Success Story - 03.03.2012

Nadia Chaabane : L'universitaire qui quitte Paris pour s'investir dans la Constituante

La courte trêve accordée en février aux élus de l’Assemblée nationale constituante, Nadia Chaabane n’en a pas profité pour se rendre parmi les siens en France ou dans sa ville natale de Dar Chaabène El Fehri, à Nabeul. Elle l’a consacrée au bassin minier, en allant à Gafsa et dans les mines, écouter les travailleurs et les chômeurs, sonder leurs préoccupations et comprendre leurs revendications. Militante irréductible issue de l’immigration tunisienne, élue du Pôle démocratique moderniste sur la liste de France1, cette enseignante universitaire spécialisée en sciences du langage n’a pas hésité à abandonner son poste d’enseignante pour se consacrer à la Constituante, son grand combat, comme elle le souligne. A 46 ans, son parcours, jalonné d’actions militantes en France, mais aussi en Afghanistan, comme au Congo démocratique, est fait de luttes contre l’apartheid, pour les droits de la Femme, la démocratie, la citoyenneté et toutes les nobles causes. Son engagement en faveur du PDM, c’est pour contribuer à un élan qui se veut une alternative à construire au-delà du RDV électoral. Sa mission au sein de l’ANC, c’est non seulement participer utilement à la rédaction d’une Constitution conforme aux idéaux de la révolution et répondant aux aspirations des Tunisiens, mais aussi y faire exprimer la voix des Tunisiens résidents à l’étranger. Interview.

Revenons sur votre parcours

Née le 18 janvier 1965, j’ai grandi à Nabeul où j’ai fait mes études primaires et secondaires. De père tunisien et de mère française qui a pris la nationalité tunisienne dans les années 70. Mes parents étaient, tous deux, enseignants. J’ai obtenu mon bac au Lycée secondaire de Nabeul et je suis partie en France pour faire des études de lettres modernes. J’ai obtenu mon DEUG à Dijon, ma Licence en sciences du langage à Besançon et mon Doctorat en sciences du langage à l’université de Jussieu à Paris. J’ai démissionné de mon travail comme enseignante dans un institut supérieur pour m’engager aux élections et venir en Tunisie participer à l’Assemblée constituante. En arrivant en France, j’avais rejoint un comité anti-apartheid et le mouvement étudiant. En 87 je me suis installée à Paris et j’ai rejoint l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET).

Et du coup, vous avez été très active au sein de la société civile ?

Je suis engagée dans différentes associations de l’immigration depuis la fin des années 80, notamment l’ATF (Association des Tunisiens en France) où j’ai fait du bénévolat (enseignement de la langue arabe à des enfants, cours de français pour adultes, organisation de débats et colloques, exposition,...), aujourd’hui je suis secrétaire générale de la fédération. L’ATF est une association fondée en 1981 par des opposants tunisiens : syndicalistes, militants des droits humains et militants politiques, dont l’objectif est de défendre l’égalité des droits, la citoyenneté et la démocratie…). Au sein de l’association, nous avons toujours veillé à exprimer notre soutien aux luttes pour la démocratie, les droits et libertés individuels et collectifs en Tunisie, à les relayer et à participer à différents collectifs de soutien aux différentes formes de résistance qui s’exprimaient en Tunisie et dont les militants subissaient la répression sous toutes ses formes (tortures, arrestations, intimidation, et toutes les formes d’atteinte aux droits humains,...)
J’ai participé et milité dans différents collectifs de solidarité et, notamment, le Collectif contre la guerre en Irak et dans différents mouvements de soutien au peuple palestinien …

La femme aussi occupe une place particulière dans votre action

J’ai milité dans différents collectifs de lutte pour les droits des immigrés (contre le racisme et contre les discriminations), pour le droit de vote des immigrés (“une résidente, une voix”, votation citoyenne...), pour l’autonomie juridiques des femmes migrantes, pour les droits des femmes et contre la discrimination et le sexisme…. Je fais partie du Collectif national pour le droit des femmes (CNDF) depuis la fin des années 90, j’ai également participé au collectif «20 ans Barakat » en 2004 (en solidarité avec les femmes algériennes), pour l’autonomie juridique des femmes migrantes et contre les violences à partir de 2000. J’ai par ailleurs participé à un travail sur la mémoire des luttes des femmes immigrées initié par l’ATF, «Traces, mémoires, histoire des mouvements de femmes de l’immigration en France à partir des années 70».

Ce projet avait pour objet de mettre en lumière la participation des femmes migrantes et leur implication dans les luttes pour les droits et libertés en France et de les réhabiliter dans la mémoire collective. Il a débouché sur une exposition et un répertoire qui inscrivent les femmes migrantes comme actrices dans les luttes pour les droits et l’égalité. J’ai également organisé une série de séminaires et de débats sur les droits des femmes au Maghreb dans le cadre de mon activité à l’ATF et coordonné un ouvrage portant sur les luttes des femmes « Histoires Croisées des Luttes des

Femmes Maghrébines pour les droits » en 2007.
Mon engagement pour la défense des droits des femmes m’a menée en Afghanistan avec l’association Négar pour le soutien aux femmes d’Afghanistan en 2002 (la scolarisation des filles, la Constitution afghane et les droits des femmes…), mais aussi en RD Congo, avec l’association Lysistrata qui apporte son soutien aux femmes victimes de viol dans le Nord Kivu (mise en place de projet d’insertion économique, ...). J’ai à mon actif plusieurs contributions, articles et publications dans la presse et dans des ouvrages collectifs autour de ces sujets et la co-écriture d’un livre pour enfants «Comme Vuyazi» dans le cadre de l’éducation à l’égalité.

