Opinions - 01.02.2012

Quelle solution?

La révolution risque-t-elle de conduire le pays à la catastrophe ? Le désordre politique, l’agitation sociale et la régression économique pourront y conduire si l’on n’y prend garde. Une autocritique sincère s’impose pour voir clair dans l’avenir tunisien. Le désordre politique est le principal facteur d’échec. La classe politique jusqu’ici, dans toutes ses composantes, n’a pas été à la hauteur de la tâche. Non seulement elle n’a pas su ou pu prévoir la révolution, elle n’a pas réussi non plus à « gérer » l’après-révolution. Quelles sont les principales composantes de ce désordre : la liste est longue, il faut néanmoins en citer les plus déterminantes.

La première composante réside dans le choix du « provisoire » et du « transitoire ». Trois gouvernements provisoires et politiquement peu représentatifs ne pouvaient en 2011 faire face aux nombreux problèmes à résoudre : instaurer la sécurité, faire redémarrer l’économie, satisfaire les revendications les plus immédiates concernant les Tunisiens les plus démunis et les régions les plus pauvres du pays, solutionner les conséquences de la période de la dictature et ne pas laisser traîner des procès préjudiciables à l’apaisement des esprits, préparer les élections, réglementer la constitution des partis politiques et établir une loi électorale compréhensible et à la portée de tout citoyen électeur.

Aucun gouvernement provisoire d’une durée limitée à quelques mois ne peut réellement aborder tous ces problèmes à la fois et les résoudre. S’il décide d’agir, on le taxera de « dictature », s’il s’abstient de le faire, on critiquera son inefficacité. On ne peut jeter la pierre à ces gouvernements : ils ont eu le mérite de tenir le pays et d’organiser des élections. Cette impuissance gouvernementale a été aussi le résultat d’une perspective électorale poussant les uns et les autres à plaire, à promettre, à séduire et à éviter la critique, le mécontentement ou le risque de toute action d’envergure. On paie aujourd’hui le prix de ces faiblesses. C’est donc le choix du provisoire qui est en cause et non l’effort limité et louable entrepris durant la première période provisoire. Le résultat de ce choix a été l’émergence d’un paysage politique déséquilibré. D’abord la constitution de « hautes autorités » qui vont essayer, dans l’agitation des dizaines de partis politiques qui ont surgi dès les premières semaines, de suppléer le gouvernement dans ses principales tâches, les institutions étatiques étant devenues suspectes. En second lieu, la déstructuration du paysage politique : un parti « islamiste » sorti puissant d’une longue période de persécution et une poussière de partis démocratiques du centre ou de la gauche dont certains leaders confondaient leur promotion personnelle avec l’intérêt du pays et ont, dès les premiers instants, affiché leurs prétentions. Une loi électorale qui viendra balayer cette « poussière » qui perdra des centaines de milliers de voix et assurera le « triomphe » du parti conservateur, « triomphe » soutenu par le ralliement de deux partis du centre gauche.

Un paysage politique déséquilibré qui ne peut que subir la prédominance effective du « vainqueur », ceux qui ne se sont pas ralliés ne peuvent que « s’opposer » pour exister.

La deuxième période « provisoire » va montrer dès le départ les inconvénients et les errements de ce nouveau paysage politique. Ce provisoire ne devant en principe durer qu’une année à partir de la date des élections, on trouvera le moyen de perdre trois mois sans aborder l’objet essentiel de l’élection, c’est-à-dire l’établissement d’une nouvelle Constitution.

Ces trois mois seront consacrés à la structure provisoire des pouvoirs politiques (petite Constitution), au règlement intérieur de l’Assemblée constituante et enfin et surtout à la constitution d’un nouveau gouvernement -le quatrième- étalant les appétits de pouvoir des différents groupes, ce qui n’était pas de nature à rassurer l’opinion publique. Trois domaines sont passés au second plan : la Constitution, la gestion des affaires générales du pays, la situation économique et financière.

Ces trois premiers mois du mandat de l’Assemblée vont voir se multiplier les dysfonctionnements.
Le plus notoire est celui concernant le domaine de l’information qu’on a essayé de violenter et de maîtriser. Le second concerne les diverses manifestations de domination du parti « vainqueur » qui se sont produites soit dans la discussion sur l’organisation et le partage des pouvoirs entre les membres de la Troïka, le parti « vainqueur » ayant accaparé les principaux ministères dits de souveraineté et notamment l’Intérieur et la Justice, laissant aux alliés quelques ministères techniques ou économiques.

Ces dernières manifestations ont laissé l’impression, sinon la conviction chez un grand nombre, que le parti dominant est surtout préoccupé de son avenir, de son maintien au pouvoir par une préparation méthodique des nouvelles élections prévues à la fin de 2012.

