La conjoncture économique tunisienne 2011-2012 revisitée
Notre dernière visite de la conjoncture économique tunisienne 2011-2012 remonte au 19 Janvier dernier (Voir notre papier ‘Situation économique et sociale : un cri d’alarme in ‘Leaders 19/1/012). Un mois et demi après, nous avons pensé utile de revisiter cette conjoncture. Pourquoi ? Deux raisons principales à cela : la nécessité évidente d’actualiser nos informations sur l’ampleur des dégâts de la terrible récession-stagflation qui a frappé notre économie en 2011 ; le besoin non moins évident de jeter un nouvel éclairage sur les perspectives d’une relance rapide de la croissance, lesquelles continuent, en dépit de l’adoption par le gouvernement, le 5 Mars dernier, du projet de budget complémentaire 2012, d’être marquées par de grandes incertitudes: au niveau politique, comme au niveau économique, comme au niveau social.
Des incertitudes que la publication par l’Institut National de la Statistique (INS) , en Février dernier, d’une note particulièrement pessimiste sur la conjoncture économique tunisienne 2011-2012 sous le titre « Récession économique et rémission lente en perspective’ ne fait que confirmer, tout à fait dans la ligne des prémonitions et des craintes dont nous avions fait état à propos de l’année économique 2012 dans des papiers antérieurs parus dans les colonnes de ’Leaders’ ( cf Dix Grandes Idées pour la Prospérité et la Justice Sociale :Stratégie de développement Economique et Sociale 2012-2016 publié le 2 Octobre 2011 ; A propos du budget économique et du projet de budget général de l’Etat publié le 2 Janvier 2012 ; et Situation économique et sociale : un cri d’alarme publié le 19 Janvier 2012. On sait aussi qu’au moment où les prévisions élaborées par l’INS diagnostiquaient une ‘rémission lente’ de l’économie tunisienne, la Banque Centrale de Tunisie (BCT) faisait état, elle, dans un communiqué en date du 15 Février dernier, de ‘prémices d’amélioration’, dans l’évolution de l’économie tunisienne, au point de déclencher une polémique, dont les médias locaux se sont faits l’écho.
Que sait-on aujourd’hui du bilan économique de l’année fiscale 2011, deux mois et une semaine après sa clôture ?
L’ Annus Horribilissimus 2011 : l’économie tunisienne aux prises avec une stagflation particulièrement virulente
Pour ce qui est de cet Annus Horribilissimus 2011, et en dépit du caractère encore provisoire de nombreux chiffres, les données disponibles sont suffisamment éloquentes en ce qui concerne l’entrée, de plain-pied, de l’économie tunisienne, dans une forte récession, ou pour être plus précis encore, dans une forme de stagflation particulièrement vicieuse ( croissance négative plus inflation relativement forte) ; et ce, pour la première fois depuis l’indépendance, et non depuis 1986, comme on l’écrit ici et là.
Voici un ‘pot pourri’ (c’est le cas de le dire) de quelques indicateurs-clés du tableau de bord de la Tunisie économique et sociale, au terme des douze-treize premiers mois de sa révolution Janvier 2011-Janvier 2012.
• Un PIB réel en chute libre : le taux de croissance économique pour l’année 2011, se situerait, sous réserve des résultats effectifs du quatrième trimestre de l’année passée, entre -1,8% et -2,0% , comparé à +3,2% en 2010 .
Pour un PIB tunisien estimé à 63,4 milliards de dinars en 2010, le manque à produire pour l’année 2011 varie entre 1,1 milliard de dinars et 1,3 milliard de dinars, partis en fumée.
• Un chômage, toutes catégories confondues, de plus en plus massif : quasiment 19% de la population active, soit quelques 740 mille de tunisiens et de tunisiennes en âge de travailler, comparé à 14% et quelques 400 mille chômeurs fin 2010 : près du double en 12 mois. Avec en prime, des taux très largement supérieurs à la moyenne nationale dans 4 grandes régions sur 7 : entre 29.5% et 27.2% au sud et dans le centre-ouest tunisiens et 22.3% au nord-ouest. Et avec en surprime, 224 mille diplômés du supérieur sans travail ou un taux de chômage de plus de 30%.
