Pour une programmation budgétaire stratégique et performante.
La loi de finances 2012 vient d’être votée par l’Assemblée nationale constituante. Elle a été préparée par les services des ministères du plan et des finances selon un schéma qui n’a pas changé depuis les années soixante. Ce schéma avait alors été suggéré par un coopérant néerlandais travaillant au ministère du plan et des finances de l’époque. Il n’a jamais été remis en question ni par les responsables du plan ni par ceux des finances ni par les économistes tunisiens. Tout le monde y trouve son compte puisque le budget économique est préparé par les services du plan qui actualisent tous les ans la tranche annuelle du plan et le présentent aux services des finances pour servir de cadre macro aux projections des recettes, des dépenses et des financements sauvegardant les équilibres globaux intérieurs et extérieurs dans l’année à venir.
Une telle méthodologie était innovante dans les années soixante mais elle est, depuis longtemps, surannée. De plus en plus de pays, à la fois développés et émergents, adoptent une nouvelle méthodologie qui réconcilie le moyen et le court terme et construit le budget sur une base pluriannuelle dans un Cadre de Dépenses à Moyen Terme (CDMT). Celui-ci porte généralement sur trois ans et est glissant tous les ans, tenant compte de l’évolution de la conjoncture et des résultats obtenus de l’année écoulée. Il se fonde sur une stratégie nationale de développement à moyen terme discutée abondamment par les services administratifs et les composantes de la société civile aux niveaux local, régional et national. Il constitue donc l’instrument public essentiel de la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement afin d’atteindre ses objectifs fondamentaux. Il procède à l’affectation des enveloppes financières aux secteurs économiques sur une base pluriannuelle assurant ces secteurs de la soutenabilité de leurs financements à moyen terme et leur permettant de lancer des programmes d’action avec des objectifs précis et des indicateurs qualitatifs et quantitatifs de performance. Cela suppose évidemment que des stratégies ont été élaborées par les différents secteurs indiquant les objectifs à atteindre et les instruments pour réaliser ces objectifs. Ces stratégies sont matérialisées dans des CDMT sectoriels qui sont réconciliés avec le CDMT global dans un mouvement « bottom up et top down ».
Le budget devient alors l’instrument annuel de mise en œuvre de cette programmation des finances publiques. Il est alors conçu dans un cadre macro qui assure la pérennité des équilibres fondamentaux sur plusieurs années et traduit la volonté de la communauté de réaliser chaque année les pas nécessaires pour atteindre les objectifs stratégiques que cette communauté s’est fixée. Le CDMT global et les CDMT sectoriels sont revus chaque année avant le début du cycle de préparation budgétaire afin de tenir compte des évolutions internes et extérieures et des progrès accomplis au cours de l’année n-1.
Les avantages d’une telle programmation budgétaire stratégique et performante sautent aux yeux. Au lieu d’un plan qui fige les objectifs et les instruments sur une longue période (5 à 10 ans) la stratégie communautaire est plus souple et plus réaliste et tient compte des desiderata de toute la communauté nationale et non pas seulement des options retenues par les bureaucrates. Les objectifs nationaux sont décomposés aux différents secteurs et réconciliés avec les objectifs sectoriels eux-mêmes. Les secteurs sont assurés de la disponibilité sur plusieurs années des enveloppes nécessaires à la réalisation de leurs objectifs. En même temps, ils sont responsabilisés de leurs gestions respectives et sont tenus des engagements qu’ils ont pris. Les deniers publics sont utilisés d’une manière assurant l’efficacité et l’efficience. Autrement dit, avec les mêmes montants, les services devraient atteindre le maximum de résultats et/ou atteindre les résultats avec le minimum de moyens. Les indicateurs mesurables sont disponibles chaque année et permettent de juger les services publics non pas sur les crédits consommés mais sur les résultats obtenus. Cela améliorera considérablement la performance de ces services publics qui, faut-il le rappeler, sont là pour servir la communauté nationale et non se servir au détriment de la communauté nationale. Le renforcement des contrôles internes et externes est un adjuvant supplémentaire pour mieux renforcer la performance budgétaire.
Quand allons-nous décoller vers une telle programmation budgétaire et sortir de la méthodologie surannée suivie jusqu’ici dans notre pays ? Il faut espérer que le gouvernement Jebali prendra ce chemin novateur.
Dr. Moncef Guen