Valéry Freland : Directeur de l'Institut français de Tunisie
Une visibilité discrète mais une action en profondeur ? La coopération et l’action culturelle française avec la Tunisie se sont empressées de se redéployer après la révolution en épousant ses causes. Les objectifs, comme nous l’explique Valéry Freland, directeur de l’Institut français de Tunisie, reposent désormais sur les liens entre les sociétés civiles des deux pays, l’appui au processus démocratique et le soutien au développement économique et social.
A la tête d’une équipe d’une centaine de personnes qui s’ingénie à maximiser la bonne utilisation d’un budget de près de 12 MD, il rappelle que la coopération couvre aussi 200 bourses d’études de longue durée, 800 bourses de courte durée, 7 000 élèves dans les écoles françaises en Tunisie et 11 000 apprenants qui suivent les cours de langue. Quant aux travaux d’aménagement du nouveau siège de l’Institut, dans le cadre de la rénovation de l’ancien petit lycée Carnot, il annonce qu’ils démarreront avant la fin de l’année et l’ouverture aura lieu début 2014. Est-il inquiet de la régression de la langue française en Tunisie? Nullement et pour nombre de raisons qu’il développe. Que fait la France pour contribuer à la promotion de la culture tunisienne dans l’Hexagone et, plus largement, l’espace francophone ? Une série de spectacles et de participations à de grandes manifestations sont déjà retenues. Interview.
Quels sont les principaux axes de la coopération et de l’action culturelle en 2012 ?
Nous allons poursuivre le travail engagé depuis la Révolution tunisienne autour de trois objectifs. D’abord, renforcer les liens, déjà étroits, entre les sociétés civiles française et tunisienne. Nous sommes en effet convaincus que nos associations, nos ONG ont beaucoup à apprendre les unes des autres et doivent travailler davantage ensemble. Comme en 2011, nous avons apporté notre soutien au forum tuniso-français de la société civile, tenu les 30 et 31 mars à Tunis, à l’initiative d’associations tunisiennes (Amal, Randet, Sawty, Bus citoyen, Esmaani et Enda-Interarabe) et françaises avec lesquelles nous travaillons au quotidien. Il s’agira d’un nouveau rendez-vous d’échanges, mais aussi de mise en place de projets concrets, comme cela a été le cas l’année dernière où nous avons soutenu 70 projets associatifs pour un montant de 1,2 million d’euros. Nous avons lancé à cette occasion un nouvel appel à projets destiné à appuyer les initiatives dans quatre domaines: la citoyenneté, les droits et la santé des femmes, l’environnement et le microcrédit.
Notre deuxième priorité, c’est l’appui au processus démocratique et à la construction de l’Etat de droit en Tunisie. Nous allons poursuivre nos programmes de formation et d’échanges dans les domaines de la fonction publique et des médias – dont ont bénéficié près de 200 journalistes l’année dernière — et renforcer la coopération dans le domaine de la justice et de la lutte contre la corruption. Nous sommes également attentifs au développement des relations entre collectivités locales françaises et tunisiennes et nous appuierons les rencontres tuniso-françaises de la coopération décentralisée qui se tiendront à l’automne en Tunisie. Enfin, nous apportons notre soutien aux efforts de développement économique et social de la Tunisie à travers un appui aux formations universitaires ou professionnelles: notre objectif est de favoriser les liens entre formation et emploi, recherche scientifique et monde de l’entreprise. La France a ainsi contribué à hauteur de 40 millions d’euros, de 2008 à 2011, au développement de centres de formation professionnelle en Tunisie. Notre programme de bourses d’études est également important : près de 200 Tunisiens bénéficieront cette année d’une bourse de longue durée et environ 800 d’une bourse de courte durée. Il convient de noter que la France est le premier pays d’accueil des étudiants tunisiens : ils sont aujourd’hui plus de 15 000 en France, dont 4 000 nouveaux chaque année. Dans le domaine culturel, nous allons continuer de promouvoir la création artistique française – je pense notamment à la venue fin mars à Tunis et à Sousse du slameur Grand Corps Malade – ,tout en poursuivant notre soutien au secteur culturel tunisien. Nous avons ainsi lancé un appel à projets de 200 000 euros, qui va nous permettre d’appuyer une cinquantaine de projets dans tout le pays. Nous sommes en effet attentifs à la nécessité de contribuer à développer l’offre culturelle en région : nous allons organiser avec le Goethe Institute des ateliers de break dance dans plusieurs villes, et la Route du cinéma, qui propose des séances en plein air, reprendra le chemin des régions en juin. Nous développons aussi les formations, notamment à l’ingénierie culturelle, et tentons d’apporter notre pierre au vaste mais déterminant chantier du tourisme culturel, à travers notre participation aux grands festivals ou notre soutien à différents projets d’exposition d’envergure.
Où en est l’avancement des travaux de construction du nouveau siège de l’Institut ?
La rénovation de l’ancien petit lycée Carnot, avenue de Paris, pour en faire le centre culturel français de Tunis, est pour nous une priorité. Ce projet est désormais dans la bonne voie. Nous en avons confié la réalisation au cabinet d’architectes Richter, qui pilote une équipe franco-tunisienne dotée d’une grande expérience. Leur projet a été retenu parce qu’il nous est apparu fonctionnel, mais aussi réaliste sur le plan financier et respectueux du lieu d’un point de vue esthétique. Nous allons ainsi restaurer et moderniser le bâtiment sans lui faire perdre ni son style architectural, ni son charme. Il accueillera une médiathèque moderne de 750 m², un centre de langue, un espace CampusFrance, un auditorium de 160 places et un café-terrasse de 80 couverts ouvert sur deux patios arborés. Je suis particulièrement heureux, car lorsque je vois le succès de la Maison de France à Sfax, pour laquelle nous avons fait récemment d’importants efforts d’aménagement, je ne doute pas que la fréquentation de ce futur centre, au coeur de Tunis, sera au rendez-vous. Avec ce projet, nous apportons également notre contribution à la valorisation de l’exceptionnel patrimoine architectural de la capitale. Alors que les études complémentaires se poursuivent, les travaux devraient démarrer fin 2012 pour une ouverture début 2014.
Etes-vous inquiet du recul de la langue française en Tunisie?
La langue française, ce n’est pas seulement la langue des Français, mais celle de 220 millions de locuteurs répartis dans le monde et appartenant à des dizaines de nations, dont la Tunisie, membre fondatrice de l’Organisation internationale de la francophonie. En 2050, d’après les prévisions, nous serons 750 millions. En outre, ce qui est certain aujourd’hui, c’est qu’une bonne maîtrise de la langue française constitue, pour un jeune Tunisien, un atout, tout particulièrement en termes d’emploi. La France est le premier partenaire universitaire, scientifique, économique et commercial de la Tunisie, et les très importantes communautés tunisienne en France ou française en Tunisie contribuent à faire vivre la francophonie. N’oublions pas non plus le continent africain : la Tunisie n’accueille-t-elle pas chaque année plusieurs milliers d’étudiants francophones d’Afrique subsaharienne? Le succès des cours de langue que nous prodiguons à l’Institut français, qui reçoit chaque année plus de 11 000 apprenants, mais aussi des écoles françaises en Tunisie, qui accueillent plus de 7.000 élèves, témoigne de l’importance accordée à la langue française pour la réussite tant scolaire que professionnelle.