Mohamed Fourati, Un camarade…
Le témoignage du Dr Mohamed Ben Ismaïl : Mohamed Fourati, le camarade de classe, l’ami, le confrère
Un camarade de classe ? Un ami ? Un confrère ? Le Dr Mohamed Fourati était tout simplement un alter ego du Dr Mohamed Ben Ismaïl. L’ancien patron du mythique «Cardio 13» de l’hôpital de la Rabta est intarissable quand il parle de son vieux compère : «Nous sommes tous les deux nés à Sfax. Nous avons fréquenté le même collège, avant d’être renvoyés en 1952 par les autorités du protectorat, comme un grand nombre de jeunes de notre âge, pour avoir protesté contre Lucien Paye, le directeur de l’instruction publique ». Le destin va les séparer. Pas pour longtemps. Après avoir décroché leur bac, ils opteront tous les deux pour la médecine. Mohamed Fourati ira à Lille, Mohamed Ben Ismaïl à Paris.
Ayant réussi au concours d’internat des Hôpitaux de Paris, Mohamed Ben Ismaïl sera affecté à l’Hôpital Broussais, au service du Professeur Soulié, qui organisait tous les mardis soir une réunion scientifique où se retrouvait toute l’élite de la cardiologie parisienne et française. C’est là qu’il retrouvera son vieil ami, Mohamed Fourati, venu à l’Hôpital Saint Joseph pour se spécialiser dans la chirurgie cardiovasculaire auprès du Professeur Daumet. «Nos retrouvailles ont été émouvantes», nous confiera le Dr Ben Ismaïl.
Quelques années plus tard, en 1966, le Dr Ben Imaïl passera son agrégation à Paris et deviendra chef du service de cardiologie à l’Hôpital de la Rabta à Tunis. Quant au Dr Fourati, il sera nommé chef du service de chirurgie à l’Hôpital Habib-Thameur en 1968. Mais son objectif était de promouvoir la chirurgie à coeur ouvert en Tunisie. Entre lui et le Dr Ben Ismaïl, va s’établir une collaboration fructueuse fondée sur l’amitié, la confiance et la complémentarité.
Le nouvel Etat tunisien avait à peine dix ans. Sa priorité en matière de santé était l’éradication des fléaux qui sévissaient alors comme le paludisme, la tuberculose ou le trachome. Mais le Dr Fourati tenait à son pari : lancer la chirurgie cardiovasculaire alors qu’elle venait à peine de démarrer en France. Par chance, les ministres de la Santé de l’époque, Fethi Zouhir puis Hedi Khéfacha, avaient très vite compris que ces priorités n’étaient pas antinomiques avec la création d’une médecine moderne qui pourrait servir de locomotive à tous les secteurs de la santé.
Grâce à sa pugnacité et à la collaboration des deux services qui travaillaient en parfaite symbiose (une condition nécessaire à la réussite de ce type d’opération), les premières opérations à coeur ouvert en Tunisie et dans le monde arabe ont été réalisées. Les débuts étaient très difficiles : «On manquait de tout : d’équipements, de moyens humains. On faisait pratiquement de la chirurgie de guerre. On refroidissait le coeur avec de la glace en recourant à une technique inventée par un génie du bricolage, le Suisse Métreaux», se souvient le Dr Ben Ismaïl. D’ailleurs, la chirurgie à coeur ouvert connaîtra une forte impulsion grâce à l’association suisse «Terre des Hommes» et notamment le professeur Hahn de l’Hôpital cantonal de Genève qui vint en Tunisie à la tête d’une équipe de 17 personnes avec des tonnes de matériel spécialisé pour assister l’équipe du Dr Fourati
Avec les années et l’expérience acquise, le Dr Fourati, toujours aussi ambitieux et déterminé, est passé à un autre stade, d’autant plus que sur le plan international, Chritian Barnard de l’Hôpital du Cap venait de réussir la première transplantatation cardiaque.
Une motivation supplémentaire pour le Dr Fourati qui, désormais, n’aura de cesse de passer à un nouveau palier et d’offrir à la Tunisie, au monde arabe et à l’Afrique(à l’exception de l’Afrique du sud) leur première transplantation cardiaque. Ce sera en janvier 1993.
Ces succès lui ont permis d’acquérir une notoriété internationale et de pionnier de la chirurgie cardiovasculaire, il devint la référence sur le plan national et international. Président de la Société tunisienne de chirurgie, il a été désigné membre associé de l’Académie française de chirurgie. Il était constamment invité dans les congrès internationaux et notamment français où il exposait nos activités et pris part à la création de la Société méditerranéenne de cardiologie, sans oublier ses articles dans les revues internationales Actuellement, le Dr Ben Ismaïl exerce dans une clinique spécialisée. Mais il regrette vivement les temps héroïques de la médecine hospitalière tunisienne,et surtout l’absence de son vieil ami et et leur collaboration basée sur l’amitié et la confiance mutuelle. «Les mots me manquent pour exprimer ma peine pour la disparition d’un homme auquel me liaient tant de souvenirs communs», nous dira le Dr Ben Ismaïl. «C’était un artiste du bistouri. Avec lui , la Tunisie a perdu un chirurgien de talent doublé d’un grand patriote».
Mohamed Ben Smail
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