Conjoncture économique 2012 : Compter un peu plus sur soi !
Faut-il s’inquiéter de la relative mais perceptible dégradation de la conjoncture économique et sociale du pays ? Certes, il y a bien des signes avant-coureurs ici et là de fléchissement de l’activité et de détérioration des équilibres généraux du pays. Faut-il, pour autant, reprendre à son propre compte et entonner en cœur, un discours qui se développe et se propage prédisant l’effondrement économique, et pour ainsi dire le chaos social !
La situation est d’évidence préoccupante, mais pas alarmante, compte tenu du système laissé et des récentes tendances. Discernement oblige. Il y aussi les inerties à la hausse et à la baisse de tout système. En outre, l’échelle de grandeur des problèmes à résoudre, comparativement à d’autres pays, reste somme toute modeste. Cela étant, il manquerait tout de même et selon toute vraisemblance de l’ordre de 6 à 7 milliards (6% de déficit public) pour maintenir « à flot » notre économie, beaucoup plus, bien sur, et mécaniquement pour entamer et amorcer une réduction du chômage et des déséquilibres régionaux. Mais contentons nous du seul premier volet.
Notre hypothèse est que 2012 sera une « année blanche », ni écroulement ni embellie, car quelques améliorations pourront probablement être trouvées aux finances publiques et plus généralement aux modalités court terme de financement de notre économie. La loi de finances présentée par le nouveau gouvernement, simple reconduite de la copie de ses prédécesseurs, avec la promesse d’un collectif budgétaire à l’horizon de 3 mois, laisse augurer d’une « passe difficile » mais pas insurmontable. En dépit, d’une même logique, il y a fort à parier que le bouclage global (finances publiques et financement du privé) ne se présentera pas sous les plus mauvais auspices. Coté financement extérieur, des récents accords (BM, BAD, BEI) comme de nouvelles lignes de crédit extérieur sont soit engrangées soit dans le tuyau. Elles viendront combler ce besoin immédiat, à l’identique du passé. Fuite en avant inconsciente, pourrions nous dire, jusqu’au seuil de la possible crise de solvabilité voire de liquidité ? A l’évidence on se rapproche dangereusement du seuil critique de basculement, tant en terme de service de la dette que de son poids accru sur nos équilibres des années à venir.
Il va sans dire que nous ne tenons compte ici que du jeu des agrégats macro-économiques, sans véritablement préjuger des effets en retour de la montée du mécontentement social. Or celui-ci se fait de plus en plus menaçant. Cela apparait d’autant plus surprenant, que la classe politique, et singulièrement la nouvelle équipe dirigeante, semblent être plus préoccupée par le processus institutionnel, que par les pressantes demandes des citoyens. Celles-ci, semblent dire les politiques, à quelques rares exceptions prêt, peuvent encore attendre un peu. L’ampleur de ce légitime mécontentement est telle une épée de Damoclès, mais n’est toujours pas pris en compte. Pas l’ombre d’une mesure d’apaisement, pas le moindre signal de négociations.
Urgence d’une nouvelle orientation stratégique ? Loin s’en faut. Admettons pour l’instant. Revenons aux seules préoccupations du moment « conjoncturel », même s’il conviendrait de mieux apprécier le retour de flamme social pourtant prévisible. La seule réponse audible mais incongrue consiste, pour l’heure, à appeler à une trêve, à l’ordre et à la stabilité du pays. Cette approche apparaît bien pour ce qu’elle est : inopérante et stérile. Les évènements récents le confirment. On croit rêver, sans doute nos élites sont elles ailleurs ! De fait on reproduit les mêmes recettes qui nous ont précisément menées dans le mur.
Le secteur bancaire, le moins connu, est quasi sinistré. Le précédent ministre des finances avait déployé de multiples efforts pour masquer les réalités profondes (un encours non recouvrable en croissance exponentielle, proche de l’implosion) mais aussi, et pour contourner l’obstacle, -le système du crédit classique-, la mise en place de nouveaux instruments : Une CDC et un fonds d’investissement, purs artifices de transit sans véritables ressources. Un habillage au demeurant bien accueilli, mais plus proche de la coquille vide que du véritable fer de lance.
