Le Système financier Tunisien : Un nouveau mode de gouvernance
Le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, M. Mustapha Kamel Nabli a présidé le jeudi 2 février courant à Tunis, le colloque international organisé par l'Association Professionnelle Tunisienne des Banques et Etablissements Financiers et l’Académie des Banques et Finances en partenariat avec la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis et la Banque Centrale de Tunisie. Le Gouverneur a fait à cette occasion une communication intitulée : le Système financier Tunisien : un nouveau mode de gouvernance au service dela performance économique.Compte tenu de son intérêt, nous la reproduisons dans son intégralité :
Je vais focaliser mon intervention sur quatre principaux axes:
- Le premier aura trait à l’examen des enseignements tirés de l’ancien mode de gouvernance économique.
- Le second axe mettra en exergue la portée d’une bonne gouvernance du secteur bancaire.
- Le troisième axe sera consacré à l’examen de la gouvernance au niveau de la politique monétaire et la portée de l’indépendance de la Banque Centrale comme préalable fondamental à sa bonne conduite.
- Quant au quatrième et dernier axe, il sera consacré à la gouvernance au niveau du marché financier.
1. Les enseignements tirés de l’ancien mode de gouvernance économique
Avant la révolution, les perspectives de la croissance de l’économie tunisienne étaient bloquées par une mauvaise gouvernance, une structure productive héritée des années soixante dix devenue inadaptée, un secteur financier peu développé et un développement inégal entre les régions. Ces blocages n’ont pu que dupliquer les taux de croissance des tendances passées (environ 4.5% en moyenne) et qui sont insuffisants pour absorber l’ensemble des nouveaux demandeurs d’emploi et de réduire le chômage surtout des diplômés de l’enseignement supérieur.
En fait, la performance de la Tunisie était en deçà de son potentiel. De nombreux pays (tels que la Malaisie et la Turquie), qui partagent les mêmes caractéristiques en termes de développement humain, de stabilité macro-économique et autres fondamentaux, ont enregistré de meilleures performances. Ils ont accéléré la cadence des réformes structurelles et ont mis en place un système économique performant et compétitif.
La Tunisie a été confrontée à une mauvaise gouvernance qui s’est manifestée par l’interférence du politique à tous les niveaux, la violation systématique des règles de droit, l’arbitraire de l’administration, la non transparence, la corruption à petite et à grande échelle, la non responsabilisation avec l’absence d’obligation de rendre des comptes au public et l’absence de visibilité étouffant l’investissement local et étranger et empêchant les entreprises à utiliser pleinement leurs capacités productives (gaspillage des ressources).
Ce dysfonctionnement n’a pas mis à l’abri le secteur bancaire qui a été lui même secoué à plein fouet. La confusion entre le rôle de régulation et de gestion au niveau de la BCT et des banques, le manque de transparence, la faiblesse des mécanismes de responsabilisation au niveau des banques et l’intervention de la sphère politique dans l’octroi des crédits et la gestion des banques (nomination, avancement dans les grades etc.) ont conduit à la fragilité et à la vulnérabilité du secteur bancaire (le taux de créance douteuse a même atteint 20% du total des crédits) et à la faible contribution de la bourse au financement de l’activité.
En effet, l’entreprise tunisienne s’est repliée sur elle-même en évitant toute ouverture sur le marché financier dans le but d’échapper à l’affairisme, le clientélisme et le chantage.
Ceci est d’autant plus grave que le constat qui a été fait au début de l’année 2011 sur l’état de la gouvernance des banques a révélé:
- une confusion dans le rôle des organes de décision et de contrôle;
- un manque de compétence;
- une gestion plutôt personnifiée que collective ;
- un manque de procédures formalisées ;
- des normes réglementaires non respectées.
Notre révolution est une grande opportunité pour adopter des réformes structurelles en mettant en œuvre un système économique et politique performant capable d’aider au développement d’un secteur financier à même de continuer à l’amélioration de la performance de l’économie.
