Abdessattar Grissa
Le Pr Abdessattar Grissa, économiste, ancien directeur de l’Institut supérieur de gestion (ISG), vient de nous quitter, à l’âge de 82 ans. Hommage du Pr Mahmoud Triki, ancien directeur de l’ISG.
J’ai connu feu Abdessattar Grissa en tant que professeur quand j’étais directeur de l’Institut supérieur de gestion de Tunis. Il s’était toujours distingué par son franc parler et son attachement à ses principes, sa curiosité et son honnêteté intellectuelle, l’originalité, la pertinence et la profondeur de ses analyses, sa grande capacité d’établir les parallèles et à tirer des leçons entre les grands principes et le vécu de tous les jours, et sa grande capacité de simplifier les choses à ses auditeurs (étudiants, collègues et autres) pour faire passer son message.
Lors des journées de l’entreprise à Sousse organisées par l’IACE durant les années 1980 auxquelles les professeurs étaient invités et dispensés de payer les frais d’inscription au programme, un des dirigeants d’entreprises participant au programme lui a fait la remarque qu’il devait s’estimer heureux d’être présent sans avoir à payer les frais de participation. A cela, Abdessatar avait rétorqué que c’était à lui de s’estimer heureux, parce que sans les professeurs, il n’y aurait pas de journées de l’entreprise. A l’âge de soixante ans, il avait été mis à la retraite et avait continué à enseigner en tant que contractuel. Ce nouveau statut ne lui permettait pas de participer pleinement à la prise de décision. Il avait été tellement vexé qu’il était allé voir le ministre de l’Enseignement supérieur (feu Mohamed Charfi) pour lui présenter verbalement sa démission et lui signifier sa grande déception de se voir marginalisé au moment où il pouvant contribuer au mieux à l’enseignement supérieur. Avant de quitter le bureau du ministre, il lui avait fait signifier qu’ils ne pourront jamais faire du bon pain sans de la levure.
Feu Abdessattar aimait toujours rappeler qu’il était un «self made man». Il se vantait de rappeler qu’il était issu d’une famille modeste et qu’il était simple « berger de moutons». Il avait entamé ses études à l’âge de quinze ans. Puis, il était allé au Moyen-Orient pour effectuer ses études qu’il avait continuées aux USA où il s’était inscrit à la « Brown University» (Providence, Rhodes Island).
Cette prestigieuse université du Nord-Est des USA comptait parmi les meilleures universités du monde dans le domaine économique. Ayant fait ses études en arabe et en anglais, il n’avait jamais maîtrisé la langue française. Je me rappelle ses interventions lors des réunions du Conseil scientifique de l’ISG.
Chaque fois qu’il prenait la parole, tous les présents se moquaient de sa façon de communiquer en français. Feu Youssef Alouane, professeur et chef de département, se faisait un plaisir d’enregistrer et de compter le nombre de fautes de français commises par Abdessatar en une seule phrase. Malgré son handicap linguistique, il ne se faisait aucun complexe et continuait à développer ses idées avec ardeur et engagement, faisant fi des rires des présents.
Il avait le respect total de ses collègues et de ses étudiants. Le parcours de feu Abdessattar constitue une inspiration pour nos jeunes et nos gouvernants. Pour nos jeunes, il illustre que la voie au succès reste toujours ouverte à ceux qui ont des ambitions et la détermination à réussir.
Pour nos gouvernants, il illustre que notre système éducatif (à tous les niveaux) doit être flexible et permettre à tous les citoyens de tout âge de concrétiser leurs ambitions et aspirations.Abdessatar n’aurait jamais réalisé ses ambitions s’il était resté en Tunisie.
Mahmoud TRIKI
Ancien directeur de l’Institut supérieur de gestion de Tunis