Les lois économiques ont ceci de particulier : elles ne se révèlent le plus souvent au grand jour que lorsque leurs attendus sont déjà là et qu’il est un peu tard pour agir et les contrecarrer.
Il en est ainsi de la dérive historique de l’épargne nationale réduite pas tout à fait à une peau de chagrin, mais presque. Il manque 10 à 15 points pour donner corps à une nouvelle phase de développement ! Ses détenteurs, champions de la trappe à liquidité n’en ont cure, préférant à l’évidence la bulle spéculative du foncier et de l’immobilier. Qui peut sérieusement et sans rire, affirmer qu’il y a une insuffisance de liquidités pour financer l’économie. Il suffit pour s’en convaincre de sillonner les quartiers en vue, les axes routiers stratégiques, et autres zones attractives pour se rendre compte de l’ampleur de ces liquidités canalisables vers la production.
Il y a là de nombreux gisements pour autant que l’on veuille bien s’atteler à la tâche, mais il est vrai au risque de s’attirer les foudres de certains électeurs : Réforme fiscale tant de son faible recouvrement que de la définition d’une nouvelle assiette d’imposition, légitime et socialement équitable. Nous sommes loin d’être égaux face au nécessaire effort national…à moins que la TVA sociale ne s’immisce dans le débat !
Il en va aussi et de même de la poule aux œufs d’or de l’argent des immigrés qui ne cesse de reculer. Démagogie et populisme aidant, sur l’identité arabo-musulmane des tunisiens de l’intérieur, les nouveaux élus majoritaires ont pour ainsi dire refroidi les « ardeurs patriotiques » de concitoyens binationaux, cadres ou hommes d’affaires de l’étranger ou parlant mal l’arabe.
Pourtant la nouvelle troïka aurait été bien inspirée si elle avait appelé à la mobilisation de l’effort national au travers d’un grand emprunt national remboursé en monnaie locale.
Quid d’autres solutions ? Une taxation des produits « devise-vores », pas un mot ! Ou bien alors la très « fumeuse » technique des PPP, dont on ne cesse de lire à longueur de pages les faramineux avantages : pas d’endettement extérieur, jeu gagnant-gagnant, aux applications multiples, infrastructures comme grands projets industriels. Pour en avoir conduit, puis suivis de nombreux, on peut affirmer que dans le triptyque : « investisseurs-risques-gains», l’Etat, la collectivité et plus généralement tout demandeur n’a une chance de retirer quelques substantiels avantages (revenue-sharing, emplois qualifiés, structuration de l’espace économique), que si et seulement si, il, elle, est capable de mettre au pot. Nous voilà donc inexorablement ramené à la case départ.
En réalité, tout se passe comme si, cette nouvelle équipe éprouvait déjà une aversion forte au risque de déception de ses soutiens. Sans jamais le dire ni tenter de le faire, la majorité semble rechigner à toucher aux choses, comme à faire appel aux détenteurs de capitaux, car il y en a bien, ou encore une réduction ordonnée et librement consentie de la consommation ostentatoire. Les autorités semblent toute compte fait se résigner dans la seule issue: celle de la fuite en avant, comme celui de l’argent du Qatar….sans contrepartie ?
Ce n’est pas l’effet d’annonce d’un impôt sur la fortune qui modifiera la donne de fond.
Le courage politique manque toujours cruellement en dépit des circonstances. Pas de questionnement de notre dette et d’une possible fraction odieuse ayant alimenté les instruments de domination comme de répression. Pas plus d’actions pour recouvrer les avoirs à l’étranger. Pas un seul appel non plus, à une nouvelle logique du « compter sur soi » sur une austérité « vertueuse » équitablement répartie. En lieu de cela, et comme saisie par une espèce de schizophrénie, les autorités y vont tout à la fois de l’annonce d’une embellie à 4,5% (sic) et l’indispensable retour au calme (sic) sous peine ce chaos, alunissons dans union sacrée oblige, partagée il est vrai par une partie de cette majorité silencieuse !
Du déjà vu….à s’y méprendre. Les temps ont-ils si peu changé ?
Il faut le croire, troïka ici ou en Europe manquent manifestement d’imagination.
Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement
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