l’associatif. Quand il s’agit de bafouer ses principes, il n’est prêt à aucune concession ni compromis et il les défend farouchement quitte à sacrifier sa carrière professionnelle, son confort de vie personnel et même celui de ses proches, ses intérêts matériels, son intégrité physique et même parfois sa vie. Sur l’échelle de ses priorités, l’intérêt public est placé bien avant son intérêt personnel. Malgré les déceptions répétées et les épreuves de la vie parfois insoutenables, il ne désenchante pas et naïve et idéaliste qu’il est, il croit fermement toujours et encore, pouvoir corriger ce monde.
L’Etat voyou, sous le joug duquel les Tunisiens étaient contraints de vivre, était un terrain propice pour la prolifération endémique de l’Homo corruptus. Il y avait un contrat satanique, conclu implicitement et d’une façon subtile entre la junte au pouvoir qui voulait faire plier tout un peuple et le déposséder pour s’enrichir et l’Homo corruptus qui était bien adapté, de part sa nature à vivre et même à bien se sentir dans cette cloaque nauséabonde qu’était notre pays. Il était tout à fait disposé à servir les fins du despote, pourvu qu’il y trouve son compte. Le commun des mortels tunisiens s’étonnaient en voyant la montée fulgurante dans la politique, l’administration, les entreprises publiques, les médias, l’économie et dans tout le reste des rouages du pays, des individus qui n’ont excellé que par leurs réputations souillées, leurs incompétences manifestes, les scandales dans lesquels ils étaient impliqués et surtout par leur voracité à s’octroyer des privilèges iniques, par la dilapidation systématique des biens publics. L’Homo corruptus, une fois allié au pouvoir et en position de décision et de responsabilité, vaquait en toute priorité et avec un plaisir sadique, à exterminer l’Homo correctus, qu’il déteste d’ailleurs comme la peste car il considère que sa seule existence est un affront et une injure personnelle à son égard. Il réduisait son espace vital et limitait sa liberté d’action jusqu’à l’étouffer. Il le privait de toute possibilité d’expression ou d’action et de toute opportunité d’évolution car il ne fallait surtout pas qu’il arrive à donner un modèle alternatif qui risque d’ébranler le fondement de son pouvoir. Conséquence triviale, pendant les dernières décennies, l’Homo correctus a été sévèrement disséminé dans nos contrées et il est sans doute aujourd’hui une espèce menacée, voir en voie de disparition.
Vous avez certainement compris que tout ce qui a précédé, n’était qu’un intermezzo satirique pour introduire en douceur un sujet particulièrement grave et épineux, qu’est la corruption dans notre pays. L’allégorie de la paléontologie et de l’évolution de l’espèce humaine n’est pas fortuite car de toute évidence, la corruption est devenue une deuxième nature et une mentalité voire une culture bien ancrée chez une frange non négligeable de nos concitoyens, au point qu’on est tenté de supposer qu’elle est due à une mutation génétique.
La corruption est de nature tentaculaire, elle n’épargne aucun domaine d’activité, aucune classe sociale et aucun niveau intellectuel. Comme le cancer, qui affecte les cellules de l’intérieur, modifie leur fonction naturelle et enclenche leur multiplication incontrôlée, la corruption affecte la société dans ses maillons les plus basiques, elle pousse les gens à faire exactement le contraire de ce qu’ils sont sensés faire et de ce qu’ils sont payés pour et enfin elle se propage comme un feu de brousse dans tous les domaines et à tous les niveaux. Guérir un corps du cancer est l’une des thérapies les plus ardues car ça revient à éliminer la cellule cancéreuse sans pour autant affecter la cellule saine juste à côté, de sorte à ne pas traumatiser d’avantage un corps déjà gravement affaibli. De même, affranchir une société de la corruption revient à déceler les individus corrompus qui sont de nature élusive et qui maitrisent à la perfection les techniques du camouflage, ensuite les neutraliser sans pour autant se tromper de cible et sans porter un coup fatal pour l’Etat et pour l’économie, déjà soumis à rudes épreuves. Lorsque la fanfare annonçant l’ouverture de la chasse aux corrompus et aux réseaux qui les protègent retentira, il faudra aborder la démarche d’une façon intelligente et réfléchie pour ne pas provoquer le vide au risque de faire chavirer les institutions de l’Etat, surtout si on se rend compte du nombre considérable des corrompus, de la sensibilité des positions qu’ils occupent et de l’importance des dossiers qu’ils détiennent. Lorsque j’y pense, la première image qui me vient à l’esprit, c’est comment séparer la soie du chardon sans pour autant l’abimer. Enfin, la corruption est aussi de nature mafieuse, des malfrats s’organisent pour créer une synergie du mal qui leur donnent plus de pouvoir, d’influence et d’argent, qu’ils n’arriveraient jamais à accumuler s’ils étaient seuls et s’ils n’empruntaient que les voies légales et légitimes. Les réseaux de corruption se servent des mêmes structures, méthodes et techniques que les réseaux mafieux. Dans le film ‘Le Parrain’, le nouveau recrue devait s’exécuter à commettre un délit particulièrement odieux comme preuve de soumission et d’engagement à vie envers ‘La Familia’, on garantira ainsi sa loyauté, puisqu’il vivra désormais avec l’épée de Damoclès sur la tête, qui le décapitera si jamais il pensera un jour à changer de camp. Les réseaux de corruption se servent de la même technique pour recruter et fidéliser leurs sbires.