• Un déficit commercial en cavale : une aggravation de plus de 80% entre Janvier 2011 et Janvier 2012, et un doublement au cours des deux premiers mois de l’année en cours. Le taux de couverture, qui était de 75% en Janvier 2011, est tombé à 63,8% en Janvier 2012, soit moins des deux-tiers.
• Un déficit courant qui ne cesse de se creuser : quasiment 1% du PIB, pour le seul mois de Janvier 2012 contre 0,5% en Janvier 2011
• Un déficit budgétaire qui dépasse aujourd’hui les 8% du PIB et qui fait planer sur les finances publiques tunisiennes le fantôme du ‘Greek disease’ – le mal grec- dont on n’a pas fini de mesurer les effets dévastateurs sur la stabilité de la zone euro.
• Des avoirs nets en devises en baisse continue. A mi-février 2012, ces avoirs représentent l’équivalent de 10 200 millions de dinars, à peine de quoi couvrir 108 jours (3,6 mois d’importations), alors que la norme de sécurité dans ce domaine est estimée à 6 mois. D’après certains analystes même, « cette baisse des avoirs nets en devises a pris une orientation descendante difficile à relever » Plus de 2 milliards de dinars en devises sont partis en fumée au cours des douze derniers mois, avec, en contrepartie, une croissance économique largement négative
.
• Des pressions inflationnistes menaçantes pour la stabilité financière du pays, le pouvoir d’achat des ménages et l’épargne nationale. Entre Février 2011 et Février 2012, le glissement des prix à la consommation a atteint 5,4%contre 3.7% pour toute l’année 2011.
Sachant par ailleurs que les ménages tunisiens avaient enduré une inflation des prix de l’ordre de 4% par depuis 2005, on imagine aisément l’ampleur de la détérioration du pouvoir d’achat du citoyen moyen, et plus dramatiquement encore, des catégories les moins nanties de la population.
Pourtant, avec une croissance économique en berne et une tendance plutôt à la baisse des prix des produits de base importés-énergie exclue- le niveau général des prix domestiques devrait normalement connaître une détente, non une hausse. La réalité des choses, comme le signale le rapport de l’INS précité, est que la hausse des prix constatée a été la conséquence d’un soutien de la consommation privée domestique via une politique de crédit bancaire, plutôt agressive, et la conséquence aussi d’exportations massives, autorisées et illégales, de produits alimentaires vers la Libye, le tout sur fond d’une désorganisation des circuits de distribution locaux patente.
A cet égard, la bonne santé affichée en 2011 par les holdings du secteur de la distribution (Poulina, Magasin Général), en contraste avec les pertes enregistrées par d’autres sociétés du ‘top 10’ en est la preuve .
• Une contraction de la liquidité bancaire , entraînant un resserrement du taux du marché monétaire (TMM), qui a atteint 3,71% en Janvier 2012 contre 3,16% un mois auparavant. L’injection par la BCT de quelques 3,8 milliards de dinars en Janvier 2012, suivie d’une autre du même montant au cours des 13 premiers jours de Février, confirme d’une part l’incapacité désormais de la politique monétaire conventionnelle (ajustements des taux d’intérêt directeurs nominaux et des réserves obligatoires), face à des taux d’intérêt réels négatifs, à jouer le rôle de régulateur du marché du crédit, et d’autre part le recours de l’Institut d’émission à des modes d’intervention non conventionnels, via la procédure dite de ‘l’assouplissement quantitatif’ ( Quantitative easing), dont les risques inflationnistes sont réels.
• Une chute de l’indice de la production industrielle, atteignant 3.2% en Novembre 2011 ( -57.1% dans le secteur minier et -1,1% dans le secteur des industries manufacturières).
• Une confirmation de la mauvaise notation du risque des cinq grandes banques publiques tunisienne ( BBB-/ Négative) avec en plus le retrait des notes de soutien de l’Etat tunisien, sachant que ce dernier n’est plus à même de secourir lesdites banques, en cas de besoin.
• Une correction (baisse) conséquente de l’indice boursier Tunindex. Celui-ci a chuté de 25% entre septembre 2010-et Mai 2011.
• Au niveau des sociétés tunisiennes cotées en bourse, l’année 2011 a enregistré une baisse globale des revenus de près de 2% ; et les 10 plus grandes d’entre elles, à de rares exceptions près, n’ont réalisé aucun bénéfice.
