News - 11.03.2012
Sadok Belaid, Fadhel Moussa, Mansour Moalla et Ahmed Ounaies analysent la cohérence du gouvernement de coalition
"L’incohérence du système politique, inévitable en période de révolution, se trouve aggravée de manière organique et fonctionnelle par le gouvernement de coalition", estime le Pr Sadok Belaid. "Cette incohérence qui génère et développe davantage d’incohérence et risque de se prolonger, fragilise le système et exige la révision de l’organisation provisoire des pouvoirs publics et la reconstitution du gouvernement". C'est ce qu'il a recommandé lors des IIIèmes Conférences de l’Association Tunisienne d’Etudes Politiques (ATEP), tenues samedi, sur le thème : « Gouvernement de coalition et enjeux politiques », en présence de Fadhel Moussa, Mansour Moalla et Ahmed Ounaies. Il a souligné un manque de cohérence dans la mise en place dès le départ du système gouvernemental, l’absence d’une équipe homogène et solidaire et la constitution en fait d’un rapprochement d’opportunité politique.
Selon le Pr Belaid, la Troïka s’avère être en fait un Quatuor loin de constituer cependant une addition harmonieuse des qualités individuelles exceptionnelles pour une œuvre d’ensemble comme c’est le cas dans une opéra. Ce Quatuor, dont il n’a pas nommément cité le quatrième membre, mais faisant sans doute allusion au chef d’Ennahda, Rached Ghannouchi, est, dit-il, «chahuté périodiquement et de manière imprévisible, par celui qui n’occupe pas le timbre de voix approprié». Il estime que «la distribution des fonctions et portefeuilles ainsi que la répartition des pouvoirs ont été à la base des tares de départ, cristallisant les incohérences qui ont été marquées en outre par l’absence de promesses constitutionnelles claires, chacun se limitant à de simples déclarations d’intentions».
Apportant son témoignage de membre de l’Assemblée nationale constituante, le doyen Fadhel Moussa a indiqué que la majorité n’est pas aussi compacte et homogène qu’on le pense, citant nombre de ses positions et ses votes.« Les travaux de l’Assemblée estime-t-il relèvent beaucoup plus des joutes que des débats en espérant que le travail en commissions, tant législatives que constitutionnelles, épouse plus de profondeur et de cohérence générale». Quant au rôle de l’opposition, il considère qu’il doit être celui de «la résistance contre toute tentative de domination, de défense des valeurs universelles et de refus du modèle constitutionnel et social inapproprié à la société tunisienne».
Invité à traiter les aspects économiques, l’ancien ministre Mansour Moalla a relevé qu’en passant du provisoire au transitoire, c’est l’incertitude qui perdure avec sa cohorte d’agitations inévitables lors de la série d’élections présidentielles, législatives et municipales projetées. Cette instabilité, nourrie par la tendance de chacun des trois présidents à vouloir présider er gouverner, ne favorise guère la solution des trois problèmes fondamentaux que sont l’emploi, le déficit du commerce extérieur et les disparités du développement régional. « Il faut que les Tunisiens deviennent plus raisonnables et trouvent les solutions pour gouverner ensemble, quitte à négliger l’essentiel, pour s’occuper du principal », recommande-t-il.
Abordant les relations extérieures, l’ambassadeur Ahmed Ounaies a observé "deux inflexions : l’option révolutionnaire et l’accent sur l’axe arabo islamique. L’orientation arabo-islamique était prévisible compte tenu de la base politique du gouvernement. Quant à l’option révolutionnaire, elle rompt la tradition diplomatique tunisienne… Dans la forme et dans le fond, l’option est lourde de conséquences dans la mesure où elle traduit le rejet des codes conventionnels et des disciplines éthiques qu’elles impliquent et dans la mesure où elle semble ignorer les leçons des dernières décennies : les politiques prétendues révolutionnaires ont fini dans l’impasse. En outre, dans le contexte particulier que nous traversons, rien ne justifie de soulever les récriminations du passé ni avec les partenaires occidentaux ni avec les voisins. Nos priorités sont ailleurs et il ne faut pas se tromper de bataille. Enfin, rien ne justifie des slogans anti-juifs : la politique de bravade est sans lendemain. Sur le fond, c’est le sens des priorités qui est à l’épreuve : le gouvernement est jugé sur la faculté de déterminer les priorités nationales. Ses actes répondent de sa perception des priorités. Or, à ce stade, l’opinion intérieure et extérieure constate une dispersion des initiatives : où sont les priorités ?"
«Peut-on parler d’ambiguïté de la diplomatie tunisienne ?» se demande l’ambassadeur Ounaies. « Observons, répond-il qu’il faut d’abord acquérir un crédit diplomatique. Plusieurs facteurs y contribuent : la clarté des objectifs, la confiance de l’opinion, la sécurité intérieure, le référentiel éthique et juridique. Pour le gouvernement Jebali, il s’agit d’abord de parler d’une seule voix, d’éviter la disparité et l’improvisation. Un travail d’évaluation préalable entre les membres de la nouvelle hiérarchie permet de définir les grands choix, de cerner les priorités et de s’y tenir. C’est alors que le discours politique devient cohérent et crédible ». Lire texte intégral
Dans son introduction aux IIIèmes Conférences, le président de l’APET, le Pr Hatem Mrad, avait rappelé que dès sa constitution, le gouvernement Jebali s’est aussitôt heurté à des difficultés diverses ; les unes liées aux séquelles de la révolution (sit-in, grèves, manifestations, impatience de la population …) ; d’autres liées aux multiples et divers problèmes économiques et sociaux ; d’autres enfin liées à l’intransigeance de la nouvelle opposition dirigée par le PDP qui a lui-même constitué une nouvelle coalition d’opposition autour de lui.
La coalition gouvernementale se trouve, du coup, condamnée à faire simultanément l’apprentissage du gouvernement démocratique et du gouvernement de coalition. Elle doit conduire la politique de la coalition majoritaire sans prendre le risque de diviser le pays. Elle doit encore gérer les rapports de force quotidiens en son sein même, avec tout ce que cela nécessite en acrobaties politiques. D’où l’intérêt pour les chercheurs de se pencher sur l’analyse de la cohérence du système politique.