Opinions - 10.02.2012

A ne vouloir toucher à rien, on va droit dans le mur !

On savait l’économie tunisienne réfractaire à toute approche statistique, tant la batterie d’indicateurs mise au point par l’INS ne reflétait que très imparfaitement les réalités socio-économiques du pays : économie informelle, commerce illicite, évasion fiscale. Pire et depuis la révolution, l’argument statistique ne faisait plus autorité, tant il avait était manipulé, et continuait à être un instrument « suspect », d’un Etat qui tentait toujours de s’en servir comme arme suprême de preuve.

Au-delà de la suspicion plus que légitime, reconnaissons tout de même que le champ du commerce extérieur, extraversion de notre modèle oblige, est relativement bien couvert.

Le déficit de la balance commerciale en fin 2011 aurait presque doublé, passant de 559,3 MDT à 1009,3 MDT, selon le vénéré INS, chiffres en moyenne mensuelle glissante et quelque peu en trompe l’oeil. La cause en serait une augmentation spectaculaire des importations de l’ordre de 21%, à 2785 MDT face à une croissance atone des exportations de 2,6%, à 1776,3 MDT. En clair, le taux de couverture aurait perdu 11,8 points le faisant passer de 75,6% à 63,8%.

On savait notre commerce extérieur structurellement déficitaire, et qui une fois passé au filtre des invisibles (autres décaissements –encaissements), n’était couvert que par des apports d’argent frais extérieur (endettement et assimilés). Equilibre de la balance des paiements oblige. Rien de nouveau ! Pas tout à fait. Quelques remarques s’imposent tout de même.

Notons d’abord que certaines exportations manquent à l'appel suite aux perturbations de la production des deux filières du pétrole et des phosphates, de manière sensiblement égale. L’ineffable incurie du top-management de ces activités toujours et encore ; alors que les prix internationaux de leurs produits ne cessent d’augmenter !
Fait notable, Insistons malgré tout, -et a contrario  de la perception de l’opinion publique et des autorités-, la machine productive exportatrice ne s’est jamais arrêtée. Mieux, elle enregistre quelques succès d’estime : produits agricoles et agroalimentaires + 42%, mécaniques et électriques + 33%, textiles et cuir +17%, autres + 30%.

De quoi faire pâlir de honte ces thuriféraires de l’ordre et de la stabilité. Une grave menace pesait sur nos têtes entendions nous ; celle du chaos ! Qui disait que l’appareil productif était paralysé par des trublions. Oubli de la mémoire ?

La très mauvaise surprise vient pour ceux qui continuent à ne pas vouloir voir ce qui pourtant saute aux yeux, de la frénésie et la boulimie de consommation d’une fraction respectable de notre population, et dont, il faut bien le dire aussi une large partie d’entre elle, qui crie au loup à l’endroit de grévistes et des manifestants pour leurs droits !

+35% de biens de consommation courante !!! Oui vous avez bien lu. La crise, avons-nous entendu toute l’année ! Certes mais pour qui ? Ce que nos statisticiens se gardent bien de nous dire, sauf à faire l’effort d’entrer par le détail de la nomenclature, c’est précisément cette appétence incontrôlée de produits dévoreurs de devises. Plus de 1000 MDT pour les seules  « voitures particulières de tourisme », près de 500 MDT de pièces détachées. On comprend vite pourquoi la BEI tient tellement à nous « aider » pour construire des autoroutes.

Mais tenez vous bien, car vous n’êtes pas au bout de toutes ces « surprises » : Nos chers compatriotes consomment pas moins de 300M DT de produits textiles de marque, de 100 MDT d’accessoires (collants, chaussettes, 2 MDT de gants),  50 MDT de produits de beauté, de maquillage et parfums, 30 MDT de préparations capillaires…et même pour un montant identique en jeux de sociétés (golf, billards, bowling). Arrêtons là cet inventaire à la Prévert.

Populiste, le propos qui consisterait à demander un peu plus de tempérance dans ce qui ressemble fort et au bout du compte à un consumérisme forcené, et qui traduit, à s’y méprendre, les symptômes d’un mal développement, pour ne pas dire un mal vivre.

Il n’y a, bien entendu, pas lieu ici de faire le procès d’un mode de consommation (pas même de ces produits–Kleenex) dont les tenants et les aboutissants sont bien complexes qu’ils n’apparaissent à première vue.
La stigmatisation ou la culpabilisation des couches sociales disposant des ressources d’accès à ces produits importés ne sont nécessaires. Mais voilà, les dures lois, le plus souvent souterraines, de l’économie se font sentir…

Que conviendrait-il de faire à court terme en attendant de nous interroger sur la façon de parvenir à un mode de production et de consommation plus viable et plus équitable.

Réfreiner pour ceux qui le peuvent leurs appétits, peu conscients qu’ils sont de participer à cette économie, à cette santé, à cette éducation à deux vitesses.

Tout l’art de la politique réside là. Concilier des inconciliables. En lieu de cela, les nouveaux venus au gouvernement font mine de s’être emparé des demandes sociales et des objectifs de la révolution, tout en ne touchant à rien. Rassurer tel semble être leur seule ligne de conduite du moment. Attentisme. Des détails, tout cela… entendons nous ici et là.

Ni l’imagination, ni la volonté, ni l’action ne semblent être au pouvoir. Tout juste une fuite en avant comme savait si bien le faire les politiques de l’ancien régime. Qu’à cela ne tienne, il faut trouver deux à trois milliards pour équilibrer les comptes de la nation. Un jeu d’enfant !!!!

Les signaux manquent. Le modèle n’est pas uniquement malade de sa corruption.

Ne serait-il pas opportun d’appeler à une « austérité vertueuse » qui renouerait un tant soit peu avec l’abstinence, la frugalité et la sobriété des premières années de l’indépendance.

Hérésie ou cauchemar pour beaucoup, possible voie pour d’autres ! Nous en sommes là.

Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement
 

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