Si nous ajoutons à ce tableau de bord la chute des investissements directs étrangers (de 25% à 30% en moins), la fermeture d’entreprises étrangères ( autour de 150), les dommages directs - hors dommages collatéraux- infligés au potentiel productif privé ( plus de 200 millions de pertes touchant quelques 900 sociétés), plus la facture des catastrophes naturelles de Février dernier, on mesurera mieux encore l’ampleur des sinistres qui ont affecté l’économie nationale au cours de ces 13 premiers mois post-révolution.. « Pertes de richesses, montée de l’aversion au risque, dégradation de la solvabilité et résurgence des faillites et du chômage » : telle est, résumée, l’image que donne l’INS de l’économie nationale en 2011.
Quelques ‘pousses vertes’, quand même…
Il est vrai que l’occultation de ce tableau de bord économique tunisien des quelques
‘pousses vertes’ (green shoots) qu’il recèle ne serait pas juste. Trois indicateurs positifs peuvent être cités ici :
• Au niveau du commerce extérieur, deux évolutions encourageantes méritent d’être signalées
- En ce qui concerne les exportations, celles-ci ont enregistré une hausse de 2,6% en Janvier 2012, comparé à une baisse de 1.2% en Janvier 2011. A cet égard, les exportations industrielles ont été particulièrement performantes : +15.4%, avec une mention spéciale pour les industries agroalimentaires : +55.5% et les composants électriques : +33,7% .
- Pour ce qui est des importations, la hausse de la part des biens d’équipements (+29,4% selon la BCT ou +21,7% selon l’INS) ainsi que celle des matières premières et demi-produits (+17,4%) sont évidemment la bienvenue.
Qu’elle soit destinée à reconstituer les stocks de biens d’équipements et d’intrants ou à renforcer le potentiel d’investissement productif effectif des entreprises concernées, ces mouvements enregistrés au niveau de nos échanges extérieurs sont à mettre au compte des évolutions positives de l’économie nationale.
• Au niveau du secteur du tourisme, fortement sinistré, les recettes estimées au cours des 10 premiers jours de Janvier 2012, soit 238 millions de dinars, sont en augmentation par rapport à Janvier 2011, soit 185 millions de dinars .Les chiffres du mois de Février semblent confirmer cette tendance positive
• Au niveau de la notation du risque souverain Tunisie, la décision prise, fin Février dernier, par l’agence ‘Fitch ratings’ de confirmer le rang ‘Investment grade’ ou BBB- de l’économie tunisienne est également une bonne nouvelle.
Ce rang, en effet, permet à la Tunisie de recourir, de nouveau, aux marchés de capitaux internationaux et de s’y endetter au moindre coût.
Certes, les raisons qui avaient poussé, en Mars 2011, cette agence de notation à dégrader le risque souverain de la Tunisie de BBB à BBB- à savoir « que la crise politique a dégradé les perspectives à court terme, pour l’économie, les finances publiques et le système financier » demeurent encore pertinentes, pour l’agence en tout cas, une année après.
De même, « la possibilité de réviser positivement la note de la Tunisie, si un gouvernement stable se formait après les élections », comme ‘Fitch ratings’ l’avait envisagé, il y a une année, n’est pas d’actualité, aujourd’hui, non plus.
Enfin, selon ‘Fitch ratings’, « l’économie (tunisienne) a réalisé des résultats
moins bons que prévus, ce qui suscite des préoccupations au sujet de la durabilité de la dette publique et de la dette extérieure dans un contexte économique extérieur marqué par davantage d’incertitudes ».
Toutefois, en dépit des réserves évoquées ci-dessus, la transition politique en Tunisie post-élections d’Octobre 2011 est jugée par l’agence denotation suffisamment rassurante pour justifier la confirmation de l’Investment grade’, comme rappelé plus haut.
L’économie tunisienne dispose-t-elle d’un potentiel de relance en 2012 ?
Cet état des lieux de l’économie tunisienne Janvier 2011- Janvier-Février 2012 brièvement dressé, avec ses nombreuses zones d’ombre et ses rares ‘pousses vertes’, la question qui se pose tout naturellement est de savoir jusqu’où ce diagnostic permet d’anticiper une relance de la croissance économique au cours des prochains mois- seule garante d’une sortie progressive du pays de la terrible crise sociale et même politique dans laquelle celui-ci est plongé depuis plus d’une année, ou, au contraire, d’enfoncer davantage le pays dans les miasmes d’une stagflation inédite, avec son cortège de misères, de privations et d’exclusions.
