Où va notre diplomatie ?
Programmée pour le 14 janvier dans le cadre des festivités marquant le 1er anniversaire de la révolution, la visite du président palestinien, Mahmoud Abbas n’aura pas lieu. Le responsable palestinien a invoqué d'autres engagements pour justifier cette annulation. Mais il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’elle est la conséquence logique de la visite du leader du Hamas dans notre pays et du camouflet infligé à l'ambassadeur de Palestine qu'on n’avait même pas pris la peine d’informer de cette visite, ce qui est contraire aux usages diplomatiques les plus élémentaires. Il faut dire que cet impair n’est pas un acte isolé. Il survient après une série de déclarations pour le moins malencontreuses à propos de l’Algérie, de la France et de la Syrie, des initiatives malheureuses qui tournent le dos à un principe de base de notre diplomatie : la non ingérence dans les affaires intérieures des autres pays ; les appels saugrenus à une fusion avec la Libye et à la création d'une union des peuples arabes libres et des faits comme la réunion du Conseil syrien ou la probable ouverture d'un bureau de Hamas à Tunis, sans oublier cette scène surréaliste d’un ministre tunisien conversant avec son homologue français à travers un interprète qui est à elle seule symbolique des changemements intervenus. C'est la nouvelle diplomatie tunisienne qui se met en place. Elle se veut différente de l'ancienne, avec de nouvelles priorités, de nouvelles alliances, une nouvelle philosophie. Malheureusement, ce recentrage s'est fait dans la précipitation et sans concertation préalable avec les parties concernées. La tentation de la déconstruction est certes très forte, mais sachons raison garder. On ne doit, surtout pas, tourner le dos à nos partenaires traditionnels.
Depuis la proclamation de l’indépendance en 1956, la diplomatie tunisienne s’est distinguée par sa modération et son sens de la mesure. Un choix conforme au tempérament du Tunisien, plus porté au dialogue qu’aux positions tranchées et à la vocation du pays appelé de par sa position géographique à jouer un rôle catalyseur d’entente et de coopération entre les peuples. Servie par des hommes remarquables comme Mongi Slim, qui avait porté haut et fort la voix des pays colonisés à l’ONU, la diplomatie tunisienne du temps de Bourguiba avait rayonné sur l’ensemble de la région.
Sait-on que le comité de décolonisation de l’ONU qui a joué un rôle de premier plan dans l’affranchissement des pays africains a été créé à l’initiative de la Tunisie qui y avait joué un rôle déterminant, que Mongi Slim a été le premier africain à avoir présidé l’Assemblée générale des Nations Unies, que notre pays a parrainé en 1961, en tant que membre du Conseil de sécurité l’entrée à l’ONU de la plupart des pays africains ayant acquis leur indépendance en 1960 ? En tout cas, ceux qui n'ont pas connu cette période trouveront dans la façon dont la Tunisie a géré la crise libyenne un exemple de ce qu'était la diplomatie tunisienne : discrète, habile, intelligente et au final, terriblement efficace. Dans le cas d'espèce, le maître d'oeuvre a été un pur produit de l'école bourguibienne, Béji Caïd Essebsi. Méditez et comparez...Le contraste avec les gesticulations d'aujourd'hui est saisissant.
Après la période de déclin pendant les années Ben Ali, on était en droit de s'attendre à ce que la révolution tunisienne permette de renouer avec l'âge d'or de notre diplomatie. Malheureusement, le spectacle auquel on assiste aujourd’hui autorise tous les désespoirs avec ces déclarations tonitruantes et ces actes irréfléchis. Car, enfin, tout cela fait désordre et donne une impression d'amateurisme. Le plus grave, c'est la propension de certains dirigeants à jouer les Don Quichotte en se posant en donneurs de leçons et dans des termes parfois blessants. Ce qui risque de nous aliéner un certain nombre d'Etats amis surtout dans cette partie du monde où le nationalisme ombrageux s'accommode mal de la moindre critique. Sachons rester modestes. La Tunisie n'est pas le Cuba des années 60.
Hèdi Bèhi