Nadia Chaabane : L'universitaire qui quitte Paris pour s'investir dans la Constituante
La courte trêve accordée en février aux élus de l’Assemblée nationale constituante, Nadia Chaabane n’en a pas profité pour se rendre parmi les siens en France ou dans sa ville natale de Dar Chaabène El Fehri, à Nabeul. Elle l’a consacrée au bassin minier, en allant à Gafsa et dans les mines, écouter les travailleurs et les chômeurs, sonder leurs préoccupations et comprendre leurs revendications. Militante irréductible issue de l’immigration tunisienne, élue du Pôle démocratique moderniste sur la liste de France1, cette enseignante universitaire spécialisée en sciences du langage n’a pas hésité à abandonner son poste d’enseignante pour se consacrer à la Constituante, son grand combat, comme elle le souligne. A 46 ans, son parcours, jalonné d’actions militantes en France, mais aussi en Afghanistan, comme au Congo démocratique, est fait de luttes contre l’apartheid, pour les droits de la Femme, la démocratie, la citoyenneté et toutes les nobles causes. Son engagement en faveur du PDM, c’est pour contribuer à un élan qui se veut une alternative à construire au-delà du RDV électoral. Sa mission au sein de l’ANC, c’est non seulement participer utilement à la rédaction d’une Constitution conforme aux idéaux de la révolution et répondant aux aspirations des Tunisiens, mais aussi y faire exprimer la voix des Tunisiens résidents à l’étranger. Interview.
Revenons sur votre parcours
  
  Née le 18 janvier 1965, j’ai grandi à Nabeul où j’ai fait mes études  primaires et secondaires. De père tunisien et de mère française qui a  pris la nationalité tunisienne dans les années 70. Mes parents étaient,  tous deux, enseignants. J’ai obtenu mon bac au Lycée secondaire de  Nabeul et je suis partie en France pour faire des études de lettres  modernes. J’ai obtenu mon DEUG à Dijon, ma Licence en sciences du  langage à Besançon et mon Doctorat en sciences du langage à l’université  de Jussieu à Paris. J’ai démissionné de mon travail comme enseignante  dans un institut supérieur pour m’engager aux élections et venir en  Tunisie participer à l’Assemblée constituante. En arrivant en France,  j’avais rejoint un comité anti-apartheid et le mouvement étudiant. En 87  je me suis installée à Paris et j’ai rejoint l’Union générale des  étudiants tunisiens (UGET). 
  
  Et du coup, vous avez été très active au sein de la société civile ?
  
   Je  suis engagée dans différentes associations de l’immigration depuis la  fin des années 80, notamment l’ATF (Association des Tunisiens en France)  où j’ai fait du bénévolat (enseignement de la langue arabe à des  enfants, cours de français pour adultes, organisation de débats et  colloques, exposition,...), aujourd’hui je suis secrétaire générale de  la fédération. L’ATF est une association fondée en 1981 par des  opposants tunisiens : syndicalistes, militants des droits humains et  militants politiques, dont l’objectif est de défendre l’égalité des  droits, la citoyenneté et la démocratie…). Au sein de l’association,  nous avons toujours veillé à exprimer notre soutien aux luttes pour la  démocratie, les droits et libertés individuels et collectifs en Tunisie,  à les relayer et à participer à différents collectifs de soutien aux  différentes formes de résistance qui s’exprimaient en Tunisie et dont  les militants subissaient la répression sous toutes ses formes  (tortures, arrestations, intimidation, et toutes les formes d’atteinte  aux droits humains,...)
Je  suis engagée dans différentes associations de l’immigration depuis la  fin des années 80, notamment l’ATF (Association des Tunisiens en France)  où j’ai fait du bénévolat (enseignement de la langue arabe à des  enfants, cours de français pour adultes, organisation de débats et  colloques, exposition,...), aujourd’hui je suis secrétaire générale de  la fédération. L’ATF est une association fondée en 1981 par des  opposants tunisiens : syndicalistes, militants des droits humains et  militants politiques, dont l’objectif est de défendre l’égalité des  droits, la citoyenneté et la démocratie…). Au sein de l’association,  nous avons toujours veillé à exprimer notre soutien aux luttes pour la  démocratie, les droits et libertés individuels et collectifs en Tunisie,  à les relayer et à participer à différents collectifs de soutien aux  différentes formes de résistance qui s’exprimaient en Tunisie et dont  les militants subissaient la répression sous toutes ses formes  (tortures, arrestations, intimidation, et toutes les formes d’atteinte  aux droits humains,...)
  J’ai participé et milité dans différents collectifs de solidarité et,  notamment, le Collectif contre la guerre en Irak et dans différents  mouvements de soutien au peuple palestinien …
  