Un ajustement à la baisse du taux de croissance économique en 2012
Certes, le gouvernement actuel a eu la sagesse d’ajuster à la baisse le taux de croissance économique pour l’année en cours, de +4.5% (projet de budget général 2012, hérité du gouvernement de transition antérieur) à + 3,5% (projet de budget complémentaire 2012), soit 1 point en moins. Cet ajustement est-il suffisant ou insuffisant, réaliste ou irréaliste, au vu du diagnostic précédent ? La question est pertinente, mais elle nous semble s’adresser davantage, comme l’évoque le rapport de l’INS précité, au potentiel de croissance effectif à moyen terme de l’économie tunisienne post-révolutionnaire, compte-tenu des dégâts subis en 2011 ( Voir également notre papier ‘ Dix Grandes Idées.‘ paru dans ‘Leaders’ 2/10/2011).Un débat qu’il nous faudrait nécessairement ouvrir plus tard.
Pour l’heure, toutefois, nous nous contenterons de dire ceci :en s’inscrivant dans la trajectoire d’une croissance économique positive, indépendamment du taux retenu, le gouvernement présent cherche à donner espoir et confiance à un peuple tunisien dont la nervosité est d’autant plus extrême que ses attentes montantes sont fortes et exigeantes et que les voies du progrès économique et social immédiat lui paraissent obscures et bouchées. Personne ne saurait contester aux gouvernants présents le bien-fondé d’un tel choix et d’une telle stratégie.
Ne pas occulter les obstacles sur la voie d’une relance rapide et durable
Mais on ne devrait pas, non plus, occulter, pour autant, l’ampleur des obstacles qui se dressent sur la voie d’une relance rapide et durable de la croissance économique tunisienne, à compter de l’année 2012. Le gouverneur de la BCT, lui-même, en a bien convenu, lui, qui, en dépit de l’intonation optimiste de son communiqué du 15 Février dernier déjà cité, où il parlait de « prémices d’amélioration », qualifiées de « réalités tangibles », reconnaît qu’il est « prématuré de fixer (pour 2012) un taux (de croissance) ou d’affirmer que le pays a renoué avec un taux de croissance positif ». De son côté, le rapport de l’INS, sans exclure la possibilité d’un modeste rebond ‘technique’, c.a.d éphémère, de la croissance, écrit que les « facteurs de risque tirant l’économie tunisienne vers le bas sont plus nombreux que les éléments favorisant un scénario de reprise vigoureuse ». Les catastrophes naturelles, qui ont sinistré au cours de la seconde moitié du mois de Février, des régions entières du pays, le tout sur fond d’une instabilité sociale et sécuritaire qui n’en finit pas, ne peuvent que catalyser l’état d’inquiétude générale dans lequel vit le pays, quant aux perspectives d’une sortie rapide de la crise économique et sociale présente.
D’où pourrait provenir la relance de la croissance économique en 2012 ? Des gains de productivité, comme cela était le cas dans le passé ? Au vu des dommages que l’appareil productif privé et public a subis et au vu aussi de la détérioration que le climat social a connue au terme de 12 mois de troubles et d’instabilité, il est difficile de compter sur les gains de productivité pour tirer l’économie tunisienne du marasme dans lequel elle est engluée. La demande extérieure, autrement dit l’exportation, pourrait-elle constituer la bouée de sauvetage et remettre le pays sur une orbite de croissance positive, comme cela a eu lieu souvent par le passé ? La réponse est également douteuse.. En effet, ni la crise aiguë dans laquelle se débat les pays de la zone euro, nos partenaires commerciaux principaux, ni les secousses subies par les activités offshore chez nous du fait de la révolution, ni même la marge de compétitivité acquise par les exportations tunisiennes du fait d’une dépréciation rapide du dinar, ne plaident en faveur d’une relance forte, à très court terme en tout cas, de la croissance par le biais de l’exportation.
