Une tempête dans un verre d'eau
« l’Appel à la nation » de Monastir aurait pu être un événement historique, malheureusement plusieurs facteurs me poussent à le qualifier de non événement et de simple tempête dans un verre d’eau.
D’abord, un tel évènement est censé être le couronnement et la déclaration publique d’accords déjà établis et signés au préalable entre les différentes forces politiques et non l’inverse. Malheureusement, nous savons tous aujourd’hui que même un prédicateur de dernière zone comme Ghounaim peut lui aussi remplir un espace aussi vaste. Ce sont les anciens réflexes qui nous font accorder la priorité à l’image envoyée pour faire croire à une certaine force alors que ni le phénomène de foule ni le seul charisme d’un homme ne garantissent la viabilité d’un projet sur le long terme. Nous l’avions vécu avec Bourguiba puisque nous vivons aujourd’hui toute une remise en cause de son projet.
Ensuite, ce rassemblement intervient au moment où le grand parti du centre est sur le point de tenir son congrès unificateur. Il vient en quelque sorte court-circuiter l’impact des déclarations à venir dudit congrès tout en essayant d’impliquer dans son sillon les multiples familles Rcdistes.
Enfin, parce que la règle démocratique exige que les différentes forces politiques se construisent autour d’une vision et d’un projet commun et non derrière un faux leadership se targuant d’une légitimité historique totalement obsolète dans notre contexte actuel post révolutionnaire, contexte qui a par ailleurs offert une légitimité populaire, minime mais incontestable, à un parti qui se trouve aujourd’hui de plein droit au pouvoir.
Notre ex-premier ministre Mr Béji Caied Essebsi a eu l’immense courage de nous faire traverser au mieux la période transitoire entre la chute du dictateur et les élections. Son leadership et surtout son grand âge étaient de nature à rassurer les Tunisiens durant cette période délicate et dangereuse. Seulement sa responsabilité devrait s’arrêter là. Si les Tunisiens pensent qu’aujourd’hui l’opposition manque d’un leadership fort, c’est que nous sommes uniquement habitués à l’image d’un leadership dictatorial ô combien trompeur. Alors un peu de patience, un leadership démocratique et solide finira obligatoirement par émerger.
Aujourd’hui, aucun Tunisien ne peut prétendre à ce jour être fin politicien ou connaisseur en pratiques démocratiques. Pour mériter ce titre, il aurait fallu avoir fait ses preuves non pas dans le cadre du silence et de la pensée unique mais dans le cadre d’un système démocratique fonctionnel avec une presse libre, des partis multiples, la liberté d’expression et le respect des règles qui l’accompagnent. Personne aujourd’hui ne peut s’en vanter, nous sommes donc tous en situation d’apprentissage.
Allons-nous nous unir aveuglément derrière un sauveur qui ne nous offre qu’une vague feuille de route, sans aucun programme clair et bien défini ? Et même si l’heure est à l’union des forces, pratiquée de cette manière cette union ne peut que favoriser le retour à une structure répressive qui n’autorise et ne valorise que la pensée unique dudit sauveur. N’aurions-nous réussi à déloger le RCD que pour en créer deux autres de même nature, l’un islamiste au pouvoir et l’autre semi-laïc destinée à rassurer l’opposition dorée ?
Aujourd’hui ceux qui méritent d’être rassurés, ce ne sont point les élites intellectuelles et financières et encore moins les RCDistes, mais ce sont plutôt les jeunes, ce sont les chômeurs, ce sont les démunis, ce sont tous ceux qui risquent par déception, par découragement et par désespoir de devenir tout simplement Salafistes. C’est là où réside le seul vrai danger qui guette notre pays.
Ne commettons plus les erreurs du passé et tirons en les bonnes leçons. Il est impératif d’accepter le pluralisme mais surtout de réduire le fossé entre la minorité de la Tunisie d’en haut et la majorité de la Tunisie d’en bas. Aucun progrès ne saurait être viable s’il ne profite pas à tous les Tunisiens quelle que soit leur appartenance politique. C’est pour cela que le fonctionnement démocratique est une obligation pour équilibrer l’impact des différents courants politiques les plus contradictoires.
Or il serait utopique de croire qu’après des décennies de dictature nous pouvons subitement nous transformer en démocrates authentiques juste parce que nous avons réussi à faire fuir un dictateur. Nous ne faisons que commencer notre longue marche vers l’idéal démocratique et tout au long de cette marche nous devons toujours nous assurer qu’aucune marche arrière ne soit possible quel que soit le confort qu’elle semble pouvoir apporter. Nous ne sommes pas encore en démocratie, nous ne sommes qu’en transition démocratique et toute erreur pourrait devenir irréversible. Lorsque j’entends qu’entre deux maux il faut choisir le moindre, je réponds qu’il y a toujours une troisième option qu’il nous revient d’imaginer et de rendre possible.
Nous nous devons tous d’être concernés et engagés politiquement le temps de finir la rédaction d’une constitution qui se doit d’être républicaine et démocrate afin de garantir les droits et les devoirs de tous nos citoyens et aussi de permettre à chaque Tunisien et à chaque Tunisienne de s’épanouir librement dans son pays.
Nous nous devons tous d’être concernés et engagés politiquement le temps d’enraciner tous les outils et toutes les structures démocratiques qui permettent l’évolution des mentalités et la protection contre tout abus de toute sorte.
Une fois la Tunisie mise sur les rails, la structure étatique sera suffisamment solide pour filtrer d’elle-même tous les intrus. A ce moment-là, bonne chance aux vainqueurs des prochaines élections.
Neila Charchour Hachicha