La révolution tunisienne: questions et réponses
Les voies des révolutions, comme celles du Seigneur, sont impénétrables. Une révolution ne se décrète pas. De nature sismique, elle éclate sans crier gare. Certes, des signes avant-coureurs peuvent être décelés mais c’est toujours après que le détonateur eut été actionné, c'est-à-dire a posteriori. C’est ce qui explique d’ailleurs que la datation des révolutions inventoriées depuis la nuit des temps constitue un sujet de discorde entre les historiens.
Pour nous en tenir à la révolution tunisienne, n’est-on pas en droit de nous poser la question: a-t-elle été déclenchée le 14 janvier 2011 au moment de la fuite de Ben Ali ou bien le 17 décembre 2010 lors de l’étincelle qui a transformé le corps de Mohamed Bouazizi en icône?
Mais il y a d’autres questions qui taraudent nos esprits formatés par une culture un peu trop cartésienne. S’agit-il oui ou non d’une révolution? A-t-on voulu, pour faire court, opter pour ce vocable assez commode?
Ne s’agit-il pas plutôt d’un soulèvement populaire, d’une explosion sociale ou bien d’un ras-le-bol généralisé? Quand on égrène les évènements de l’année en cours, l’on se rend effectivement compte que tout cela est bien vrai. Et pourtant, l’on est en droit de parler d’une révolution tunisienne: une révolution, par définition, n’est jamais statique. Dès qu’elle se déclenche, elle se met en mouvement. Après l’explosion, vient souvent le temps de la reconstruction.
Après l’euphorie du 23 octobre 2011, jour de gloire pour un peuple appelé enfin à exprimer sa voix lors d’élections libres et non entachées de fraudes – un miracle dans nos contrées! – est lancé le 22 novembre 2011 le compteur qui va rythmer l’élaboration de la République nouvelle.
La Constituante élue ce jour-là est désormais comptable du devenir de la révolution en marche. Cela peut paraître paradoxal s’agissant d’une assemblée où le parti majoritaire est affublé d’une marque plutôt conservatrice. Ennahdha, un mouvement d’inspiration religieuse qui a emporté les suffrages de près de 40% des votants lors du dernier scrutin, claironne urbi et orbi qu’il entend bien guider la société tunisienne sur la voie de la modernité.
Attendons voir… Après tout, l’Islam se conjugue ces temps-ci mais sous d’autres cieux plus cléments – en Malaisie et en Turquie par exemple – avec le progrès social et surtout économique. Les taux de croissance à deux chiffres réalisés dans ces pays en sont une preuve intangible. L’Islam, est-ce donc la solution aux problèmes lancinants du chômage – près d’un million de sans-emploi – du tarissement des capitaux, des déséquilibres financiers?
Il ne faut pas être grand clerc pour imaginer combien sera rude la tâche des nouveaux gouvernants. Certes, l’Islam, comme toutes les autres religions, prône des valeurs d’équité, d’amour du prochain et d’abnégation. Mais pour transcender les faits et méfaits qui ont gangrené le pays un quart de siècle durant, le cultuel n’est peut-être pas suffisant.
C’est Malraux qui avait prédit que le XXIe siècle serait un siècle religieux 1; on en voit les manifestations aujourd’hui sur toute la surface du globe terrestre.
Après la sécularisation, la sanctification? La religion comme mode de gouvernement? Les leaders d’Ennahdha ont le courage de ne pas le réclamer. La présence à leurs côtés des dirigeants de deux partis qui se réclament, eux, du centre-gauche – il s’agit de Messieurs Ben Jaâfar et Marzouki – atténue en tout cas l’anti-bourguibisme dont on soupçonne les ex-opposants au libérateur de la Tunisie et … de la femme.
Une dernière question: la révolution tunisienne a-t-elle été «concoctée» par les services de renseignements étrangers, principalement américains et on ne prête qu’aux riches!? C’est faire injure aux jeunes Tunisiens qui se sont époumonés à crier «Le peuple veut...» (Al-sha‘b yur?d isq?? al-ni??m)…un slogan qui a été repris dans le saint des saints à Wall Street à New York par les indignés américains. Les agents nichés dans les arcanes du Pentagone à Washington y sont-ils pour quelque chose? Ah le ridicule… in fine, peu importe de savoir comment cela est arrivé. On sait déjà pourquoi cela est arrivé…
Bon Dieu, ne sommes-nous pas enfin libres? Au diable, tous les despotes, fussent-ils éclairés!
Aïssa Baccouche
Ecrivain, ancien maire de L’Ariana (Tunisie)
Article publié conjointement avec le journal suisse L’Essor