Vous avez soutenu les candidats d’Ettajdid ?

Tout en n’étant pas enrôlée dans un parti, je me suis investie depuis plus de vingt ans avec mes amis et ma famille de pensée, la gauche progressiste démocratique, dans la lutte pour les libertés et la démocratie en Tunisie. J’ai ainsi participé en 2004 à l’Initiative démocratique et soutenu activement la candidature de Mohamed-Ali Halouani dont j’étais le porte-parole à Paris, comme j’ai animé le comité de soutien du candidat Ahmed Brahim en 2009. Plusieurs articles portant sur la situation en Tunisie : sur le choix du nucléaire, la censure, la charte arabe des droits de l’Homme, les inégalités à l’encontre des femmes tunisiennes, etc.

Pourquoi vous vous êtes engagée au sein du Pôle ?

Pour moi, le Pôle est d’abord une démarche qui se veut unitaire et rassembleuse. Il regroupe des Tunisiennes et des Tunisiens de sensibilités politiques diverses, membres de partis et indépendants mais tous conscients du moment historique que notre pays traverse.

Mus par une volonté démocratique et progressiste, et résolus à agir ensemble, nous voulons construire une deuxième République à la hauteur de la Révolution tunisienne. Pour nous tous, c’est aussi un élan qui se veut une alternative à construire au-delà du rendez-vous électoral. Parmi les questions fondamentales qui font l’identité du Pôle, il y a notre attachement à la défense des libertés individuelles et collectives, la lutte contre les inégalités sociales et régionales, la pleine égalité entre femmes et hommes et la séparation entre les sphères politique et religieuse.

Le Pôle puise dans un capital militant accumulé par les luttes multiformes menées par des générations successives de Tunisiens pour l’indépendance, la modernité, le progrès et la démocratie.
Il vise le changement démocratique par la voie de la participation active des citoyennes et des citoyens, seule à même d’influer sur le cours de l’histoire.

La création du Pôle est un atout mais ce ne serait qu’un instrument. La finalité, c’est la démocratisation de notre pays.

Quel rôle comptez-vous jouer à présent au sein de l’Assemblée, en Tunisie et en France ?

Les objectifs ne manquent pas. J’ai en fait une série de priorités dont au moins trois :
1 - Relever les défis de la révolution et rédiger une Constitution qui soit à la hauteur de l’enjeu. Une Constitution qui consacre la démocratie et le pluralisme dans notre pays et qui ne trahisse pas ceux et celles qui ont offert leur vie. Liberté et dignité pour tous, ce sont des mots qui ont été martelés pendant des semaines, des mots qu’il nous faut traduire en inscrivant dans le marbre de notre future Constitution les droits fondamentaux et les moyens de les mettre en oeuvre, les libertés et l’égalité citoyenne et les garanties de leur respect effectif par l’Etat.

2 - L’instauration d’un régime démocratique fondé sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs, garantissant l’indépendance de la justice, la liberté de la presse et de l’information, la liberté de pensée et de création ainsi que l’alternance pacifique au pouvoir. Il me semble fondamental de définir des règles permettant à tous les citoyens de vivre ensemble, quels que soient leurs horizons idéologiques. Cette Constitution devrait marquer la rupture définitive avec le passé.

3 - Partie intégrante de notre peuple, les Tunisiens à l’étranger doivent avoir une égalité de traitement en tant que citoyens et pouvoir :

• participer à toutes les élections nationales en étant électeurs et éligibles.
• disposer (dans les pays à forte communauté tunisienne) d’instances consultatives à compétence transversale qui leur permettent d’être représentées et d’être partie prenante et participer au développement de la Tunisie.
• Avoir un institut ou un centre culturel à même de représenter la culture tunisienne dans sa diversité et créativité de Tunisie et de l’étranger.
• Avoir une politique nationale d’enseignement de la langue arabe qui s’appuie sur les compétences et les expériences des Tunisiens à l’étranger tout en étant adapté à la réalité qu’ils vivent.
Cultivons notre singularité jusqu’au bout et restons ouverts sur le monde et ses richesses. Nous refusons toutes sortes d’enfermement et d’enclavement. La Tunisie a été marquée pendant plus de 50 ans par le signe de l’unicité : parti unique, pensée unique, expression unique. Ce cauchemar est enterré à tout jamais. Seul notre peuple restera uni dans sa diversité et son pluralisme. Notre liberté chèrement acquise, nous ne la braderons pas, elle est non négociable.
 

Tags : constituante