Y a-t-il des zones de non droit dans le pays ?
Après ce qui s’est passé aujourd’hui, mercredi 07 mars 2012, à la Manouba, la question que l’on ne peut plus éluder est de savoir s’il existe, maintenant, dans le pays, des zones de non droit, des sortes de no man’s land où les lois de la République ne s’appliquent plus. Il est, en effet, ahurissant et inadmissible qu’un groupuscule de salafistes en arrive à profaner le drapeau national, le remplacer à l’entrée d’une institution universitaire étatique par le fanion d’un parti religieux non reconnu et continuer, malgré cela de bénéficier d’une totale impunité ! Oser, au vu et au su de tout le monde, s’attaquer au symbole le plus sacré de la Nation sans qu’aucune force publique ne se précipite pour arrêter la main impie et sacrilège auteur de ce geste odieux est une insulte à tout le peuple tunisien ! Laisser encore en liberté le meneur de ce jeu sinistre, le sieur Bakhti, lui donner l’occasion de parader et lui offrir la parole sur El Watanya et sur les ondes des radios ne peut entrer dans le cadre de la liberté d’expression si chèrement acquise. Car, les ennemis de la liberté et dont la tunisianité est sujette à caution n’ont pas droit à davantage de publicité et devraient être, au contraire, boycottés interdits et d’antenne.
D’autre part, se contenter de la seule dénonciation de cet acte indigne et révoltant, comme l’a fait la Présidence de la République, est, manifestement, bien en-deçà des mesures qui s’imposent en une pareille et grave circonstance. De même, il est proprement hypocrite de reconnaître le caractère indécent de la conduite des éléments intégristes tout en rejetant sur le doyen de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités la responsabilité d’y assurer l’ordre en lui recommandant de filtrer l’accès à l’institution universitaire alors que celle-ci est complètement dépourvue du personnel habilité à le faire. Nos honorables ministres de l’Intérieur et de la Justice n’ont-ils pas le devoir, de leur côté, de diligenter des enquêtes avec la célérité remarquable que l’on a constatée récemment dans l’affaire de la photographie jugée scandaleuse du journal Ettounissia ? Quant à Ennahdha, elle tarde encore à prendre publiquement position et ne manquera sans doute pas de le faire, à son habitude, dans son langage jésuitique, si l’on ose dire, en cherchant surtout à ne pas mécontenter ses enfants naturels !
Si nous en sommes arrivés là, c’est précisément en raison de la coupable indifférence de nos gouvernants envers les ennemis de la démocratie. La passivité calculée et le laxisme excessif de MM. Marzouki, Jebali et Ben Jaffar, voire leur complaisance aveugle ainsi que leur indulgence mal placée pour ceux qui ont foulé aux pieds les institutions de l’Etat et piétiné leurs règlements n’ont dû être interprétés que comme des encouragements par les intéressés. Il s’avère nettement, aujourd’hui, qu’en raison de leur tacite complicité, la responsabilité des hommes au pouvoir dans la situation kafkaïenne que nous vivons n’est pas moins grande que celle des fascistes qui tentent désespérément d’imposer par la force leur volonté à la communauté scientifique. Si, dès le début de ce mouvement anarchique qui n’a cessé de semer le trouble à la Manouba depuis fin novembre, le dernier mot était resté à la loi, on aurait évité les humiliations et menaces de mort dont a fait l’objet le corps enseignant, les dégradations et occupations illégales de locaux, les perturbations de cours et d’examens et pour finir (?), la profanation des couleurs nationales !
Pour conclure, faudrait-il rappeler que le milieu universitaire et éducatif dans son ensemble n’est pas le seul, actuellement, à connaître régulièrement des troubles ? Les mosquées n’ont pas échappé, en effet, aux nouveaux vandales qui ne respectent rien et qui ont ainsi mis la main sur cinq cents lieux de prière environ, selon le journaliste Slaheddine Jourchi. Ils en ont changé manu militari les imams et y ont imposé leurs hommes. N’avons-nous pas appris mardi 6 mars que le ministre des Affaires religieuses s’est déplacé à Jendouba pour négocier avec les salafistes, tenter de les ramener à la raison et leur demander de respecter ces cadres de notre religion ? On ne peut que souhaiter bon courage à ce responsable politique qui, lui aussi, tergiverse au lieu de faire appliquer la loi…
A moins que tout cela n’entre dans cette vaste farce que l’on nous joue et qui consiste à nous faire patienter sous couvert de négocier et encore interminablement négocier avec ceux que M. Rached Ghanouchi désigne affectueusement par « nos enfants » et qui lui rappellent avec nostalgie sa jeunesse militante ! Mais n’assistons-nous pas, en réalité, à un lent grignotage de nos libertés, à une intrusion rampante du religieux dans nos espaces publics, bref, à une sournoise façon de faire main basse sur la Révolution du 14 janvier ! Nous sommes-nous déjà résignés à dire adieu à notre Tunisie rêvée, tout au long de cette année de tous les possibles, moderne, ouverte, tolérante, égalitaire et démocratique ?
Mohamed Ridha Bouguerra