  La femme aussi occupe une place particulière dans votre action
  
  .jpg) J’ai  milité dans différents collectifs de lutte pour les droits des immigrés  (contre le racisme et contre les discriminations), pour le droit de  vote des immigrés (“une résidente, une voix”, votation citoyenne...),  pour l’autonomie juridiques des femmes migrantes, pour les droits des  femmes et contre la discrimination et le sexisme…. Je fais partie du  Collectif national pour le droit des femmes (CNDF) depuis la fin des  années 90, j’ai également participé au collectif «20 ans Barakat » en  2004 (en solidarité avec les femmes algériennes), pour l’autonomie  juridique des femmes migrantes et contre les violences à partir de 2000.  J’ai par ailleurs participé à un travail sur la mémoire des luttes des  femmes immigrées initié par l’ATF, «Traces, mémoires, histoire des  mouvements de femmes de l’immigration en France à partir des années 70».
J’ai  milité dans différents collectifs de lutte pour les droits des immigrés  (contre le racisme et contre les discriminations), pour le droit de  vote des immigrés (“une résidente, une voix”, votation citoyenne...),  pour l’autonomie juridiques des femmes migrantes, pour les droits des  femmes et contre la discrimination et le sexisme…. Je fais partie du  Collectif national pour le droit des femmes (CNDF) depuis la fin des  années 90, j’ai également participé au collectif «20 ans Barakat » en  2004 (en solidarité avec les femmes algériennes), pour l’autonomie  juridique des femmes migrantes et contre les violences à partir de 2000.  J’ai par ailleurs participé à un travail sur la mémoire des luttes des  femmes immigrées initié par l’ATF, «Traces, mémoires, histoire des  mouvements de femmes de l’immigration en France à partir des années 70».  
  
  Ce projet avait pour objet de mettre en lumière la participation des  femmes migrantes et leur implication dans les luttes pour les droits et  libertés en France et de les réhabiliter dans la mémoire collective. Il a  débouché sur une exposition et un répertoire qui inscrivent les femmes  migrantes comme actrices dans les luttes pour les droits et l’égalité.  J’ai également organisé une série de séminaires et de débats sur les  droits des femmes au Maghreb dans le cadre de mon activité à l’ATF et  coordonné un ouvrage portant sur les luttes des femmes « Histoires  Croisées des Luttes des 
  
  Femmes Maghrébines pour les droits » en 2007.
  Mon engagement pour la défense des droits des femmes m’a menée en  Afghanistan avec l’association Négar pour le soutien aux femmes  d’Afghanistan en 2002 (la scolarisation des filles, la Constitution  afghane et les droits des femmes…), mais aussi en RD Congo, avec  l’association Lysistrata qui apporte son soutien aux femmes victimes de  viol dans le Nord Kivu (mise en place de projet d’insertion économique,  ...). J’ai à mon actif plusieurs contributions, articles et publications  dans la presse et dans des ouvrages collectifs autour de ces sujets et  la co-écriture d’un livre pour enfants «Comme Vuyazi» dans le cadre de  l’éducation à l’égalité.
  
  Vous avez soutenu les candidats d’Ettajdid ?
  
  Tout en n’étant pas enrôlée dans un parti, je me suis investie depuis  plus de vingt ans avec mes amis et ma famille de pensée, la gauche  progressiste démocratique, dans la lutte pour les libertés et la  démocratie en Tunisie. J’ai ainsi participé en 2004 à l’Initiative  démocratique et soutenu activement la candidature de Mohamed-Ali  Halouani dont j’étais le porte-parole à Paris, comme j’ai animé le  comité de soutien du candidat Ahmed Brahim en 2009. Plusieurs articles  portant sur la situation en Tunisie : sur le choix du nucléaire, la  censure, la charte arabe des droits de l’Homme, les inégalités à  l’encontre des femmes tunisiennes, etc.
  
