Président Ben Jaafar, laissez tous les élus s'exprimer!
Les vifs échanges entre Maya Jribi et le Dr Mustapha Ben Jaafar, ce jeudi, matin, à l’ouverture du débat avec le gouvernement, à l’Assemblée nationale constituante, ne peuvent que surprendre les Tunisiens. D’un côté, le président de l’ANC s’attachait à chronométrer le temps de parole des élus, en le limitant par groupe selon le nombre de siège, et de l’autre, une volonté de l’opposition déterminée à « interagir avec le gouvernement, dialoguer et construire, surtout dans une situation aussi exceptionnelle que vit actuellement le pays ». Une nouvelle occasion manquée d'engager un vrai débat.
Convoquée à 10 heures du matin, la séance plénière n’a pu commencer que près de deux heures après, en raison d’une défaillance technique du système audio. Tous s’attendaient à la présence du chef du gouvernement Hamadi Jebali dont l’absence a été fortement regrettée même si pas moins de cinq ministres et deux secrétaires d’Etat étaient présents (Ali Larayedh, Mohamed Ben Salem, Rafik Abdessalem, Khalil Zaouia et Abderrzak Kilani, ainsi que Abdallah Triki et Said Mechichi). Un sixième ministre, le Dr Abdellatif Mekki a préféré occuper son siège d’élu.
Invoquant un point d’ordre, Maya Jribi a d’emblée pris la parole pour demander la révision de la décision prise la veille par le bureau de l’Assemblée de limiter le temps de parole, estimant qu’une minute par élu est insuffisante. Coupée nerveusement par le président Ben Jaafar qui récusait la question d’une minute, elle a essayé de poursuivre son intervention, d’abord sur un ton très positif quant à « l’interaction constructive avec le gouvernement », puis avec indignation. « C’est une pression que vous exercez sur l’opposition et son droit à l’expression, une pratique que nous refusons, nous avons besoin de plus de temps pour débattre et nous vous faisons assumer la pleine responsabilité de votre conduite. Tant que c’est ainsi, nous ne pouvons pas continuer à siéger lors de cette séance et nous nous retirons ».
Effectivement, Maya se lève, suivie par les membres du groupe démocratique et d'autres élus (65 au total), dans un grand brouhaha. Les représentants d’autres groupes, notamment Al Aridha, essayent de trouver un compromis auprès du président de l’ANC qui demeure insensible à leurs appels. « C’est de la désinformation », tonne t-il. Le règlement intérieur n’est pas un torchon. Le bureau de l’assemblée a convenu de consacrer deux séances à ce débat général, fixant une heure d’introduction au gouvernement et une deuxième heure pour ses réponses, et trois heures et demie à quatre heures aux représentants des groupes et les non-inscrits. Aujourd’hui, ceux qui se plaignent de la dictature de la majorité veulent nous imposer la dictature de la minorité. A chaque groupe, nous avons accordé un minimum de 15 minutes qu’il peut gérer à sa convenance. Mais, je vois que certains s’intéressent plus au tapage qu’au contenu. Quitter la salle est contraire à la volonté populaire car le peuple a élu ses représentants pour faire entendre sa voix et non pour se soustraire au débat ». De l’huile sur le feu, inutilement. Maya et ses coéquipiers encore plus nombreux sont déjà rassemblés dans le grand hall, cueillis par les médias.
La première vice-présidente de l’Assemblée, Mehrezia Laabidi quitte le podium pour aller dans le hall. Au micro d’une station radio, elle se laisse aller, contrairement à son ton habituellement mesuré, à qualifier la sortie des contestataires de «pièce de théâtre, un show», mais finira par regretter ce dérapage linguistique.
Les demandes de points d’ordre se multiplient. Un élu, sortant le petit livret du règlement intérieur tend la perche au président en lui rappelant que l’article 85 lui octroie le plein droit de prolonger le temps de parole s’il le juge utile. Il ne sera que courtoisement entendu, mais pas écouté.Endossant le statut de « sage parmi les sages », Khemaies Ksila, dissident d’Ettakatol, appelle à la raison, invitant le Dr Ben Jaafar, « dans l’intérêt national », de suspendre la séance pour permettre de renouer le dialogue et faire revenir les sortants. Il était 12H45. Il n'était pas trop tard pour bien faire, surtout à l’approche de l’heure du déjeuner et de la prière. Intraitable, le président de l’ANC persiste dans sa décision. « S’ils avaient une volonté de dialogue, ils se seraient pas comportés de la sorte. J’aurais d’ailleurs souhaité que cet effort déployé par Khemaies Ksila soit consacré à convaincre les élus de rester. Maintenant, le quorum est réalisé, la majorité des élus est présente et nous ne pouvons nous prêter à un jeu à des fins de médisance et d’auto-médiatisation. »
Quel dommage ! Qu’aurait coûté un temps de parole plus large accordé aux élus de la nation, en ces temps de tension et d’incertitude. Sur les bancs du gouvernement, on sentait la gêne. Sans l’exprimer, les ministres auraient bien aimé débattre avec tous les élus. Ils se contenteront de leur propre majorité. Ce sera un simulacre de débat, univoque et sans relief.