En tant qu’un des principaux responsables du secteur, la BCT a pour mission de contribuer à la réflexion et la mise en œuvre de ce nouveau mode de gouvernance.
2. La gouvernance au niveau du secteur bancaire
La Banque Centrale a procédé en mai 2011 à la publication d’une nouvelle circulaire organisant l’ensemble des établissements de crédit de la place et décrivant un ensemble de règles de bonne gouvernance dans l’objectif d’asseoir une gestion saine et prudente qui assure la pérennité de ses établissements de crédit.
Ces mesures concernent le mode de fonctionnement et la composition des conseils d’administration des banques de manière à préserver les intérêts des actionnaires, y compris les actionnaires minoritaires et les personnes physiques, des créanciers et également ceux des déposants.
De même, lesdites règles de bonne gouvernance visent à instaurer le principe de la séparation entre la fonction de direction et celle de contrôle au sein des banques et ce, en imposant de n’avoir, au plus, qu’un seul membre dirigeant qui siège au sein du conseil d’administration.
Egalement, les mesures prises ont pour objectif la mise en œuvre des pratiques de la gestion prudentielle au sein des banques et le développement de l’appréciation des risques. Aussi, l’objectif d’assurer une politique de communication adéquate via un dispositif de diffusion d’informations fiables et pertinentes sur les aspects significatifs de l’activité des établissements de crédit, a été au cœur des règles de bonne gouvernance instaurées par la Banque Centrale de Tunisie
3. Gouvernance au niveau de la politique monétaire et portée de l’indépendance de la Banque Centrale
Le succès d’une politique monétaire préconisée par les banques centrales dépend généralement de cinq principes fondamentaux :
1) Assurer la stabilité des prix comme objectif ultime de la politique monétaire;
2) éviter le problème d’incohérence temporelle ;
3) rendre la politique monétaire plus prospective ;
4) veiller à ce que les banques centrales soient plus responsables vis-à-vis du public;
5) coordonner étroitement les politiques fiscales et monétaires du pays.
Cependant, pour atteindre ces objectifs, les banques centrales devraient suivre une bonne gouvernance, tant au niveau interne et qu’externe :
1. La gouvernance interne porte sur l’organisation administrative, les procédures d’élaboration de la décision, l’articulation entre les différentes directions, le suivi et l’évaluation de la politique monétaire.
2. La gouvernance externe porte sur les modalités de la relation de la Banque Centrale avec son environnement extérieur. Elle est basée essentiellement sur trois critères :
- La responsabilité qui consiste à ce que la Banque Centrale soit soumise aux contrôles des autorités publiques telle que le parlement et aussi du public.
- La transparence qui est définie comme l’absence d’asymétrie d’information entre les décideurs et le public. Elle signifie que la Banque Centrale fournit au grand public, sans discrimination, toutes les informations nécessaires concernant sa stratégie, ses objectifs, ses analyses et ses décisions de politique monétaire.
- La transparence de la Banque Centrale renferme plusieurs avantages et elle permet notamment de :
- Réduire l’incertitude autour de la politique monétaire, du taux d’intérêt et du taux d’inflation.
- Rendre les actions de la Banque Centrale plus crédibles et plus accessibles au public, ce qui renforce le soutien à la politique monétaire adoptée.
- Promouvoir la stabilité des prix, qui permet d’augmenter davantage la croissance économique à long-terme.
- • L’indépendance de la Banque Centrale qui est justifiée d’un point de vue théorique comme l’a montré l’économiste Rogoff (1985) comme une solution à un problème d’incohérence temporelle et à un manque de crédibilité de la politique monétaire. La Banque Centrale doit certes accomplir un mandat explicite de poursuite de la stabilité des prix qui lui est déléguée par le pouvoir politique, mais elle doit éviter les dérives de mener une politique monétaire qui répond aux pressions politiques de court terme.