  Pourquoi vous vous êtes engagée au sein du Pôle ? 
  
  Pour moi, le Pôle est d’abord une démarche qui se veut unitaire et  rassembleuse. Il regroupe des Tunisiennes et des Tunisiens de  sensibilités politiques diverses, membres de partis et indépendants mais  tous conscients du moment historique que notre pays traverse. 
  
  Mus par une volonté démocratique et progressiste, et résolus à agir  ensemble, nous voulons construire une deuxième République à la hauteur  de la Révolution tunisienne. Pour nous tous, c’est aussi un élan qui se  veut une alternative à construire au-delà du rendez-vous électoral.  Parmi les questions fondamentales qui font l’identité du Pôle, il y a  notre attachement à la défense des libertés individuelles et  collectives, la lutte contre les inégalités sociales et régionales, la  pleine égalité entre femmes et hommes et la séparation entre les sphères  politique et religieuse. 
  
  Le Pôle puise dans un capital militant accumulé par les luttes  multiformes menées par des générations successives de Tunisiens pour  l’indépendance, la modernité, le progrès et la démocratie. 
  Il vise le changement démocratique par la voie de la participation  active des citoyennes et des citoyens, seule à même d’influer sur le  cours de l’histoire. 
  
  La création du Pôle est un atout mais ce ne serait qu’un instrument. La finalité, c’est la démocratisation de notre pays.
  
  Quel rôle comptez-vous jouer à présent au sein de l’Assemblée, en Tunisie et en France ?
  
  Les objectifs ne manquent pas. J’ai en fait une série de priorités dont au moins trois :
  1 - Relever les défis de la révolution et rédiger une Constitution qui  soit à la hauteur de l’enjeu. Une Constitution qui consacre la  démocratie et le pluralisme dans notre pays et qui ne trahisse pas ceux  et celles qui ont offert leur vie. Liberté et dignité pour tous, ce sont  des mots qui ont été martelés pendant des semaines, des mots qu’il nous  faut traduire en inscrivant dans le marbre de notre future Constitution  les droits fondamentaux et les moyens de les mettre en oeuvre, les  libertés et l’égalité citoyenne et les garanties de leur respect  effectif par l’Etat.
  
  2 - L’instauration d’un régime démocratique fondé sur la séparation et  l’équilibre des pouvoirs, garantissant l’indépendance de la justice, la  liberté de la presse et de l’information, la liberté de pensée et de  création ainsi que l’alternance pacifique au pouvoir. Il me semble  fondamental de définir des règles permettant à tous les citoyens de  vivre ensemble, quels que soient leurs horizons idéologiques. Cette  Constitution devrait marquer la rupture définitive avec le passé.
  
  3 - Partie intégrante de notre peuple, les Tunisiens à l’étranger  doivent avoir une égalité de traitement en tant que citoyens et pouvoir :  
  
  • participer à toutes les élections nationales en étant électeurs et éligibles. 
  • disposer (dans les pays à forte communauté tunisienne) d’instances  consultatives à compétence transversale qui leur permettent d’être  représentées et d’être partie prenante et participer au développement de  la Tunisie.
  • Avoir un institut ou un centre culturel à même de représenter la  culture tunisienne dans sa diversité et créativité de Tunisie et de  l’étranger. 
  • Avoir une politique nationale d’enseignement de la langue arabe qui  s’appuie sur les compétences et les expériences des Tunisiens à  l’étranger tout en étant adapté à la réalité qu’ils vivent. 
  Cultivons notre singularité jusqu’au bout et restons ouverts sur le  monde et ses richesses. Nous refusons toutes sortes d’enfermement et  d’enclavement. La Tunisie a été marquée pendant plus de 50 ans par le  signe de l’unicité : parti unique, pensée unique, expression unique. Ce  cauchemar est enterré à tout jamais. Seul notre peuple restera uni dans  sa diversité et son pluralisme. Notre liberté chèrement acquise, nous ne  la braderons pas, elle est non négociable.