D’autres dysfonctionnements seront constatés dans différents secteurs traduisant la volonté persistante d’utiliser la « religion », l’Islam, pour dominer le pays. Sinon comment interpréter les actes de violence commis par les extrémistes et qui sont restés sans réaction des pouvoirs publics. Certains parlent de « milices » qu’on se garde de désavouer. D’autres critiquent la confusion Parti et Etat comme avant la révolution. Enfin, de nouveau, le silence au sujet de quelques jeunes filles «cachées » par leur «Niqab » et troublant l’activité d’une faculté comprenant des milliers d’étudiants. Cette tendance à utiliser la religion, à la mêler à la politique et à ses avatars apparaît ici et là et certains vont « découvrir » que l’Islam est la solution! De quoi?

La fraction du monde politique qui « s’oppose », jouant son rôle, fait ce qu’elle peut pour dénoncer ces errements divers mais ne parvient pas à influencer l’orientation dans laquelle s’engage le pays. Ils sont encore trop dispersés et émiettés. Ils ont payé le prix de cet émiettement mais ils tiennent encore à leur « chapelle », à leur « parti ». Ils sont néanmoins obligés d’avancer pour se regrouper et constituer un « contrepoids», une alternative crédible et pour ne pas être balayé avant la fin de l’année. Un progrès est réalisé dans ce sens. Mais il est trop lent et le temps presse. Ici et là, on attend… quoi ? Un chef ? Il existera le jour où l’union sera réelle … Aux différents « chefs de partis » d’avancer, c’est là l’essentiel.

Il ne s’agit pas d’exister pour exister ou pour entrer en « guerre» avec qui que ce soit. Il s’agit de doter le pays d’une structure politique lui permettant de conduire ses affaires dans le calme, la sérénité, la légalité, le civisme et le sens de l’évolution historique, loin des idéologies dépassées ou des débats théologiques qui ne concernent pas la sphère politique. Le meilleur moyen d’y parvenir —et j’ai eu à le dire à plusieurs reprises— serait d’épargner au pays les luttes pour le pouvoir, luttes qui, historiquement, et depuis les temps les plus reculés, se sont traduites par des guerres, des malheurs et des affrontements.

Ces « luttes » devraient être pacifiques. Pourtant, elles utilisent toujours un vocabulaire guerrier : se battre, vaincre, gagner, écraser l’adversaire, éliminer le concurrent, etc.

Or, la Tunisie aujourd’hui, dans l’état où elle est, ne peut supporter une pareille convulsion, qui ira en s’aggravant avec l’approche de nouvelles et multiples élections. La classe politique a le devoir impérieux de sauver le pays. Elle n’a pas le droit de le diviser et de le disloquer, politiquement, socialement, religieusement ou de toute autre manière. Le langage de la raison doit l’emporter partout et d’abord chez les hommes politiques. Le premier d’entre eux a réclamé un « armistice » à ceux qui s’agitent. On doit réclamer d’abord une « paix politique » entre tous les responsables. Cette guerre politique ne peut qu’aggraver l’agitation sociale et le « suicide » dont on parle. Durant le demi-siècle passé, ce sont les querelles entre hommes politiques, les erreurs des responsables et le comportement des chefs de tous bords qui ont empêché le pays de mieux progresser, comme l’ont fait nombre de pays qui avaient au départ le même niveau de revenu. Le pouvoir autoritaire puis la dictature en ont été la cause principale. Il ne faut pas qu’aujourd’hui, la démocratie avec ses antagonismes puisse avoir les mêmes effets. Il faut au contraire qu’elle provoque un élan vigoureux et enthousiaste pour la sauvegarde et la prospérité de la Tunisie. Arrêtons donc les querelles, les tentatives de domination, la guerre pour le pouvoir et occupons-nous du sort du pays. J’avais à plusieurs reprises indiqué que le moyen d’y arriver est de promouvoir une union nationale comme l’ont fait les pays qui ont subi une guerre ou traversé des crises intérieures.

La « Troïka » n’est pas l’union nationale. Cette union doit être élargie aux partis politiques et à toutes les composantes de la société civile, les syndicats notamment et les associations.

Elle peut être efficace si les uns et les autres laissent de côté, au moins provisoirement, les ambitions démesurées ou les prétentions excessives et les choix extrêmes et s’entendent sur un programme concret pour sauver le pays. Cette union doit, sans tarder, adresser des messages concrets d’espérance, surtout aux catégories de la population les plus démunies.
 

 Mansour Moalla

 

 

 

 

 

 

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