Addis-Abéba – De l’envoyé spécial de Leaders - « Les Africains ne sont pas en train de changer de maîtres, ils sont leur propre et unique maître ». Lorsque le Dr Moncef Marzouki, invité à prononcer le discours de clôture du 18ème sommet de l’Union Africain, monte à la tribune mardi à 1 heure du matin, la salle attendait chacun de ses mots. Le tournant est pris par l’organisation panafricaine, l’ensemble du continent aussi. Depuis 10 heures du matin et malgré quatre tours, les 54 chefs d’États et de délégations n’avaient pu départager les deux candidats en lice pour la présidence de la Commission de l’Union, le gabonais Ping et la sud-africaine, Zuma. La majorité des 2/3 des voix requise était impossible à réaliser, d’où la décision de maintenir la direction actuelle de l’Union provisoirement jusqu’au prochain sommet, prévu en juin prochain au Malawi.
Pourtant, les deux camps n’avaient pas lésiné sur les moyens pour séduire les voix. Visites aux pays membres, (jusqu’à Tindouf pour Ping), investissements massifs, ouverture de lignes aériennes directes, abolition de visa d’entrée, dons et crédits avantageux pour la candidate de l’Afrique du Sud (notamment pour le Bénin et d’autres pays), l’opération de
charme a été fortement déployée, de part et d’autre. Le deuxième round s’annonce encore plus épique.
« No winners, but we get a chance ! », s’élancent dans le hall du centre des congrès flambant neuf, les membres de la délégation sud-africaine, en chantant et en dansant. La stratégie de blocage adoptée pour contrecarrer, en ultime recours, la réélection de Ping a fonctionné. Mais derrière ce « duel au sommet » se profile, en fait, un grand tournant
historique. Deux Afriques s’affrontent : non pas francophone contre anglophone, mais conservatrice, figée, contre moderniste, affranchie. « Il est clair, explique à Leaders, un ministre, que l’ancien leadership français n’est plus en mesure de diriger l’Union africaine. Un nouveau leadership africain est en train de naître, mais il ne parvient pas encore à prendre la relève. Pour la première fois depuis la création de l’OUA, ancêtre de l’UA, la France-Afrique n’arrive pas à réunir les 2/3 des voix en faveur de son candidat. La crise de la présidence est, en fait, une crise de relève totale. »
Un troisième candidat ?
Sans tarder, le comité ad-hoc chargé par le sommet de se prononcer sur les candidatures (dont la Tunisie est membre), doit d’ici mars trouver la bonne solution. D’après un spécialiste interrogé par Leaders, ni Ping, ni Zuma ne seront en mesure de l’emporter. D’où la nécessité de convenir d’un troisième candidat, plus consensuel.
« Le printemps arabe, mais aussi les changements qui s’amorcent sur le continent, nous dit-il, provoquent une onde de choc qui change profondément la donne au sein de l’Union. Le concept même de cette organisation était la défense des régimes en place contre leurs peuples et une vassalisation vis-à-vis des anciens maîtres. Même la Cour de Justice, instituée par l’UA n’est pas habilitée à recevoir un recours intenté par un africain contre son gouvernement, comme il en est d’usage en Europe. Maintenant que le vent a tourné, le changement est inévitable».
La Tunisie s’y investit
Dès le premier jour du sommet, le Dr Moncef Marzouki l’avait bien mentionné à l’ouverture des travaux. « Le changement pacifique au sein des régimes s’impose aujourd’hui comme une préoccupation majeure » dira-t-il faisant frissonner les chefs d’Etats visés. Balayant les dictatures en place, cette nouvelle force montante des tréfonds du continent trouve de toute évidence ses premières manifestations à la faveur des élections à la Commission de l’UA.
Dans ce nouveau processus, la Tunisie qui reprend en force sa position, entend jouer un rôle actif. Première marque qui n’a pas échappé à tous les participants au Sommet, l’implication totale du Président tunisien à tous les travaux, sans zapper la moindre séance, suivant attentivement les débats, présidant une séance plénière, multipliant les consultations avec ses pairs. Son élection en tant que 2ème vice-président de l’organisation panafricaine lui donne déjà un statut privilégié. Sa conviction est faite : l’avenir, c’est non seulement le Maghreb, mais aussi l’Afrique.
Exhortant les membres de l’ambassade de Tunisie à Addis-Abeba à redoubler d’effort, il leur a indiqué : « les affectations en poste en Afrique sub-saharienne étaient avant une mesure disciplinaire. Tout cela va changer dans notre diplomatie. Ce seront les meilleurs que nous enverrons désormais ». La vision étant définie, c’est maintenant le plan d’action qui doit être mis au point et les ressources financières adéquates, mobilisées.