Reste la demande intérieure : consommation domestique + investissement domestique. Sans en faire le seul et unique moteur d’une reprise de la croissance dans l’immédiat, et tout en continuant d’exploiter toutes les opportunités offertes par le commerce extérieur et même les progrès de la productivité, l’expansion de la demande intérieure nous paraît constituer la condition première pour insuffler la vie, de nouveau, dans une économie en déclin. Quelles sont justement les perspectives d’une redynamisation rapide de la production nationale via la demande intérieure ?
Une relance de la croissance, tirée par la demande intérieure
Le rôle assigné à la consommation privée
• Un contrôle plus strict des dérapages inflationnistes.
Pour ce qui est de la relance de la consommation privée en 2012, un contrôle plus strict des dérapages inflationnistes nous paraît essentiel. Toutefois, les anticipations à ce propos ne sont guère rassurantes. En effet, toute aggravation des tensions inflationnistes en 2012 est de nature à détériorer davantage le pouvoir d’achat des ménages, et donc, de brider la consommation privée. La BCT projette le niveau de l’inflation pour 2012 à 5,1% contre 3,5% en 2011. Plusieurs facteurs pourraient être à la base de cette aggravation :
1) une désorganisation aggravée des circuits de distribution internes, ajoutée à une maîtrise insuffisante des flux d’exportation licite et illicite de biens alimentaires et autres produits de base locaux vers la Libye. L’équilibre de l’offre et de la demande sur le marché domestique tunisien peut, de ce fait, connaître des perturbations saisonnières, ou plus durables, comme cela s’est vu en 2011.
Aussi, une réorganisation drastique et volontariste par les pouvoirs public, des circuits de distribution internes et des modalités d’exportation des produits de première nécessité vers les pays voisins-Libye notamment-nous paraît-elle nécessaire et urgente.
2 ) un ajustement à la hausse des prix domestiques de certains produits de base importés et subventionnés- les hydrocarbures notamment. Pareil ajustement est programmé dans le projet de loi de finances complémentaire 2012. Le projet prévoit un plafonnement des dépenses totales au titre des subventions au niveau de 3 067 millions de dinars, soit 4% du PIB : ce qui est déjà considérable.
Une dérive –possible- des prix du brut au-delà de la fourchette actuelle : $ 100- $ 120 le baril, poserait un problème grave aux pouvoirs publics : ou bien ceux-ci s’en tiendraient au plafond des dépenses de subventions fixé, auquel cas l’indice des prix à la consommation, et partant, l’inflation s’envoleraient ; ou bien l’Etat s’engage à financer sur ses derniers propres toute hausse des prix de l’énergie, supérieure à la fourchette indiquée, auquel cas c’est l’un des équilibres majeurs de la loi de finance 2012 : le taux de déficit budgétaire fixé, qui volerait en éclat.
Aussi nous paraît-il primordial que les autorités publiques procèdent, sans tarder, à la mise en place d’un système de gestion de la pénurie en matière de consommation des produits énergétiques, touchant la consommation publique comme la consommation privée, sans exclure des dispositions discriminatoires en faveur de certaines catégories de consommateurs prioritaires : transports publics et autres.
3) une poursuite de la dépréciation de la parité du dinar vis-à-vis de l’euro notamment. A 2 dinars pour 1 euro, comme c’est le cas aujourd’hui, l’envolée des prix à l’importation qui s’en suit aggrave l’inflation importée dans notre pays. La menace d’une dévaluation plus forte encore de la monnaie tunisienne n’est pas hélas ! une simple hypothèse d’école. Si l’instabilité politique, sociale et sécuritaire perdurent, que la croissance économique reste atone, que nos avoirs nets en devises continuent de fondre et que la marge de compétitivité internationale de nos exportations s’amenuise davantage, alors la valeur du dinar ne pourra que poursuivre sa chute et l’inflation importée que prendre de l’ampleur.
Aussi une gestion plus active ou une libéralisation ‘managée’ des importations nous paraît-elle de mise, avec une plus grande flexibilité aux importations utiles pour la relance de la
croissance économique, donc de l’emploi.
• Rehausser le pouvoir d’achat des ménages
Une hausse du pouvoir d’achat des ménages est nécessaire à la dynamisation de la consommation privée Cette hausse pourrait être impulsée par une augmentation des revenus des ménages, via une revalorisation des salaires publics et/ou privés, ainsi que des transferts sociaux publics ) et / ou via l’endettement bancaire.
