Taoufik Habaïeb: Quand "Leaders" tente de démêler l'écheveau de la crise
Troubles sociaux en nette recrudescence, croissance en berne, rapports tumultueux du gouvernement avec les médias, montée en puissance du phénomène salafiste, dérapages tous azimuts en matière de politique étrangère, relations exécrables entre la majorité et l'oppostion : l’état de grâce pour le gouvernement Jebali aura été de courte durée. La livraison de février 2012 (N°9) de Leaders s’attache à démêler l’écheveau inextricable de la crise que traverse le pays depuis l'arrivée de la Troïka au pouvoir. Une crise multidimensionnelle analysée sous tous les angles par les meilleures plumes du pays.
Au moment où nous mettions sous presse, voilà que M. Béji Caïd Essebsi lance un appel solennel à l’opinion publique sans qu’on sache s’il va contribuer à clarifier la situation ou à la complexifier davantage. Nous avons juste eu le temps de publier l’appel accompagné d’un commentaire à chaud. Outre nos rubriques habituelles, nous publions dans nos pages culturelles, de bonnes feuilles de deux livres qui ont marqué la production éditoriale de ce début d’année : « Orphelins de Bourguiba et héritiers du prophète » de Samy Ghorbal qui nous invite « à plonger dans les méandres de la pensée bourguibienne » et « Habib Bourguiba, radioscopie d’un règne » de Chédli Klibi. Un texte exceptionnel que nous devons à l'un des plus proches -et plus appréciés- collaborateurs du « combattant suprême ». Le passage que nous reproduisons jette une lumière crue sur celle qui fut pendant de longues années «l'homme fort du régime», Wassila.
Ce numéro est introduit par Taoufik Habaïeb qui s’interroge jusqu’où peut aller Jebali :
Pris, trois semaines seulement après l’installation de son gouvernement, dans l’étau serré des revendications exacerbées et des graves troubles allant jusqu’à l’appel à la désobéissance civile, Hamadi Jebali et son équipe se trouvent confrontés à ce que le chef du gouvernement qualifie de « machine infernale lancée à toute allure pour tout torpiller ».
Les tensions avec les médias et l’impunité dont jouissent des extrémistes auteurs d’agressions avérées et d’occupations illégales ne font que compliquer la tâche. Encore plus, les relations extérieures et la coopération internationale en sont elles aussi affectées. Qu’il s’agisse des relations avec les pays voisins, frères et amis (déclarations imputées à Marzouki sur la Libye et l’Algérie, rectifiées par la suite, manque de relief de la visite d’Alain Juppé, polémique autour de la visite d’Ismael Haniyeh, diplomatie à plusieurs voix…), ou de la tentative d’assèchement des sources de financements extérieurs (notamment le Qatar), les motifs d’inquiétude sont nombreux. Sans parler des dysfonctionnements au sein de la Troïka qui n’ont pas manqué de se manifester.
A l’évidence, le triomphalisme des vainqueurs du 23 octobre, tirant sa légitimité du droit de la majorité ne peut, à l’épreuve de la dure réalité de l’exercice du pouvoir, que s’émousser. L’état catastrophique de la situation économique et sociale, aggravé au lendemain de la révolution, laisse pousser un véritable cri d’alarme (lire l’analyse de Chedly Ayari). Le ménage à trois au sommet de l’Etat, qui ne trouve pas encore son bon mode d’emploi, ne parvient pas à offrir les garanties d’apaisement et les motifs d’espoir, comme l’explique Walid Belhadj Amor.
Alors, quelles solutions ? De transitoire en provisoire, la direction du pays pouvaitelle faire face, à elle seule, efficacement aux revendications économiques et sociales légitimes qui, à plusieurs reprises, ont failli embraser la Tunisie ? A la recherche de renfort, et tout en rappelant que la durée de son mandat se limitera, comme convenu, à un an, délai imparti à la Constituante pour terminer sa mission fondamentale, Jebali multiplie les messages d’ouverture à « toutes les formations politiques, composantes de la société civile et compétences nationales ».
Cette union nationale s’impose aujourd’hui en impératif majeur. Elle ne peut, cependant, être efficace, comme l’explique Mansour Moalla, que «si les uns et les autres laissent de côté, au moins provisoirement, les ambitions démesurées ou les prétentions excessives et les choix extrêmes et s’entendent sur un programme concret pour sauver le pays». Elle doit aussi, et sans tarder, « adresser des messages concrets d’espérance, sous forme d’actions concrètes de nature à améliorer rapidement le sort de ces populations et à leur procurer un emploi dans les meilleurs délais possibles».
Trois mois depuis le 23 octobre, aucune ligne de la nouvelle Constitution n’a encore été, écrite. Même s’il faut espérer que les 217 élus de la Nation auront à coeur de se rattraper en évitant toute précipitation. La stabilisation du pays ne pourrait se réaliser qu’en mettant fin au provisoire, par le vote de la Constitution et l’élection du premier président de la IIème République, le tout ne devant pas dépasser la fin de cette année. C’est dire, l’importance des enjeux. L’année 2012 sera alors l’année de toutes les vérités… et la voie à toutes les relances.
Le N° 9 de Leaders (février 2012) est disponible en kiosque à partir de mardi 31 janvier