La série intitulée ‘l’état corrompu’, qui a été présentée par la chaine TV nationale, a choqué les téléspectateurs tunisiens par des faits accablants, qui frôlent le surréalisme, sur l’ex-famille régente. Au risque de choquer davantage nos concitoyens, je dirai que ce n’était que l’infime partie apparente de l’iceberg. Il est trivial que l’état corrompu se base sur des institutions corrompues, dirigées par des individus corrompus qui sont toujours au large et qui font aujourd’hui encore du ‘business as usual’. Après la révolution on a assisté à une vague de nominations à la tête des institutions de l’état et des entreprises publiques, qui donnaient l’impression de faire table rase avec les symboles du passé. En regardant de plus près, on s’aperçoit, qu’il s’agissait souvent d’une opération esthétique et de tape à l’œil, car dans beaucoup de cas, le remaniement consistait à ce que le second vient remplacer son patron, probablement dans un souci de continuité en ces temps incertains. Cela n’aurait pas été grave outre mesure si on passait sous silence, le risque que ces nouveaux dirigeants sont eux-mêmes impliqués dans la corruption et qu’ils ont eu tout le temps depuis, pour détruire les preuves, maquiller les dossiers et les comptes, brouiller les pistes et pour placer leurs fantassins en position pour les combats à venir (voir les nominations plus que douteuses dans des postes-clé, que les médias n’ont cessé de nous révéler, comme si rien n’a changé). Pendant ce temps les acteurs politiques, qui ne rataient aucune occasion pour réitérer leur engagement inébranlable à combattre la corruption et la malversation sous toutes ses formes et qu’ils feront tout pour que les corrompus répondront de leurs actes, étaient noyés dans les querelles de la campagne électorale et ensuite dans les réunions marathoniennes dans les coulisses, pour préparer la petite constitution et le règlement intérieur de la constituante et enfin dans par les tractations pour la formation du gouvernement.
Les corrompus encore en exercice, craignant non seulement la perte de leurs privilèges mais aussi le châtiment pour les crimes commis, seront certainement la pierre angulaire du dispositif contre révolutionnaire qui n’épargnera aucun moyen pour tenter de faire échouer tous les efforts pour la reconstruction du pays. Ils seront des ennemis solidaires, redoutables et jurés de tout changement réel et ils ne lésineront pas sur les efforts pour saboter la transition démocratique vers un Etat de droit qui menace de toute évidence, leurs intérêts et même leurs existences. Il est d’une importance vitale de ne rien laisser au hasard et de développer des stratégies intelligentes pour pouvoir faire face à ces réseaux de corruption. On gagnerait, si le nouveau gouvernement viendrait charger dans les meilleurs délais, des experts (sociologues, criminologues, psychologues, juristes, etc.) pour élaborer des stratégies, des tactiques et des mécanismes, qui permettront d’identifier les corrompus, de les neutraliser pour qu’ils ne causent plus du tort avant d’apporter les preuves sur les délits commis pour enfin les juger. Je propose de ma part et pour briser la loi du silence, d’incriminer pour complicité tous ceux qui détiennent des informations sur la corruption et les malversations et qui ne les révèlent pas à une instance spécialisée qui devra être crée à cet effet, et ce même s’ils ne sont pas impliqués directement. Il faudrait aussi introduire en Tunisie, la réglementation pour les criminels repentis, qui a fait ses preuves dans d’autres pays dans le combat contre le crime organisé et qui consiste à protéger, à pardonner ou à réduire les peines des petits criminels, s’ils coopèrent avec l’Etat en dénonçant les grands parrains. Il faudrait aussi développer le cadre juridique et administratif qui protège les fonctionnaires de l’Etat quand ils agissent contre leur hiérarchie pour dénoncer la corruption, les malversations et le détournement des biens publics. Enfin il faudra développer les opérations clandestines ‘under cover’ pour piéger les corrompus et pourquoi pas un site Wikileaks à la Tunisienne qui permettra à chaque citoyen de dénoncer d’une façon anonyme tout dépassement, sans risquer les représailles de la bête.
Pour finir, espérons et œuvrons ensemble pour que l’année 2012 sera un ‘annus horribilis’ pour l’espèce de ‘l’Homo corruptus’ et qu’elle sonnera le glas de son extinction au profit de l’expansion sous nos cieux, de l’Homo correctus. A bon lecteur, bonne année !
Chokri Aslouje
Ingénieur