Pourquoi les bébés humains ne peuvent pas marcher plus tôt comme les bébés animaux?
I - L’étude de l’Homme par les sciences sociales et exactes
La majorité des gens ne se pose pas la question que soulève le titre de cet article, malgré son importance autant pour la curiosité humaine que pour la science. Quant à la réponse crédible à cette question, elle est plutôt à la portée des sciences sociales que celle des sciences dites exactes. D’abord, il s’agit d’un fait qu’en moyenne les enfants ne peuvent pas marcher qu’un peu avant ou après leurs premiers anniversaires alors que les jeunes animaux marchent à la naissance ou quelques heures ou jours après leur naissance. Cette simple observation intrigante parait banale et philosophique pour la plupart des gens. Faute de curiosité, ils n’arrivent pas souvent à poser une question sur la raison qui empêche les enfants de pouvoir marcher tôt comme les bébés animaux. En effet, je trouve que la question est assez embarrassante pour les spécialistes en biologie, physiologie et en médecine. L’embarras vient du fait qu’ils ne connaissent pas vraiment la réponse, parce qu’ils sont privés de formation académique crédible portant sur l’Homme en tant qu’un être culturel. Ils se limitent plutôt à l’étudier seulement comme un simple être biophysiologique. Par conséquent, ils sont fréquemment portés à donner à cette question embarrassante des explications biophysiologiques peu fiables.
II - Y a –il un lien entre les traits humains uniques ?
Pour cerner le rôle du culturel dans le retard de la marche chez les enfants, je pose deux questions :1- ce retard est-il propre aux humains ? Et 2- y a-t-il un autre trait unique chez eux ? L’observation apporte une affirmation catégorique à la question 1. et l’analyse montre que les Symboles Culturels/SC ( le langage, la pensée, la religion, la connaissance/ la science, les lois, les mythes, les valeurs et les normes culturelles) sont plutôt aussi des traits propres à la race humaine. D’où l'hypothèse : existe-t-il une relation entre 1&2? La réponse à cette question nécessite une compréhension du rôle des SC/la culture chez les humains. La lente croissance corporelle humaine et, par conséquent, le retard de la marche humaine pourraient s’expliquer par le fait que la croissance humaine totale englobe deux fronts : le biophysiologique et celui des SC. Par contre, les croissances animales corporelles rapides pourraient s’expliquer par l’absence des SC chez les animaux. Ceci implique que chacun de ces deux niveaux de croissance humaine retarde le processus de la rapidité de l’autre.
III - L’influence globale des SC
En plus, l’impact des SC/la culture sur l’identité des humains va beaucoup plus loin que le simple retard de la marche des enfants. Il a un effet global sur les humains.Les SC nous permettent de dire que l’Homme est un être culturel. Cette affirmation est basée sur un nombre de constatations majeures sur cinq caractéristiques dont se distingue l’espèce humaine et qui nous aide à expliquer la relation entre le retard de la marche chez les enfants et leur système des SC :
1 - Comme on vient de voir, la croissance corporelle des humains se caractérise par une grande lenteur comparée à celles des animaux.
2 - En général, les humains ont une espérance de vie plus longue que celles des animaux.
3 - L’espèce humaine est distincte radicalement des autres espèces vivantes par son rôle dominant dans ce monde.
4 - Les humains se distinguent d’une façon décisive par les Symboles Culturels (SC).
5 - L’identité humaine est faite de deux composantes : le corps biophysiologique et les SC. Elle est une identité bidimensionnelle, alors que les identités des autres espèces sont plutôt unidimensionnelles (biophysiologiques).
La question légitime qui se pose à présent est la suivante : y a-t-il, d’une part, des liens entre ces cinq caractéristiques humaines et, d’autre part, ces liens permettent-ils de montrer que l’Homme est a priori un être culturel ?
D’abord, il existe une relation directe entre 1 et 2 parce que la lente croissance corporelle chez les humains exige nécessairement une espérance de vie plus longue pour que se réalisent les différentes et les diverses phases de la croissance et de la maturation humaines. Ainsi, le lien entre les deux
(1 et 2) est plutôt de nature causale.
Quant à l’identité humaine bidimensionnelle, elle est aussi le résultat direct du corps humain d’un côté, et les (SC) de l’autre.
La recherche d’une relation entre la domination de l’Homme dans le monde et ses autres traits distincts montre bien que les facteurs 1 et 2 ne le prédisposent pas à être le maître dominant unique dans ce monde par rapport aux autres espèces, étant donné que l’Homme est plus faible physiquement que plusieurs autres espèces. De là, l’hypothèse que la domination de l’espèce humaine vient directement des caractéristiques 5 et 4 déjà soulignées : l’identité humaine bidimensionnelle et les SC. Sachant que ces derniers (SC) constituent le facteur commun de ces deux caractéristiques (5et 4) humaines.
La figure 1 résume la centralité des SC dans l’entité humaine.
IV - La lacune des sciences dites-exactes
La négligence de la physiologie et de la biologie, donc de la médecine de tenir compte des traits culturels/ les SC dans les études des humains ne se limite pas à leur lente croissance qui est à l'origine de leur incapacité à marcher tôt comme les jeunes animaux. Cette négligence se manifeste aussi dans l’étude du cerveau humain. Ce dernier est strictement étudié en tant qu’organe biophysiologique et neurologique, alors que le cerveau humain est le centre des SC selon les perspectives des sciences sociales et cognitives modernes. En d’autres termes, les biologistes, les physiologistes et les médecins de notre temps étudient le cerveau humain sans faire attention à la présence des SC qui occupent une place centrale dans l’identité humaine et jouent un rôle principal par rapport à la domination incontestable de l’espèce humaine sur la terre.
En contraste à ces sciences dites-exactes, les sciences de l’Homme surtout l’anthropologie et la sociologie donnent une importance majeure aux traits culturels dans leurs études des comportements individuels ainsi que de l’action sociale collective dans les sociétés humaines. Les sciences dites exactes ne le sont pas vraiment, parce qu’elles étudient les humains indépendamment des SC. D’où la conviction que ces sciences dites exactes comportent tant de risques qui empêchent d’avoir une compréhension plus équitable et objective des humains. Cet état de choses devrait inviter ceux qui sous-estiment le rôle essentiel des sciences sociales, dans les sociétés à la fois développées et en développement, à réviser leurs points de vue afin de rendre aux sciences de l’Homme leur légitimité ainsi que leur crédibilité dans les sociétés d’aujourd’hui. D’où l'importance de la pluridisciplinarité ou le bon usage conjoint de plusieurs sciences pour saisir l'être humain dans toute sa complexité.
Professeur Mahmoud Dhaouadi
Sociologue - Université de Tunis