1) En ce qui concerne le premier volet, une revalorisation des salaires publics et privés, ainsi que des transferts sociaux publics ne pourrait être envisagée que si elle est ‘soutenable’, pour l’Etat et le secteur privé aussi.
a) S’agissant des salaires publics, composante essentielle des dépenses de fonctionnement de l’Etat (60% du total des dépenses budgétaires), la soutenabilité dont nous faisions état plus haut signifie avant tout le respect de la contrainte du déficit budgétaire –plafond fixé’ dans le projet de loi de finances complémentaire pour l’année 2012, à savoir 6,5% du PIB. Soit un taux qui représente près du double de celui retenu pour la croissance économique (3,5%) : ce qui constitue déjà un déséquilibre important
Le coût du recrutement de quelques 20 mille nouveaux fonctionnaires, prévu en 2012, plus celui de la revalorisation éventuelle des salaires de plus d’un demi-million d’agents publics en poste doivent s’inscrire nécessairement dans cette épure.
Le respect de cette condition de la soutenabilité suppose, bien évidemment, beaucoup d’autres choses aussi : l’accord des partenaires sociaux concernés, une gestion plus parcimonieuse de tous les autres postes de la consommation publique, et à plus long terme, un ‘dégraissage du ‘mammouth’, selon une expression célèbre, cad de la fonction publique, et une exposition des agents publics à la contrainte de productivité, à laquelle ils ont su, jusque-là, échapper.
b) S’agissant des salaires privés, ce concept de soutenabilité signifie que tout ajustement à la hausse des rémunérations des travailleurs soit proportionnel aux gains réalisés en matière de productivité du facteur- travail d’une part, et consenti par des entreprises bénéficiaires, non par des entreprises déficitaires, d’autre part..
2) Pour ce qui est du second volet, le renforcement du pouvoir d’achat des ménages, via l’endettement bancaire, toute politique de crédit à la consommation, propice à la relance de la consommation privée dans des conditions saines, stables et durables devrait éviter deux pièges : celui du surendettement excessif, comme en 2011, et celui du désendettement brutal des ménages, comme cela risque de se produire en 2012.
On sait que le surendettement massif des ménages en 2011 a été rendu possible par une politique de crédit bancaire à la consommation plutôt laxiste, grâce aux injections de liquidités massives par la BCT, comme évoqué plus haut. On connait aussi l’impact négatif de ce surendettement permissif sur l’équilibre des budgets des ménages, et la stabilité des prix à la consommation, surtout quand l’offre ne suit pas la demande, que ce soit pour des raisons d’insuffisance de la production ou pour des raisons purement spéculatives.
Pour conjurer le mal du surendettement vécu en 2011, le ‘credit crunch’, la pénurie de crédit, à laquelle les ménages risquent fort d’être confrontés, du fait du retour nécessaire de la BCT à une politique monétaire plus orthodoxe, -inflation oblige- peut amorcer en 2012 un processus de désendettement brutal des ménages, préjudiciable à l’expansion de la consommation privée, donc à la relance de la croissance.
L’objet du rappel ici de ces deux aspects excessifs et déstabilisants de la politique de crédit à la consommation est de rappeler, contrairement à une doctrine courante, que la meilleure cure à un surendettement excessif, comme cela avait été le cas en 2011, n’est pas le désendettement brutal. comme cela pourrait bien être le cas en 2012. Cela est vrai pour les établissements de crédits eux-mêmes, dont les bilans pourraient connaître des déséquilibres importants suite à un ‘shift’ brutal du surendettement au désendettement, comme pour les consommateurs privés, dont les budgets de dépenses risquent d’être désorganisés tout autant par un surendettement permissif que par un désendettement massif. Seule une politique de crédit basée sur un accès raisonnable et contrôlé des ménages au financement destiné à des fins de consommation pourrait garantir une relance de celle-ci sur des bases saines et durables.