Naturellement, les principes fondamentaux des sociétés démocratiques sont tout à fait compatibles avec une Banque Centrale indépendante qui exerce librement son instrument de politique économique et qui accomplit un mandat qui lui est conféré par le pouvoir politique.
Notons aussi que l’analyse empirique à ce propos démontre un mouvement général de renforcement de l’indépendance des banques centrales au niveau des pays en développement. De même, les différents indices de mesure de l’indépendance des banques centrales élaborés par plusieurs économistes montrent qu’ils sont en train de progresser à un rythme comparable à celui des pays développés .
Toutefois, il est à signaler que l’indépendance de la Banque Centrale ne signifie pas qu’elle soit totalement libre sans aucune responsabilisation, mais au contraire, l’indépendance de la Banque Centrale est associée avec la prise de mesures de responsabilisation et de transparence y compris les dispositions de la supervision financière.
La Tunisie n’a pas tardé à prendre de bonnes initiatives dans l’objectif de réadapter son cadre législatif et d’améliorer sa gouvernance interne et externe.
Concernant la gouvernance externe, l’Assemblée Constituante a consolidé le statut d’indépendance de la BCT, ce qui a conforté la confiance des opérateurs économiques nationaux, des marchés financiers internationaux et des agences internationales de notation (les notations sont toujours maintenues).
Pendant la dernière année, la BCT a aussi réformé et renforcé le rôle de son conseil d’administration
En outre, pour assurer la transparence, la BCT continue à publier plusieurs documents, à organiser des séminaires ouverts à tous les chercheurs, tant à l’intérieur de la banque qu’à l’extérieur.
La BCT considère qu’il est important de mener une politique de communication ouverte et efficace avec le public (en particulier les rapports avec les médias et la presse).
A cet égard, signalons que la Banque Centrale publie à l’issue de chaque réunion de son Conseil d’Administration un communiqué de presse dans lequel elle expose le déroulement des discussions ainsi que les décisions prises en matière de politique monétaire. Egalement, elle met à la disposition du Public plusieurs publications.
4. Gouvernance au niveau du marché financier
L’importance du secteur financier en matière de financement d’une croissance saine, soutenue et durable, mobilisant efficacement l’épargne nationale nous invite à être plus vigilants quant aux choix des meilleures pratiques en matière de gouvernance.
Je crois fermement que la bonne gouvernance au niveau des institutions financières est un levier indispensable pour la croissance économique de notre pays.
La consolidation de la confiance dans le marché financier à travers ses différentes composantes passe inévitablement par l’amélioration de notre régulation financière appelée elle-même à se hisser au niveau des règles requises de transparence et de reddition.
Ainsi, tous les régulateurs et tous les organes de supervision du secteur financier sont invités à consolider leur coopération et ne doivent jamais se considérer exempts des obligations de bonne gouvernance.
Donner l’exemple, nous invite à nous imposer les règles les plus strictes en matière de transparence et de communication avec la communauté financière et avec un public de plus en plus avide d’avoir une information de qualité pouvant réconforter sa confiance dans les établissements financiers et l’orienter en matière d’épargne et d’investissement.
Conclusion
J’aimerai à cette occasion affirmer de nouveau que l’Institut d’émission est pleinement déterminé dans sa réforme et modernisation de la conduite de la politique monétaire et la mise à niveau du système bancaire par la consolidation de ses ressources financières, la réforme de sa gouvernance et le renforcement de ses capacités de gestion et d’analyse des risques, de manière à jouer d’une manière efficace son rôle de financement de l’économie.
Avant de finir, je voudrais remercier de nouveau les initiateurs de cette manifestation pour avoir réuni ce panel d’éminents experts nationaux et internationaux dont la contribution à la réflexion sur la question de la gouvernance du système financier permettra sans doute de tracer les contours d’un modèle de gouvernance capable de renforcer le rôle du secteur financier au financement du développement.