Les salafistes sont-ils au-dessus de la loi ?
Une semaine exactement après la profanation du drapeau national à l’entrée de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, l’auteur de ce geste odieux court toujours. Il en est, hélas, de même pour le lâche agresseur de MM. Krichen et Rdissi, tous les deux attaqués en plein jour devant le tribunal de Tunis et qui n’ont dû leur salut qu’en se réfugiant dans un poste de police car les forces de l’ordre sur les lieux, au moment des faits, s’étaient abstenues d’intervenir. Les vidéos de ces deux forfaits publics circulent depuis un moment sur les sites sociaux comme Facebook et rendent facilement identifiables les personnes mises en cause. Or, la police nationale n’a pu, à ce jour, mettre la main sur elles ! Nos fins limiers ont-ils, soudain, perdu leurs moyens et leur savoir-faire jadis si efficaces du temps de Zaba et Cie ? Faudrait-il, réellement, parler de l’échec des enquêteurs qui semblent, le moins que l’on puisse dire, avoir manqué de flair, mais aussi de zèle dans ces deux affaires ? N’y aurait-il pas eu, plutôt, des ordres de la part de certaines parties et responsables politiques afin que les policiers chargés de ces dossiers se hâtent lentement ? Escompte-t-on par une démarche aussi irresponsable laisser passer l’orage que ces agressions ont créé dans l’attente que de nouveaux faits aussi scandaleux viendront faire oublier à l’opinion publique ceux qui ont précédé ? Sous-estime-t-on, en haut lieu, le risque de choquer, par un traitement aussi laxiste réservé aux coupables, l’ensemble des Tunisiens indignés par une pareille et injustifiable mansuétude ?
Quand le Président provisoire de la République appelle, dans son discours du 12 mars, le profanateur de l’emblème national à se rendre de lui-même ne nous donne-t-il pas, d’une manière presque subliminale, le signal qu’il désespère de voir nos policiers mettre la main au collet de celui dont le nom et l’adresse sont partout affichés sur Internet ? Devrait-on y lire aussi comme une défiance envers le ministre de l’Intérieur à qui incombe l’obligation de résultat, à savoir, ici, l’arrestation des prévenus ? Il est vrai qu’il est manifeste après ce discours qu’il y a, au sein de l’équipe dirigeante, deux orientations bien distinctes face au problème que posent les salafistes. Le ton et le contenu de l’intervention du Président, lors de la décoration de Khaoula Rchidi, tranchent nettement avec le langage que nous tient le ministre de l’Enseignement Supérieur depuis le début de l’affaire de la Manouba. En condamnant fermement la désorganisation de la marche des cours au sein de nos universités et en pointant du doigt les intégristes, M. Marzouki se désolidarise publiquement de M. Ben Salem qui n’a cessé, en effet, de montrer plus que de la compréhension envers ceux qui sont responsables d’arrêts de cours, de violences sur des fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction, d’occupations illégales de locaux et de destructions de biens publics. La critique implicite du Président rejaillit également sur M. Ali Laryaedh qui partage notoirement avec M. Ben Salem l’idée que le vrai fauteur de troubles et l’unique responsable de la crise de la Manouba est le doyen Habib Khazdaghli !
Or, la question qui s’impose d’elle-même ici, c’est le pourquoi de cette complaisance, voire impunité, accordée par les dirigeants d’Ennahdha aux activistes violents du mouvement intégriste ? N’y aurait-il pas, en outre, une alliance porteuse d’une grave division du pays en clans antagonistes dont l’un est adepte d’un Islam intransigeant et intolérant et un autre modéré et convivial ? Une entente est-elle désormais encore concevable entre ceux qui comme M. Marzouki n’acceptent pas de voir les salafistes placés au-dessus des lois et ceux qui couvrent actuellement leurs plus fâcheux méfaits ? La Troïka pourra-t-elle tenir longtemps encore dans un pareil schéma politique dont le discours du Président nous donne déjà une claire idée ? Est-il réellement trop risqué de parier sur l’éclatement prochain de la coalition contre nature où se retrouvent d’anciens militants des Droits de l’Homme et des conservateurs adeptes d’un pouvoir théocratique ? Dans le cas fort probable de l’échec de la Troïka, les salafistes ne se présenteront-ils pas comme les futurs alliés naturels d’Ennahdha ? La démocratie y gagnera-t-elle vraiment et n’y aura-t-il pas lieu de craindre une confiscation de la Révolution ?
Ce n’est pas faire preuve d’une grande naïveté, cependant, que d’avancer qu’un hypothétique détournement de celle-ci ne sera nullement chose aisée ! Pour s’en convaincre, il fallait vivre l’accueil qui a été fait ce jour, mercredi 14 mars, à Khouala Rchidi à la Faculté des lettres de la Manouba par ses camarades et par les cadres enseignant, administratif et ouvrier réunis à l’occasion de la cérémonie organisée par le Conseil scientifique afin de rendre hommage à l’héroïne de la semaine dernière qui a affronté, à son corps défendant, la brute intégriste qui a porté atteinte à notre drapeau. L’enthousiasme, la ferveur, la détermination de toutes et tous ces jeunes attachés plus que jamais à la modernité et à l’ouverture sur le monde ainsi qu’aux idéaux de Liberté et de Dignité sont autant de motifs d’un légitime et raisonnable espoir. La Tunisie moderne, ouverte, tolérante, conviviale, égalitaire et démocratique finira, en effet, par l’emporter sur les forces obscures et rétrogrades qui menacent notre Révolution du 14 janvier et cela malgré la complaisance dont les salafistes bénéficient de la part d’un pouvoir politiquement sourd et aveugle aux réalités sociopolitiques profondes de notre peuple dont la modération est la qualité première. Vouloir le contraire, c’est prendre le risque de faire couler le sang en Tunisie ! A bon entendeur, salut !
Mohamed Ridha BOUGUERRA