3) En réalité, ce qui on aurait souhaité voir dans les dispositions fiscales du projet de budget complémentaire 2012, c’est une fiscalité plus favorable à la consommation (baisse de la TVA par exemple) et aux revenus du travail généralement, quitte à ajuster vers le haut l’imposition des revenus du capital, et à être moins généreux en matière d’amnisties fiscales. De toutes les façons, il nous paraît essentiel , au vu du rôle assigné à la consommation privée dans la relance de la croissance, d’exclure de l’arsenal des réformes de la fiscalité tunisienne , tout projet tendant à introduire ce qui est connu sous le nom de ‘TVA sociale’
Le rôle assigné à l’investissement privé
L’autre composante de la demande intérieure ,l’investissement privé domestique, est tout autant, sinon plus, essentielle à la relance de la croissance économique. Une consommation privée en expansion exige une production de biens et de services en expansion aussi, qui signifie, à son tour, une dynamique d’investissement plus forte. Le problème qui se pose ici est que l’investissement privé dans cette Tunisie post- révolutionnaire ne donne pas encore des signaux clairs. En dépit de l’absence de données précises en la matière, on sait que l’année 2011 a été cruellement creuse en matière d’investissement privé. On sait aussi que ce qui continue de dominer dans le secteur des affaires, c’est l’attentisme, motivé par des perceptions défavorables dans sept domaines au moins : quant à la réalité et la durabilité de la sécurité dans le pays, et ce, en dépit des progrès réels accomplis en la matière ; quant à la nature du régime politique tunisien post- révolutionnaire, que le débat constitutionnel présent est censé définir ; quant à la stabilité des institutions qui gouverneront la nation dans les années à venir ; quant à l’évolution des rapports de production au sein de l’entreprise, et plus largement, entre les partenaires sociaux : Etat, syndicats et patronat ; quant à la volonté du gouvernement actuellement au pouvoir de régler le contentieux relatif à la nationalisation d’actifs économiques, réputés mal acquis ; quant au mode de gouvernance économique actuel, à qui manque la vision à moyen terme ; enfin, quant à l’évolution de l’environnement économique, commercial, et financier international dans lequel les privés tunisiens opèrent.
Aussi, en dehors de quelques intentions d’investissement, annoncées ça et là, et demeurées pour la plupart sans lendemain, les investisseurs tunisiens continuent-ils d’observer une attitude de ‘wait and see’ affligeante, que les professions de foi, répétées et largement médiatisées , des uns et des autres, plaidant pour un nouveau partenariat public-privé, n’ont guère réussi à infléchir, jusque-là.
Il est vrai que le traumatisme subi par le monde des affaires, au cours des douze mois passés, et les pertes d’actifs subies par un millier d’entreprises et qui demeurent, à ce jour, très partiellement compensées, ne facilitent pas le retour à la confiance et à la prise de risque, de nouveau. Surtout que la sous- utilisation des capacités de production installées a atteint des niveaux historiques inédits Il est vrai aussi qu’en dépit des injections de liquidités massives par la BCT, l’accès de l’entreprise, en particulier la petite et la moyenne, aux sources du crédit relève souvent ‘du parcours du combattant’, au risque de précipiter le secteur des affaires tunisien dans un cycle de désendettement accéléré, préjudiciable à l’investissement, donc à la relance de la croissance, après de longues années de surendettement excessif. Il est vrai, enfin, que la pénurie de fonds prêtables moyens et longs, destinés à financer des projets, à maturité différée, industriels ou agricoles ou autres, comme l’insuffisance de capitaux-risque, illustrent une des déficiences majeures du système bancaire et financier tunisien.
Autant d’obstacles que le gouvernement devrait examiner de plus près et réduire en vue de créer les conditions optimales d’une relance durable de la croissance économique, sinon autonome, du moins plus résiliente que par le passé aux chocs exogènes engendrés par une exposition excessive de notre système productif, commercial, financier et social (émigration) aux vicissitudes de marchés étrangers en crise chronique (zone euro, en particulier).
Certes, les dispositions fiscales prises par le gouvernement actuel et consignées dans le projet de budget complémentaire 2012 paraissent, en dépit de leur composante amnistiante dominante, aller dans le bon sens, dans la mesure où elles représentent de nouvelles incitations à l’investissement privé. Toutefois, elles demeurent, à nos yeux, partielles, partiales mêmes, et insuffisantes pour dynamiser celui-ci et lui permettre de jouer le rôle attendu de lui, dans la relance de la croissance, à court et à moyen termes, y compris dans les régions les moins nanties de la République. Aussi la mise en chantier d’une refonte totale de la fiscalité tunisienne nous paraît-elle relever des priorités urgentes, à laquelle le gouvernement actuel nous semble devoir s’atteler.
Chedly Ayari